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Traité de Paris.-1856.

Noire, et sur le danger d'une domination politique ou religieuse en Orient au profit exclusif d'une seule puissance. Son résultat final fut le traité de paix conclu à Paris le 30 mars 1856 (1) entre l'Autriche, l'Angleterre, la France, la Sardaigne, la Prusse, la Russie et la Turquie. Ce traité, basé sur l'uti possidetis ante bellum, consacra plusieurs principes fort importants. Ainsi les règles générales du droit public européen furent étendues aux relations internationales avec la Turquie, et le respect de l'indépendance et de l'intégrité du territoire de l'Empire ottoman fut sanctionné d'une manière absolue.

Pour prévenir le retour de complications comme celles auxquelles la guerre de 1854 avait mis fin, il fut en même temps convenu qu'avant d'en appeler aux armes toute puissance qui aurait à l'avenir des démêlés avec la Turquie serait obligée de soumettre son différend à la médiation des autres puissances. La question des droits civils et politiques des rayas, qui avait servi de prétexte à la rupture entre la Russie et la Turquie, était résolue: 1° par la consécration indirecte donnée à un firman du Grand Seigneur déterminant l'égalité de conditions de tous les sujets de l'empire sans distinction de croyances religieuses, et 2° par l'engagement que prirent toutes les parties contractantes de ne s'immiscer ni directement ni indirectement dans l'administration intérieure de la Turquic.

Un autre des grands principes consacrés par le traité de Paris, c'est celui de la libre navigation du Danube, et de la neutralisation de la mer Noire, dont l'accès était interdit désormais à tout vaisseau de guerre, à l'exception de ceux employés de concert par la Russie et la Turquie pour faire le service de garde-côtes.

En même temps, afin de mieux écarter les entraves mises jusque-là à l'abord des diverses embouchures du Danube, la Russie dut subir en Bessarabie une rectification de frontières, qui isola de ce côté et arrondit le territoire de la Moldo-Valachie. Enfin deux articles séparés reconnurent l'indépendance administrative de la Serbie sous le protectorat de la Turquie, et déclarèrent que la Porte ne pourrait désormais intervenir à main armée dans les affaires intérieures de la nouvelle principauté sans l'accord préalable des grandes puis

sances.

Trois conventions distinctes vinrent bientôt fortifier les stipula

(1) De Clercq, t. VII, p. 59; Martens-Samwer, t. II, p. 770; Neumann, t. VI, p. 264; Savoie, t. VIII, p. 380.

tions du traité du 30 mars. Par la première, celle du 15 avril 1856 (1), l'Autriche, l'Angleterre et la France s'unirent pour garantir conjointement et séparément l'indépendance et l'intégrité de l'Empire ottoman, déclarant qu'elles considéraient comme cas de guerre toute infraction à la paix de Paris. Par la seconde, dite Convention des Détroits (2), les sept États signataires du traité du 30 mars, confirmant le protocole de Londres du 10 juillet 1841, déclarèrent qu'en temps de paix l'accès des Dardanelles demeurerait fermé à tout bâtiment de guerre étranger quelconque, à l'exception des navires légers affectés au service particulier des ambassades à Constantinople, et des navires que les puissances contractantes voudraient entretenir à l'embouchure du Danube pour en assurer la libre navigation et y protéger la marine marchande; pour les uns comme pour les autres l'entrée du détroit et le passage dans la mer Noire était d'ailleurs subordonnés à la demande d'un firman ad hoc. La troisième convention, datée, comme la précédente, du 30 mars 1856 (3), fut conclue séparément entre la Russie et la Turquie; elle fixa le nombre, la force et le tonnage des navires armés que ces deux puissances pourraient entretenir le long de leurs côtes respectives pour la surveillance du commerce et de la navigation dans la mer Noire.

financière

en 1859.

§ 175. Le traité de Paris de 1856 n'a pas aboli, il a, au contraire, Intervention confirmé le droit d'intervention des puissances européennes dans les affaires de la Turquie. Les articles 7 et 9 de ce traité, lesquels stipulent, d'une part, l'admission de la Turquie dans la famille européenne, et, de l'autre, l'amélioration du sort des populations chrétiennes qui lui sont soumises, forment, tant en fait qu'en droit, les deux termes d'un contrat synallagmatique entre la Porte et l'Europe. D'où il s'ensuit que, en s'en tenant même uniquement à ce traité, les puissances ont un droit d'intervention collective, soit pour réclamer l'exécution des promesses de la Turquie, soit, en cas de mauvais vouloir ou d'impuissance constatée de celle-ci, pour considérer le contrat comme résilié et prendre elles-mêmes en main la cause de ses sujets chrétiens. Or, depuis 1856, les puissances se sont vues forcées d'exercer ce droit d'in

(1) De Clercq. t. VII, p. 90; Martens-Samwer, t. II, p. 790; Neumann, t. VI, p. 292; Vega, t. III, p. 93.

(2) De Clercq, t. VII, p. 59; Martens-Samwer, t. II, p. 782; Neumann, t. VI, p. 286; Savoie, t. VIII, p. 395.

(3) De Clercq, t. VII, p. 71; Martens-Samwer, t. II, p. 786; Savoie, t. VIII, p. 400; Neumann, t. VI, p. 289.

Massacres

de Syrie en 1860.

Insurrection de Crète en 1866.

tervention en plus d'une conjoncture, tantôt par voie diplomatique, tantôt par voie d'occupation militaire.

La France et l'Angleterre, en outre des immenses sacrifices militaires que leur coùtait la guerre de Crimée, avaient garanti un emprunt de 125 millions contracté par la Porte en 1855. Comme celle-ci ne remplissait pas les engagements qui en découlaient pour elle, les deux puissances alliées exigèrent, en 1859, la création d'une commission composée en partie d'Européens et chargée d'examiner la situation financière de l'Empire ottoman, de préparer une refonte des lois en matière fiscale et d'impôts, de proposer les mesures propres à rétablir l'ordre et la régularité dans l'administration. Cette intervention n'eut aucun résultat. Le 27 octobre 1860, les membres français et anglais de la commission déposaient un rapport dans lequel ils avouaient leur impuissance devant la résistance ou la force d'inertie que les Turcs leur opposaient.

§ 176. Dans le cours de la même année (1860) les chrétiens du Liban furent victimes de massacres exécutés par les populations musulmanes voisines et encouragés par l'indifférence, sinon par la complicité des autorités turques. L'Europe prit le parti d'intervenir militairement, et l'Empereur des Français, du consentement du gouvernement turc, envoya en Syrie, « pour coopérer au rétablissement de la tranquillité », un corps de troupes de 6,000 hommes, qui occupa le pays jusqu'au 5 juin 1861, époque où l'évacuation eut lieu, mais après qu'il eût été convenu que l'administration du Liban serait réorganisée d'après un projet de règlement élaboré par une commission internationale.

§ 177. Dans le courant de l'année 1860, l'île de Crète devint le foyer d'un soulèvement contre l'autorité de la Turquie, lequel ne tarda pas à prendre un caractère dangereux de gravité, « dépassant de beaucoup, - pour nous servir des expressions du chancelier de l'Empire de Russie, le prince Gortschakoff, les limites d'une insurrection locale déjà très pénible pour l'humanité, à cause des excès, des violences et de l'effusion de sang qu'elle menaçait de provoquer. »

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Devant les atrocités commises, la France, l'Italie, la Prusse et la Russie déclarèrent de concert à la Porte, au mois d'octobre 1867, que, malgré les instances pressantes, aucune réforme organique n'avait été jusqu'alors opérée afin de satisfaire aux vœux des autres populations chrétiennes de l'Empire ottoman, pour lesquelles le spectacle de cette lutte acharnée était une cause perma

nente d'excitation..... » et que, «< sans renoncer à la mission généreuse que leur conscience leur imposait, il ne leur restait qu'à dégager leur responsabilité en abandonnant la Porte aux conséquences possibles de ses actes..... »

L'intervention n'aboutit qu'à un résultat négatif; les remontrances des puissances demeurèrent sans effet, et chacune d'elles se retira de l'affaire sans avoir pris la moindre mesure propre à assurer la protection de la population chrétienne que la persistance de la Turquie à ne point remplir ses promesses avait poussée à recourir aux armes. On attribue en grande partie cette inaction des puissances en cette occasion à l'influence de l'Angleterre, qui protesta de son désir d'observer une stricte neutralité dans le différend et de ne donner aucune assistance de l'un ou de l'autre côté, et qui alla jusqu'à refuser de laisser embarquer sur ses vaisseaux de guerre, pour les transporter hors de l'île de Crète, des femmes et des enfants exposés à être massacrés par les Turcs.

C'est une politique analogue que nous voyons le gouvernement anglais suivre encore dans la nouvelle tentative d'intervention de la part des puissances à propos des insurrections qui ont agité depuis les provinces de la Turquie d'Europe.

§ 178. En juillet 1875, la révolte éclate dans l'Herzégovine; en août, elle avait envahi la Bosnie. A la fin de ce mois, l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la Russie, la France et l'Italie offrent leur mé diation, accompagnée de la demande de concessions de nature à assurer une pacification durable. La Porte, « appréciant les sentiments d'humanité qui ont dicté cette démarche, et désireuse avant tout d'éviter l'effusion du sang et de maintenir la paix » accepte la proposition des représentants des grandes puissances; l'Angleterre ne consent, pour ainsi dire, que malgré elle et pour se montrer agréable à la Porte à s'associer à l'action com

mune.

« Une médiation de ce genre, écrit le 24 août lord Derby à Sir Henry Elliot, ambassadeur britannique à Constantinople, n'est guère compatible avec l'autorité indépendante de la Porte sur son propre territoire. Cette démarche fournit en outre un motif à l'insurrection comme moyen d'exciter des sympathies étrangères contre la domination turque, et il n'est pas improbable que cette intervention puisse frayer la voie à une immixtion ultérieure dans les affaires intérieures de l'Empire... Mais comme la Porte a prié Votre Excellence de ne pas se tenir à l'écart de l'affaire, le gouver

Intervention dans

l'Herzégovine

et la Bosnie

en 1875-77.

nement de Sa Majesté comprend qu'il ne lui reste pas d'autre alternative... >>

Des négociations sont entamées auprès des insurgés, avec le concours d'une commission composée de consuls des puissances que nous venons de nommer; mais elles échouent devant la méfiance insurmontable qu'inspirent les promesses des Turcs violées autant de fois que faites. Alors l'Allemagne, l'Autriche et la Russie résolurent d'exprimer nettement leur manière de voir dans une note collective, dont la rédaction fut confiée au chancelier de l'Empire d'Autriche-Hongrie, le comte Andrassy.

Ce document, qui porte la date du 30 décembre 1875, a une importance particulière en ce qu'il explique d'une manière claire et précise les raisons sur lesquelles les puissances basent leur droit comme leur devoir d'intervenir dans les affaires de la Turquie.

Il commence par déclarer qu'il y a une solidarité complète dans les intérêts de l'Europe, de la Porte et des insurgés : « L'état d'anarchie qui sévit dans les provinces nord-ouest de la Turquie, écrit le chancelier austro-hongrois, n'implique pas seulement des difficultés pour la Porte; il recèle aussi de graves dangers pour la paix générale, et les divers États européens ne sauraient voir d'un œil indifférent se perpétuer et s'aggraver une situation qui dès à présent pèse lourdement sur le commerce et l'industrie, et qui, en ébranlant chaque jour davantage la confiance du public dans le maintien de la paix, tend à compromettre tous les intérêts. >>

Le motif qui avait jusqu'à ce jour guidé les cabinets était « le désir d'éviter tout ce qui eût pu être interprété comme une ingérence prématurée de l'Europe, d'empêcher que le mouvement, en se prolongeant, ne finisse par compromettre la paix générale, et de fournir à la Porte l'appui moral dont elle avait besoin pour y parvenir... Mais aujourd'hui il importe absolument que les puissances soient à même d'en appeler à des actes clairs, indiscutables, pratiques; en un mot, que leur action puisse s'appuyer sur des faits et non sur des programmes... » En conclusion, la note Andrassy demandait, comme garantie de ce qui ne pouvait être accompli immédiatement, un engagement formel un engagement formel non plus de la Porte envers ses sujets chrétiens, mais de la Porte envers l'Europe, de façon que « si les sujets chrétiens de la Turquie n'obtenaient pas dès à présent la forme de garantie qu'ils semblent réclamer, ils trouvassent une sécurité relative dans le fait même les réformes octroyées seraient reconnues indispensables par

que

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