Images de page
PDF
ePub

les puissances et que la Porte aurait pris l'engagement de mettre à exécution. >>>

En réponse à cette note, dans laquelle il affectait de ne voir que des conseils amicaux et officieux, le gouvernement turc annonça, le 13 février 1876, qu'un iradé impérial du même jour ordonnait la mise à exécution immédiate des quatre points suivants : 1° liberté religieuse pleine et entière; 2° abolition du fermage des impôts; 3° amélioration de la situation agraire des paysans cultivateurs; 4° institution d'une commission locale, composée en nombre égal de musulmans et de chrétiens, pour surveiller en général l'exécution de toutes les réformes décrétées.

Les puissances, prenant acte de cette réponse, engagèrent les insurgés à déposer les armes; mais ceux-ci objectèrent que l'expérience du passé leur défendait de se fier aux promesses de la Porte, à moins d'une garantie matérielle positive de l'Europe. La Porte, de son côté, déclara qu'aussi longtemps que les insurgés parcouraient le pays en armes et que les réfugiés ne se repatriaient pas, il lui était impossible de procéder à la nouvelle organisation.

Rien ne fut donc fait; les hostilités reprirent; partout on eut à signaler le réveil du fanatisme musulman, qui se manifesta notamment par le massacre, à Salonique, des consuls européens, en plein jour, sous les yeux des autorités impuissantes.

Dans ces circonstances les ambassadeurs de France, d'Angleterre et d'Italie et les chanceliers des Empires de Russie et d'Autriche-Hongrie, réunis le 12 mai 1876 chez le chancelier de l'Empire d'Allemagne, délibérèrent sur les moyens de « peser sur le gouvernement du Sultan pour le décider à se mettre sérieusement à l'œuvre afin de remplir les engagements contractés par lui envers l'Europe ». Comme premier pas à faire dans cette voie, on proposa d'amener la Porte à consentir à une suspension d'armes de deux mois, pendant laquelle on pourrait « agir à la fois sur les insurgés et les réfugiés, pour leur donner confiance dans la sollicitude vigilante des puissances; sur les principautés voisines, pour les exhorter à ne pas entraver cette tentative de conciliation, et enfin sur le gouvernement ottoman, pour le mettre en demeure d'accomplir ses promesses. » Si cet armistice s'écoulait sans que les efforts des puissances eussent réussi à atteindre le but qu'elles se proposaient, on convenait d'« ajouter à leur action diplomatique la sanction d'une entente en vue des mesures efficaces qui paraîtraient réclamées dans l'intérêt de la paix générale pour arrêter le mal et en empêcher le développement.

[ocr errors]

en

Massacres

Bulgarie en 1876.

§ 179. Le refus du gouvernement anglais d'adhérer au memorandum de Berlin arrêta l'œuvre de paix. Cependant des massacres commis en Bulgarie ne tardent pas à produire chez les ministres de la reine d'Angleterre un revirement d'opinion dans le sens d'une médiation collective de l'Europe. Cette médiation était d'ailleurs sollicitée supplémentairement par les princes de Serbie et du Monténégro, qui dans l'intervalle avaient déclaré la guerre à la Turquie. § 180. Le 28 septembre suivant Sir Henry Elliot, ambassadeur nople, 1876- d'Angleterre, remettait à la Porte les propositions de paix suivantes, appuyées par les représentants des cinq autres puissances garantes, comme bases de leur médiation :

Conférence

de Constanti

77,

1o Le statu quo ante bellum sera maintenu en ce qui concerne la Serbie et le Monténégro; 2o la Porte devra s'engager, dans un protocole qui sera signé à Constantinople avec les représentants des puissances médiatrices, à accorder à la Bosnic et à l'Herzégovine un système d'autonomie locale ou administrative, c'est-à-dire un système d'institutions locales propres à donner à la population un certain contrôle sur les affaires locales, et certaines garanties contre l'exercice d'une autorité arbitraire; il ne doit point être question de la création d'un État tributaire; 3° des garanties analogues seront également fournies contre la mauvaise administration en Bulgarie. Les puissances déclaraient en outre qu'elles entendaient respecter l'indépendance et l'intégrité territoriale de l'Empire ottoman; qu'elles n'avaient ni n'auraient en vue aucun avantage territorial, aucune influence exclusive, aucune concession relativement au commerce de leurs sujets que ceux de toutes les autres nations ne pourraient obtenir également.

Le gouvernement turc objecta d'abord à la réunion d'une conférence dans laquelle seraient discutées les propositions des puissances; cependant il finit par y donner son assentiment, en faisant ses réserves. Le 20 novembre l'ambassadeur ottoman à Londres notifiait au chef du Foreign office que, « pénétré d'un sentiment de reconnaissance pour l'Angleterre, et considérant que celle-ci s'est mise d'accord avec les autres grandes puissances pour aplanir les difficultés actuelles au moyen d'une conférence, et que le but réel des gouvernements est, tout en maintenant l'intégrité et l'indépendance de l'empire, d'aviser à la mise à exécution des réformes propres à assurer le bien-être et la sécurité des sujets du Sultan; la Porte, par déférence envers les grandes puissances, ses amies et alliées, n'hésite pas à consentir à la réunion à Constantinople de la conférence proposée; mais elle espère

que les plénipotentiaires ne s'écarteront pas des dispositions du traité de Paris; qu'ils s'attacheront à préserver de toute atteinte les droits et le prestige du pouvoir souverain, qui, eu égard aux mœurs et aux idées des populations de l'Empire, constituent le fondement moral de l'autorité; qu'ils voudront bien s'abstenir de tout ce qui pourrait, moralement et matériellement, être préjudiciable à l'administration intérieure de l'Empire, et qu'ils auront en vue le respect des traités, dont les grandes puissances ont toujours conseillé à la Porte la stricte observation. >>

La conférence, composée des représentants des différentes puissances représentées à Constantinople, tint, du 11 au 22 décembre, des séances préliminaires, auxquelles aucun représentant de la Porte ne fut admis.

En dehors des conditions de paix avec la Serbie et le Monténégro, les plénipotentiaires des puissances ne prétendaient s'occuper que de la situation de la Bosnie, de l'Herzégovine et de la Bulgarie. La Porte y répondit par un plan de réformes applicable à la Turquie entière. Le 23 décembre, le jour même où elle était appelée à prendre part à la conférence devenue plénière, elle promulguait une constitution pour tout l'Empire ottoman; c'était là une tactique à l'aide de laquelle elle se créait de soi-disant impossibilités constitutionnelles, qu'elle prétendait opposer plus tard comme des fins de non-recevoir aux exigences de l'Europe. En effet, à tous les points discutés par la conférence ayant trait à l'administration intérieure des provinces turques les plénipotentiaires du Sultan objectèrent que « les modifications, les réformes à introduire ne pouvaient être décidées que conformément à la constitution et par les corps compétents, c'est-à-dire le Conseil d'État et la Chambre des députés », — lesquels ne devaient se réunir qu'au mois de mars suivant. De plus, ils s'opposèrent à la nomination d'une commission internationale de garantie pour l'exécution des réformes et des engagements pris par la Porte.

Le 22 janvier, devant le refus persistant des plénipotentiaires turcs, la conférence se dissout, après avoir signé un protocole dans lequel il est rappelé que « la conférence ne s'était pas réunie pour prendre acte des intentions conciliantes du gouvernement ottoman, ni pour enregistrer les projets d'amélioration du fonctionnement du pouvoir central, mais pour établir une autonomie administrative et des garanties sérieuses contre la mauvaise administration dans les provinces révoltées; que dès qu'il était constaté que la Porte refusait d'accorder de telles garanties et ne

donnait que des promesses, la mission de la conférence était achevée. »

La dissolution de la conférence eut pour résultat immédiat le départ de Constantinople des délégués spéciaux et des ambassadeurs. Toutefois ce départ des ambassadeurs n'a pas entraîné la rupture absolue des relations diplomatiques, car la Turquie a continué de maintenir ses représentants auprès des différentes puissances, qui, de leur côté, ont laissé à Constantinople les secrétaires de leurs ambassades pour gérer les affaires courantes.

Seule la Russie prit la chose plus au sérieux. Le 31 janvier, le chancelier de l'Empire adressait aux autres gouvernements une note dans laquelle la position créée aux puissances par l'échec de la conférence était nettement posée. « Sur l'initiative du gouvernement anglais, y était-il dit, il y a eu une conférence à Constantinople. Cette conférence est arrivée à une entente complète tant sur les conditions de la paix que sur les réformes à introduire. Elle en a communiqué le résultat à la Porte comme un vœu ferme et unanime de l'Europe; mais elle a rencontré de sa part un refus obstiné. Ce refus du gouvernement turc atteint l'Europe dans sa dignité et dans son repos. » Le prince Gortschakoff concluait par mettre les cabinets, avec lesquels le gouvernement russc s'était concerté jusque-là, en demeure de déclarer ce qu'ils comptaient faire pour répondre au refus de la Turquie et assurer l'exécution de leurs volontés. La réponse des cabinets fut à peu de chose près négative, et le 24 avril 1877 la Russie, assumant sous sa responsabilité personnelle la poursuite du but que s'était proposé la conférence, déclara la guerre à la Turquie, sans qu'aucune des puissances qui avaient participé aux délibérations de la conférence intervînt d'une manière utile afin de prévenir le conflit. § 181. Des faits que nous venons de passer en revue il ressort l'intervention que l'intervention des grandes puissances de l'Europe dans les afen Turquie. faires de la Turquie fait partie, pour ainsi dire, du droit coutumier de l'Europe, droit fondé tant sur les précédents historiques que sur les traités qui ont réglé l'admission de la Turquie dans la famille européenne, et fait de son existence une des conditions nécessaires de l'équilibre général. « Personne, écrivait Lord John Russell le 2 septembre 1876 dans le Times, ne songerait à recommander à notre ambassadeur à Berlin ou à Saint-Pétersbourg d'intervenir dans l'administration de la justice en Prusse et en Russie. Mais la Turquie est une exception à toutes les règles diplomatiques qui gouvernent nos relations avec les puissances étrangères. »

Fondement de

européenne

C'est au nom de l'équilibre européen, comme dans un intérêt de paix et d'humanité, qu'on voit les puissances s'ingérer dans les affaires intérieures de la Turquie, tantôt contre la volonté, tantôt avec l'assentiment ou même sur la demande du Sultan, qui paraît l'accepter ou l'éluder selon qu'il pressent qu'elle lui sera plus ou moins avantageuse. Ce souverain n'est donc plus justifié à la répudier absolument, après l'avoir supportée, après l'avoir invoquée lui-même tant de fois; et, de son côté, l'Europe ne saurait y renoncer, après s'en être reconnu le droit, après s'être fait de l'exercice de ce droit un devoir indispensable pour la défense des populations chrétiennes opprimées par les Turcs; ce n'est pas directement dans son intérêt propre qu'elle l'accomplit, mais dans un intérêt général de justice, d'humanité et de civilisation. Sans la reconnaissance de ce droit et de ce devoir, la conférence de Constantinople n'aurait eu ni raison d'être ni signification *.

Guerre en

tre la Russie

§ 182. Une lutte acharnée, qui se prolongea pendant tout une année avec des chances diverses de part et d'autre, et à laquelle et la Turquie. prirent part la Roumanie, la Serbie et le Monténégro comme alliés de la Russie, finit par amener les armées russes à la porte de la capitale de l'Empire ottoman. Le 20 janvier 1878 elles occupaient Andrinople, où dix jours plus tard était signée une convention qui stipulait un armistice, en même temps qu'elle arrêtait les bases de la paix, qui ne fut conclue que le 3 mars suivant par le traité de San Stefano.

Cet acte, auquel la Russie et la Turquie étaient seules parties, comprenait vingt-neuf articles, dont les plus importants visaient la rectification de la frontière de Monténégro, la reconnaissance de l'indépendance de la Roumanic et de la Serbie, la création d'une principauté autonome de Bulgarie, le démantèlement des forteresses du Danube, l'application dans la Bosnie et l'Herzégovine des réformes indiquées par la conférence de Constantinople, le paiement par la Porte à la Russie d'une indemnité de guerre, dont une partie au moyen de la cession de certains territoires en Arménie.

Quoique le traité portàt simplement le titre de « préliminaires de paix », le dernier article prescrivait expressément que les parties contractantes se considéraient comme formellement liées depuis le moment de l'échange des ratifications, qui eut lieu le 17 mars suivant; mais il n'obligeait définitivement que la Russie et la Tur

[ocr errors]

Phillimore, Intern. law, pte. 4, c. 1; Livre bleu anglais, 1876, nos 2, 3; 1877, nos 1, 2; G. Rolin Jaequemyns, Revue de droit international, t. VIII, pp. 293 et seq., 511 et seq.

Traité de

San Stefano.

« PrécédentContinuer »