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au peuple portugais une constitution différente de celle que consacraient les lois existantes et qui avait toutes ses sympathies. D'un autre côté, l'Espagne ayant donné l'assurance qu'elle respecterait l'indépendance et la constitution du Portugal, on peut dire que l'Angleterre, en intervenant dans les affaires intérieures de ce royaume, à la demande même du gouvernement de Lisbonne, ne faisait qu'appuyer les garanties offertes par le cabinet de Madrid et accomplissait un acte parfaitement justifié, légitime dans son origine comme dans ses résultats *.

§ 169. L'intervention étrangère provoquée en 1830 par la révo- Intervention en Belgique. lution belge n'a pas de caractère bien défini; car, au milieu des phases diverses qu'elle a traversées, on peut aussi bien y voir une simple médiation qu'un arbitrage imposé par la force, une véritable intervention armée sollicitée par l'une des parties et longtemps repoussée par l'autre. Le traité de 1839, qui, grâce à cette intervention, a assuré la séparation définitive de la Belgique d'avec la Hollande et la constitution d'une nouvelle monarchie, a sans doute donné satisfaction aux aspirations d'un peuple désireux de reconquérir sa liberté et l'indépendance souveraine dont la guerre ou l'abus de la force l'avait dépouillé; mais les faits révolutionnairement accomplis par la Belgique ne furent pas sanctionnés sans réserve, puisque les puissances intervenantes ne reconnurent pas aux Belges les droits de conquête et de postliminie, et refusèrent d'englober dans leur territoire une partie du Luxembourg, la rive gauche de l'Escaut et la rive droite de la Meuse. Ces derniers faits nous semblent fixer la véritable signification de l'intervention en Belgique, et justifier la conduite des gouvernements qui y ont pris part. Les grands actes internationaux auxquels ont abouti, de 1830 à 1839, les travaux de la conférence de Londres montrent en effet qu'en s'interposant pour prévenir une conflagration générale les grandes puissances ne se sont laissé guider par aucune vue ambitieuse et que, tout en admettant la valeur morale d'un acte inspiré par les plus nobles sentiments de patriotisme et de nationalité, elles ont entendu, dans l'intérêt même de leur conservation, mettre cet acte pleinement d'accord avec le principe d'équilibre, qui constitue une des bases du droit public de l'Europe et qui peut être

Wheaton, Elém., pte. 2, ch. 1, §8; Wheaton, Hist., vol. II, pp. 205, 206; Phillimore, Com., vol. I, p. 457; Annual Register, vol. LXVIII, p. 192, Lawrence, Com., t. I, p. 394.

Intervention française à Rome.

Interven

tion en faveur

considéré comme le seul et vrai motif propre à justifier les interventions étrangères dans les temps modernes *.

§ 170. La présence à Rome d'un corps de troupes françaises avait un caractère tout particulier; car si les considérations politiques n'y furent pas absolument étrangères, on peut dire qu'elle reposait avant tout sur la défense d'un grand intérêt religieux, la protection du chef de l'Église catholique dans le libre exercice de son double pouvoir temporel et spirituel. Un instant abandonnée, à la suite de la convention conclue le 15 septembre 1864 (1) entre la France et l'Italie, l'attitude agressive du parti révolutionnaire de la péninsule et l'invasion à main armée des États Pontificaux par les bandes garibaldiennes l'ont fait renaître en 1868, à la demande même du Souverain Pontife, et elle a duré jusqu'au mois d'octobre 1870 où la retraite des troupes françaises a eu pour sultat l'incorporation des États de l'Église dans le royaume d'Italie et la suppression de la souveraineté temporelle de la papauté. Ces faits ont été reconnus par les autres puissances, qui ont toutes accrédité des représentants auprès du roi d'Italie comme souverain de la péninsule italique tout entière et de la Sicile. Les puissances catholiques, en particulier, continuent d'entretenir auprès du Pape, retiré au Vatican, des agents, chargés uniquement de traiter des affaires ecclésiastiques, conformément aux concordats ou autres conventions conclus par elles avec le Saint-Siège.

§ 171. En 1815, au congrès de Vienne, l'empereur Alexandre Ier de la Grèce. appela sur la question d'Orient l'attention des plénipotentiaires des puissances chargées d'établir un ordre de choses durable en Europe. Dans sa pensée, les mêmes puissances, qui s'étaient concertées pour flétrir la traite des noirs comme un fléau qui avait trop longtemps « désolé l'Afrique, dégradé l'Europe et affligé l'humanité », ne pouvaient se refuser à considérer les excès des Turcs contre les chrétiens comme tout aussi révoltants et aussi «< répugnants aux principes d'humanité et de morale universelle ». Il exprima l'idée que l'Europe chrétienne et civilisée avait non seulement le droit, mais l'obligation de protéger les chrétiens contre le fanatisme musulman et de placer les populations chrétiennes de la Tur

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Wheaton, Élém., pte. 2, ch. 1, § 11; Wheaton, Hist., t. II, pp. 219-239; Phillimore, Com., vol. I, pp. 457-459; Hansard, Parl. debates, vol. XXVIII, pp. 1133-1163; British and foreign State papers, v. XVIII, pp. 779 et seq.; vol. XXXVII, pp. 1320 et seq.; Nothomb, Hist., p. 72; Kent, Com., vol. I, p. 25; Lawrence, Com., t. I, p. 463. (1) De Clercq, t. IX, p. 129.

quie sous la garantic collective de toutes les puissances européennes.

Les puissances n'écoutèrent pas les propositions de la Russie, et l'intervention collective au profit des chrétiens ne fut même pas, au congrès de Vienne, l'objet de discussions approfondies. Ce ne fut que quelques années plus tard que la lutte acharnée et inégale soutenue depuis assez longtemps déjà par les Grecs soulevés contre la Turquie, les torrents de sang qu'elle faisait répandre, et les barbaries des Turcs à l'égard des révoltés déterminèrent l'Angleterre, la France et la Russie à intervenir pour arrêter ces massacres sans merci et sans fin. Cette intervention, basée sur un traité conclu le 6 juillet 1827 entre les puissances intervenantes, reposait sur la prolongation de la guerre, sur le caractère de férocité que lui donnait la Turquie, et sur les maux qu'une telle situation occasionnait à l'Europe.

Le peuple grec avait aussi sollicité l'appui de l'Angleterre, de la France et de la Russie. Par le traité qu'elles signèrent entre elles pour répondre à cet appel, les trois puissances convinrent d'offrir leur médiation au gouvernement turc et de proposer tout d'abord aux deux parties belligérantes la conclusion d'un armistice; elles réglèrent simultanément, quoiqu'en termes généraux, la situation politique de la Grèce, dont la délimitation définitive devait être l'objet de stipulations ultérieures. Un article secret ajouté au traité portait que, par l'envoi et la réception d'agents consulaires, les alliés établiraient des relations commerciales avec les Grecs, et que si dans le délai d'un mois l'armistice proposé n'était pas accepté par les parties belligérantes, les trois puissances se concerteraient de nouveau pour l'adoption des mesures que les circonstances pourraient réclamer et en vue desquelles elles donnaient éventuellement tous pouvoirs à leurs représentants à Londres.

La Grèce accepta la médiation offerte; mais la Turquie déclina la proposition et continua les hostilités en Morée. A la suite d'une agression contre les flottes alliées, qui avaient pour mission d'obliger Ibrahim Pacha à reconduire ses troupes en Égypte, elle subit le désastre naval de Navarin, auquel les Grecs sont indirectement redevables de la conquête de leur liberté et de leur souveraineté.

L'intervention, que nous venons d'esquisser dans ses traits principaux, était pleinement justifiée au point de vue des principes du droit international: les motifs en étaient légitimes; le résultat ne le fut pas moins.

On sait qu'après avoir d'abord songé à maintenir la Grèce dans une sorte de vasselage à l'égard de la Turquie, les puissances

Interven

tion en Tur

et en 1854.

protectrices s'arrêtèrent en dernier lieu (1830) à l'idée d'ériger le pays, sauvé par leur intervention d'une ruine et d'une dévastation complètes, en un royaume séparé et indépendant, ayant sa constitution propre avec un gouvernement représentatif, et dégagé de toute espèce de liens par rapport à ses anciens maîtres *.

§ 172. Si l'intervention en faveur de la Grèce était dictée par quie en 1840 des considérations morales et politiques de l'ordre le plus élevé et le plus respectable, conformes de tout point aux saines notions du droit des gens, le concours que les grandes puissances européennes prêtèrent à la Turquie en 1840 avait pour base la nécessité de sauvegarder la liberté et l'indépendance de l'empire ottoman, et de préserver ainsi de toute atteinte l'équilibre européen : à ce point de vue cette dernière intervention est tout aussi justifié en principe que l'immixtion qui avait abouti à la célèbre bataille de Navarin. En 1839, la condition de l'empire turc était en effet désespérée; le sultan était menacé de deux dangers également sérieux : succomber sous les attaques réitérées et victorieuses d'un vassal révolté, Méhémet-Ali, pacha d'Égypte, ou subir le protectorat humiliant et intéressé d'une nation chrétienne, la Russie. Dans l'un et l'autre cas, l'équilibre européen fondé par les anciens traités était rompu, et la situation générale du continent compromise peut-être à tout jamais.

De graves complications se rattachent à cette intervention de 1840, en raison de la diversité des vues qui inspiraient la politique des nations chrétiennes en Orient. Les unes, comme la Russie, nourrissaient des arrière-pensées d'ambition ou d'influence religieuse ; d'autres, telles que la Prusse et l'Autriche, jugèrent l'occasion favorable pour faire revivre d'anciennes rivalités et mettre encore une fois en pratique les principes consacrés en 1818 par le congrès d'Aix-la-Chapelle. La France, obéissant à des mobiles plus élevés et absolument désintéressée, accordait sa sympathie au vice-roi d'Égypte et semblait, dans une certaine mesure du moins, vouloir abandonner au sort des armes la solution du conflit engagé; enfin l'Angleterre, préoccupée des intérêts de son commerce, du maintien

* Wheaton, Élém., pte 2, ch. 1, § 9; Gervinus, t. XI, pp. 130 et seq., t. XII-XIV; Wheaton, Hist., t. II, pp. 214-216; British and foreign State; papers, vol. XII, pp. 900 et seq.; v. XVII, pp. 191 et seq.; v. XIX, pp. 33 et seq.; v. XLI, pp. 36 et seq.; Phillimore, Com., vol. I, pp. 444 et seq.; Kent, Com., vol. I, p. 24; Lawrence, note 48; Dana, note 37; Heffter, § 46, in fine; Lawrence, Com., t. I, pp. 403 et seq. Hall, Int. law, pp. 245, 247.

de ses communications avec son empire de l'Inde, ne pouvait voir sans inquiétude s'élever sur les bords du Nil et en Syrie une puissance indépendante, de s'établir à Constantinople et dans la mer Noire une influence étrangère capable de primer la sienne.

Traité de 1840.

§ 173. A la suite de nombreux pourparlers, l'Autriche, l'Angleterre, la Russie et la Prusse arrivèrent à une entente commune et conclurent, le 15 juillet 1840 (1), un traité auquel la Porte se rallia avec empressement par un protocole séparé en date du même. jour. Dans son préambule, ce traité rappelle que le sultan ayant réclamé appui et assistance pour surmonter les difficultés suscitées par la conduite hostile de Méhémet-Ali, les quatre puissances alliées, animées du désir de veiller au maintien de l'intégrité et de l'indépendance de l'Empire ottoman, dans l'intérêt de l'affermissement de la paix de l'Europe, ont accédé à la demande qui leur a été adressée, et se proposent à la fois d'arrêter l'effusion du sang en Syrie et de prévenir toute complication nouvelle entre le Grand Seigneur et son vassal. Les clauses générales du même acte et le rôle actif joué par l'escadre anglaise envoyée à Saint Jean d'Acre eurent pour conséquence de faire rentrer la Turquie en possession de la Syrie et de limiter le pouvoir de Méhémet-Ali au gouvernement héréditaire de l'Égypte. On sait que le traité du 15 juillet 1840 fut conclu sans le concours de la France, qui ne rentra dans le concert des grandes puissances européennes que par le protocole de Londres du 10 juillet 1841 (2), lequel donna une nouvelle consécration au principe absolu de la fermeture du détroit des Dardanelles aux vaisseaux de guerre de toutes les nations. § 174. Les efforts faits par la Russie pour recouvrer son prestige Intervention en Orient, l'action ténébreuse qu'elle ne cessa d'exercer dans les Provinces danubiennes pour y entretenir l'agitation et faire prévaloir son influence religieuse et politique finirent par amener, en 1854, l'intervention armée de la France et de l'Angleterre d'abord, puis de la Sardaigne, dans la guerre qui éclata alors entre la Turquie et la Russie.

Cette seconde intervention, qui prit d'ailleurs, dès l'origine même, le caractère d'une guerre directement déclarée à la Russie par les trois puissances alliées, se fondait à la fois sur le maintien de l'indépendance de l'Empire ottoman et de la libre navigation de la mer

(1) Martens-Murhard, t. I, p. 156; Neumann, t. IV, p. 453; Herstlet, v. V, p. 535; State papers, v. XXVIII, p. 342.

(2) De Clercq, t. IV, p. 597.

de 1854.

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