Images de page
PDF
ePub

Philippe reconnaissait la légitimité du gouvernement de Rosas et déclarait que la France n'avait l'intention ni de s'ériger en alliée du gouvernement de Montévidéo, ni de faire renaître les démêlés auxquels le traité de 1840 avait si heureusement mis fin. Si les envoyés de la France et de l'Angleterre ne réussissaient pas dans leur négociation, on devait se borner à recourir aux blocus des ports et à la saisie des navires de guerre ou marchands. M. Ouseley se présenta le premier à Buenos Aires; il reçut aussitôt du chargé d'affaires des États-Unis des offres de bons offices, qu'il crut devoir décliner.

Avant de s'engager dans la voie des négociations, Rosas posa comme condition préalable la reconnaissance formelle du blocus de Montévidéo par l'escadre argentine; mais cette condition fut nettement repoussée par les deux envoyés, qui, n'étant pas parvenus à écarter cet obstacle, se décidèrent à quitter Buenos Aires, en notifiant au gouvernement argentin un délai à l'expiration duquel, faute d'une entente amiable, les ports de la République devaient être mis en état de blocus.

La forme de cette notification ne comportant pas de discussion, le blocus fut décrété le 18 septembre 1845; l'escadre argentine fut capturée par l'escadre alliée, qui occupa en même temps le port de la Colonia, et le combat d'Obligado ouvrit, pour peu de temps il est vrai, le Parana au commerce européen.

Malgré cette attitude hostile des forces alliées, le général Rosas proposa, par la médiation de M. de Mareuil, consul de France à Buenos Aires, un arrangement transactionnel, qui, bien qu'impliquant toujours le rétablissement du gouvernement d'Oribe dans la Bande Orientale, et étant dès lors inacceptable pour la France comme pour l'Angleterre, révélait néanmoins de la part du gouvernement dictatorial le désir de régler à l'amiable les questions pendantes.

D'un autre côté, les deux puissances alliées avaient déjà éprouvé les conséquences inévitables de leur conduite. Leur commerce avec la Confédération Argentine, autrefois si florissant, était presque entièrement anéanti, et le gouvernement de la République était réduit à l'impossibilité de payer les arrérages de l'emprunt qu'il avait négocié à Londres. Il était donc difficile que la France et l'Angleterre, en présence des dispositions conciliantes que manifestait le général Rosas et du préjudice que le blocus causait à leurs intérêts matériels, ne renonçassent pas à une partie de leurs anciennes prétentions et ne restreignissent pas le cercle de leurs exigences,

mission

M. Hood.

1846.

an

Si les propositions dont on a reproché à M. de Mareuil de s'être trop facilement rendu l'intermédiaire ne furent point acceptées, du moins eurent-elles pour conséquence le rappel des troupes anglaises et l'évacuation du Parana par les navires de guerre alliés . Seconde § 191. Cette nouvelle attitude des gouvernements intervenants glo-française, donna lieu en 1846 à l'envoi dans la Plata de M. Hood, qui avait été précédemment consul d'Angleterre à Montévidéo. Les propositions dont il était chargé pour le gouvernement argentin étaient en partie identiques à celles présentées par M. de Mareuil elles reconnaissaient en principe que la navigation du Parana devait être soumise aux lois et aux règlements de la République Argentine; que le blocus des ports de la Plata devait être levé dès que les troupes argentines auraient évacué le territoire oriental; qu'on effectuerait simultanément le désarmement de la légion étrangère de Montévidéo; que la Bande Orientale procéderait librement à la nomination d'un président, le général Oribe s'obligeant préalablement à se soumettre aux résultats de cette élection, quelle qu'elle fùt; enfin, qu'on accorderait une amnistie générale, réciproque et complète pour les personnes comme pour leurs propriétés. Ces propositions ayant été acceptées au mois de juillet 1846 par le général Rosas et au mois d'août de la même année par Oribe, il ne restait qu'à les transformer en articles de traité; mais là surgit une nouvelle difficulté: MM. Ouseley et Deffaudis, mis en demeure de formuler un projet de convention, déclarèrent ne pouvoir sous

* Traité d'alliance offensive et défensive entre le Brésil et la Confédération Argentine, 24 mars 1843; Mémoire de l'amiral Massieu de Clerval à son successeur, du 24 février 1844; Instructions du ministre des affaires étrangères brésilien au vicomte d'Abrantès, du 23 août 1844; Lettre de lord Aberdeen au vicomte d'Abrantes, du 28 novembre 1844; Lettre de M. Guizot au vicomte d'Abrantès, du 31 janvier 1845; Archivo americano, junio 13 de 1846; Protestation du ministre argentin à Rio de Janeiro contre la reconnaissance du Paraguay par le Brésil, du 21 février 1845; Note du gouvernement impérial au ministre argentin à Rio de Janeiro, du 20 juillet 1845; Lettre du général San Martin, 20 décembre 1845; dans le Morning Chronicle du 12 février 1846; Note de M. Ouseley au ministre argentin, du 21, et du ministre argentin à M. Ouseley, du 24 mai 1845; Note de M. Ouseley au ministre argentin, du 27 juin 1845; Lettre de M. Guizot à l'amiral de Mackau, du 4 mars 1845; Chevalier de Saint-Robert, Le général Rosas et la question de la Plata; Propositions du général Rosas à M. de Mareuil, du 26 octobre 1845; Dépêches officielles échangées entre le gouvernement argentin et M. Ouseley et M. Deffaudis; Archivo americano, série 1, 1843-1845; Guizot, Histoire parlementaire de la France, t. IV, pp. 386, 390, 395, 401, 402, 407; Brossard, Considérations hist. et pol. sur les républiques de la Plata, p. 627; Memorandum de M. le vicomte d'Abrantés, ministre du Brésil à Paris, 7 décembre 1844; Instructions de M. Guizot, ministre des affaires étrangères, à M. Deffaudis (22 mars 1845); Instructions de lord Aberdeen à M. W.-G. Ouseley (20 février 1845).

crire à un arrangement dont les bases étaient tout à fait en dehors de leurs instructions primitives, et provoquèrent ainsi l'envoi d'une troisième mission diplomatique, dans laquelle le comte Walewski représentait la France, et lord Howden l'Angleterre

§ 192. Les instructions données à ces nouveaux agents différaient sensiblement de celles dont avaient été munis leurs prédécesseurs, et n'admettaient qu'en partie les principes de la convention Hood; aussi le général Rosas refusa-t-il de négocier sur les bases de transactions combinées en dernier lieu entre les cabinets de Paris et de Londres, s'en tenant purement et simplement aux propositions formulées par l'entremise de M. de Mareuil. Lord Howden et le comte Walewski firent preuve d'un remarquable esprit de conciliation pour amener le dictateur à leurs vues et en finir avec l'affaire de la légion étrangère de Montévidéo; ils allèrent jusqu'à déclarer qu'ils procéderaient euxmêmes au désarmement de leurs nationaux; mais tous leurs efforts échouérent devant l'opiniâtre résistance qu'ils rencontrèrent relativement au règlement de la libre navigation du Parana, de sorte que cette troisième mission diplomatique dans le Rio de la Plata n'eut pas de meilleurs résultats pratiques que les deux précédentes.

Si la solution des difficultés était de nouveau ajournée, on pouvait au moins constater de la part des gouvernements alliés une disposition de plus en plus marquée à rétablir la paix à tout prix, puisqu'ils ne refusaient pas de tenir un certain compte des prétentions du général Oribe au gouvernement de Montévidéo. Il y a plus : l'Angleterre se prévalut de la mission de lord Howden pour accentuer plus nettement sa position particulière. Aux termes des instructions communes dont ils étaient porteurs, l'agent britannique et le comte Walewski, après avoir achevé leur mission auprès du gouvernement de Buenos Aires, devaient unir leurs efforts pour faire conclure un armistice entre les parties belligérantes. Dans ce but lord Howden proposa à M. Walewski de s'aboucher avec le général Oribe, de lui offrir une suspension d'armes et d'instituer ensuite une junte provisoire choisie de concert par le général et le gouvernement établi à Montévidéo, laquelle serait chargée de procéder à l'élection d'un président; et dans le cas où l'armistice ne

Note de M. Arana, ministre des affaires étrangères argentin, à M. Hood, du 28 juillet 1846; Note de M. Hood au ministre des affaires étrangères argentin, du 31 août 1846 ; Note du ministre des affaires étrangères argentin à M. Hood, du 6 septembre 1846; Archivo americano, série 1, 1845-1847; Correspondencia oficial entre el gobierno argentino y M. Hood; Guizot, Hist. parlementaire de la France, t. IV, pp. 33-151; Brossard, Considérations hist., p. 330; Projet de traité connu sous le nom de Bases Hood, 1846.

[blocks in formation]

mission an

M. Gore et le baron Gros.

1848.

serait pas accepté, le commandant en chef de l'armée assiégeante proposerait à la ville de Montévidéo une capitulation aussi avantageuse que possible. Le gouvernement montévidéen repoussa tout arrangement avec le général Oribe tant que celui-ci n'aurait pas assuré l'indépendance de la République de l'Uruguay en éloignant les troupes argentines de son territoire. De son côté, le général Oribe consentit à une suspension d'hostilités de six mois; mais il exigea comme condition préalable la levée du blocus des deux rives de la Plata. La ville de Montévidéo n'accepta pas un armistice de si courte durée; alors, s'inspirant de l'esprit de ses instructions, lord Howden ordonna à l'escadre anglaise de lever le blocus des ports du Rio de la Plata. Cette détermination provoqua d'énergiques protestations à la fois de la part des autorités et des résidents anglais de Montévidéo. Alors le comte Walewski, se séparant de son collègue britannique, prit les dispositions nécessaires pour continuer le blocus et protéger la ville de Montévidéo jusqu'à ce que les gouvernements de France et d'Angleterre fussent en mesure de vider la question. Sans désavouer formellement son envoyé, le gouvernement français se rallia au fond à la résolution adoptée par lord Howden et accéda à l'envoi, proposé par l'Angleterre, de nouveaux plénipotentiaires en Amérique*.

Quatrième § 193. Pour cette quatrième mission la France choisit M. le baron gio-française. Gros et l'Angleterre, M. Gore; ces deux agents devaient traiter directement avec le général Oribe et le gouvernement de Montévidéo sans entente ni concert avec la République Argentine. Les négociations ayant été entamées dans ces conditions, le général Oribe n'hésita pas à faire la déclaration qu'on exigeait de lui concernant l'élection présidentielle de l'Uruguay, déclaration conforme d'ailleurs aux bases de la convention Hood (1). Mais, pour faire évacuer le territoire oriental aux troupes argentines, il était indispensable d'obtenir le consentement du général Rosas; celui-ci, loin de le donner, engagea son allié à retirer sa parole, se fondant sur ce qu'en la

[ocr errors]

Note de M. de Walewski à lord Howden, du 11 juillet 1847; Lettre de M. de Walewski à lord Howden, du 15 juillet 1847; Note confidentielle de M. Barreiro, ministre des affaires étrangères de Montevidéo, à M. de Walewski, du 15 juillet 1847; Lettre de M. Walewski à lord Howden, du 11 juillet 1848; Archivo americano, série 2, 1846-1847; Dépêches officielles échangées entre le gouvernement argentin et MM. de Walewski et Howden; Brossard, Considérations, p. 351; Instructions de M. Guizot à M. le comte de Walewski (8 mars 1847); Note collective de M. de Walewski et de lord Howden (3 juin 1847); Projet de traité présenté par le comte de Walewski 1847). (1) Protocolo de la negociacion de paz, promovida por los señores ministros plenipotenciarios de los gobiernos interventores; iniciado el 21 de marzo, y terminado el 8 de junio de 1848. Publicacion oficial. Montevideo, 1848.

maintenant il paraîtrait acquiescer à la légitimité du gouvernement de Montévidéo et des actes de son administration, et qu'il était moralement obligé de tenir compte des droits et des intérêts de la Confédération Argentine. Telle fut la cause véritable qui empêcha ces nouvelles négociations d'avoir le résultat amiable que les gouvernements alliés avaient pu s'en promettre.

§ 194. Toutefois, depuis la mission de M. Hood, l'Angleterre attachait un prix extrême à terminer une affaire qui compromettait si gravement ses intérêts commerciaux ; elle profita donc avec empressement de l'insuccès même de la dernière tentative d'arrangement avec la France pour conclure un traité séparé, qui rétablissait les relations d'amitié et de bonne harmonie entre la Confédération Argentine et la Grande-Bretagne, reconnaissait tous les droits de la Confédération comme nation libre et indépendante, ordonnait l'évacuation des points occupés ainsi que la restitution des navires saisis, et stipulait enfin que l'escadre britannique saluerait de vingt et un coups de canon le pavillon de la République Argentine (1).

§ 195. Ce traité condamnait la France à continuer seule l'intervention dans le Rio de la Plata; mais son attitude, qui avait suivi dans cette question les oscillations de la politique anglaise, tendit de plus en plus à entrer dans la voie ouverte par M. Gore, ainsi que cela ressort notamment des instructions que M. Bastide, ministre des affaires étrangères de la République Française, transmit en 1848 à l'amiral Leprédour, le nouveau commandant de l'escadre de la France dans la Plata.

C'est conformément à ces instructions, basées à la fois sur la convention Hood et sur le traité Gore, que Don Philippe Arana, représentant de la Confédération Argentine, et l'amiral Leprédour, représentant de la République Française, signèrent le 31 août 1850 une convention de paix et d'amitié, qui ne fut pas ratifiée par la France, mais n'en fut pas moins considérée comme valide (2).

Le gouvernement français persistait cependant à ne pas reconnaître comme seul légitime le gouvernement établi à Montévidéo et à refuser à Don Manuel Oribe tout autre caractère que celui de brigadier ou de chef de l'armée; mais une fois la paix faite avec Buenos Aires, il changea de conduite, ouvrit des négociations directes avec l'allié de Rosas, et le 13 septembre 1850 (3) un arrangement amiable était signé au nom de la France par l'amiral Leprédour, et au nom

(1) Herstlet, v. VIII, p. 105; Martens-Samwer, t. II, p. 46.

(2) Martens-Samwer, t. II, p. 51. (3) Martens-Samwer, t. II, p. 55.

[blocks in formation]
« PrécédentContinuer »