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LIVRE IV

EGALITE DES ETATS

Droit d'égalité.

§ 210. L'égalité des États souverains est un principe du droit public généralement reconnu. Elle a pour double conséquence d'attribuer à tous les Etats les mêmes droits et de leur imposer mutuellement les mêmes devoirs. L'étendue relative des territoires ne saurait justifier sous ce rapport la moindre différence, la moindre distinction entre les nations considérées comme personnalités morales, et, au point de vue du droit international aussi bien qu'à celui de l'équité, ce qui est licite ou injuste pour un État l'est également pour tous les autres. « On ne doit pas, disait M. Sumner au Sénat des États-Unis le 23 mars 1871, faire à un peuple petit et faible ce qu'on ne ferait pas à un peuple grand et puissant, ou ce que nous ne souffririons pas, si cela était fait contre nous

mêmes. »

Chaque nation, suivant Vattel, puise dans l'égalité l'indépendance et la liberté qui lui appartiennent en propre, le droit de ne suivre que les inspirations de sa conscience pour l'accomplissement de ses devoirs; elle se trouve ainsi placée, au moins extérieurement, sur la même ligue que les autres pour la gestion et l'administration de ses intérêts, de sorte que la justice intrinsèque de ses actes échappe à tout contrôle, à tout jugement de la part des étrangers, attendu que tous les membres de la société humaine. jouissent absolument de la même somme de droits.

C'est de cette égalité de droits que dérivent les règles de ce que

Wolff appelait le droit des gens volontaire, droit dont toutes les nations sont moralement tenues de respecter l'exercice *.

§ 211. Les États souverains étant absolument égaux, chacun d'eux peut, dans les limites de sa sphère d'action, s'attribuer le titre ou la dignité qui lui convient, et même exiger de ses sujets toutes les marques d'honneur qui correspondent au titre qu'il a adopté. Cette faculté ne va cependant pas jusqu'à obliger les autres à reconnaître ce nouveau titre ou cette nouvelle dignité, parce que ce n'est pas là une question de droit strict. L'histoire montre que lorsqu'un souverain s'attribue un titre ou une dignité d'un ordre supérieur à ceux qui le distinguaient précédemment, il est très rare que les autres États ne refusent pas la reconnaissance immédiate du changement destiné à détruire ou à modifier l'usage consacré. Ainsi, par exemple, lorsque le Saint Empire romain existait, que l'empereur d'Allemagne se faisait couronner à Rome et appeler César, les princes allemands, qui étaient ses feudataires, reconnaissaient sa suzeraineté, quel que fùt son titre; mais les grands rois, tels que ceux d'Angleterre, de France et d'Espagne, ne l'ont jamais reconnue. Le titre de roi de Prusse que l'électeur Frédéric 1er assuma en 1701 ne fut reconnu par le Pape qu'en 1786, et par les chevaliers de l'ordre teutonique qu'en 1792. Le titre d'empereur de toutes les Russies que se donna le czar Pierre le Grand en 1701 ne fut reconnu par la France qu'en 1745, par l'Espagne en 1759, et par la Pologne en 1764 **.

Le 18 janvier 1871 une proclamation royale, lue à la Chambre haute et à la Chambre basse de la diète de Prusse, annonça que,

Vattel. Le droit, prélim., §§ 18, 19, 21; liv. II, § 36; Wheaton, Elém., pte. 2, ch. 1, § 1; Martens, Précis, § 125; Heffter, § 27; Phillimore, Com., vol. I, § 147; Twiss, Peace, § 12; Klüber, Droit, §§ 36, 89; Garden, Traité, t. I, pp. 353 et seq.; Wolff, Jus, § 16; Bluntschli, §§ 2, 81; Ward, vol. II, pp. 365 et seq.; Polson, sect. 5, pp. 25 et seq.; Bowyer, Com., ch. XXIII, pp. 247 et seq.; Wildmand, vol. I, p. 48; Halleck, ch. v, §§ 1, 2, Ortolan, Règles, t. I, liv. I, chap. III, pp. 51 et seq.; Fiore, t. I, pp. 276, 277; Bello, pte. 1, cap. 1, §2; Kent, Com., vol. I, p. 20; Rayneval, Inst., liv. I, ch. vi; Pinheiro Ferreira, Valtel, prélim., § 18; Pradier Fodéré, Vallel, prélim., t. I, p. 100; t. II, pp. 2-4; Dudley-Field, Projet de code, p. 10.

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** Wheaton, Élém., pte. 2, ch. II, §6; Vattel, Le droit, liv. II, ch. ш, S$ 41-43; Bello, pte. 1, cap. VIII, §1; Phillimore, Com., vol. II. § 30; Martens, Précis, § 128; Heffter, § 53; Polson, sect. 5, pp. 26, 27; Klüber, Droit, § 107; Bluntschli, § 84; Ward, vol. II, ch. XVI; Halleck, ch. v, §3; Rayneval, Inst., liv. II, ch. xv; Pradier Fodéré, Vattel, t. II, pp. 9-12; Lawrence, Elem., by Wheaton, note 97; Flassan, Hist., t. VI, pp. 228364 Martens, Recueil, t. I, pp. 133 et seq.

Titres et digaitės.

sur l'invitation unanime des princes et des villes libres d'Allemagne de restaurer et de reprendre, avec le rétablissement de l'Empire d'Allemagne, la dignité d'empereur laissée vacante depuis soixante ans, et après l'introduction dans la constitution de la Confédération allemande des dispositions nécessaires, le roi de Prusse regardait comme son devoir envers la patrie entière de se rendre à l'invitation collective des princes et des villes libres d'Allemagne et d'accepter la dignité d'empereur pour lui et ses suc

cesseurs.

En 1876, M. Disraeli demanda à la Chambre des communes d'adopter un projet de loi ayant pour objet de mettre Sa Majesté la reine Victoria, au moyen d'une proclamation, à même de faire à sa qualité et à ses titres l'addition qui convenait à l'occasion. Il exposait qu'à l'époque de l'union avec l'Irlande, dans l'acte d'union même il y avait une disposition mettant le souverain, lorsque l'acte fut passé, à même d'annoncer, par une proclamation revêtue du grand sceau, la qualification et les titres qu'il voulait prendre ; que Georges III publia une proclamation en conséquence et adopta la qualité de roi du Royaume Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et de ses dépendances; qu'une telle manière d'agir donnerait grande satisfaction aux princes et aux nations de l'Inde, et démontrerait d'une façon incontestable que la Chambre regarde l'Inde comme une des possessions les plus précieuses de la couronne et qu'elle est fière de voir ce pays faire partie de l'empire de Sa Majesté et être gouverné par son trône impérial. Après de longs débats à ce sujet, M. Disraeli prit l'engagement que « dans aucune circonstance Sa Majesté, de l'avis de ses ministres, ne prendrait le titre d'impératrice en Angleterre, que les princes du sang royal ne seraient point désignés comme princes impériaux ou ne porteraient aucun titre indiquant une parenté impériale.

Le 27 avril 1876, la loi 39 Victoria, c. 10, fut passée sous le titre de : « Acte pour mettre Sa Très Gracieuse Majesté à même de faire une addition à la qualité et aux titres royaux appartenant à la couronne impériale du Royaume Uni et de ses dépendances. >>

Le lendemain paraissait une proclamation royale qui, après avoir reproduit la teneur de l'acte susmentionné, disait : « Nous, de l'avis de notre conseil privé, décidons et déclarons qu'à l'avenir, autant qu'il conviendra en toute occasion et dans tous les documents où il est fait usage de notre qualité ou de nos titres, excepté toutes les chartes, commissions, lettres patentes, ordres, mandats,

décrets et autres documents analogues n'ayant pas une portée dépassant le Royaume Uni, l'addition suivante sera faite en ces mots India imperatrix, « Impératrice de l'Inde. » La proclamation porte ensuite que toutes les monnaies ayant ou devant avoir cours dans le Royaume Uni seront, malgré cette addition, légales, et qu'il en sera de même pour les dépendances.

Aucune puissance n'a fait d'objection aux nouveaux titres que se sont donnés le roi de Prusse et la reine d'Angleterre, et n'ont hésité à les reconnaître dans leurs relations avec ces souverains.

Titres consacrés

§ 212. Les titres consacrés par l'usage et par les pratiques internationales pour désigner le chef de l'Eglise romaine sont ceux l'usage. de Votre Sainteté, Très Saint Père, auxquels ont été ajoutés celui de Souverain Pontife à partir du troisième siècle, et celui de Pape depuis le cinquième siècle.

Le titre de Majesté, qui appartenait jadis exclusivement à l'empereur d'Allemagne, a été étendu à tous les rois à dater du quinzième siècle seulement; encore n'a-t-il été universellement consacré en leur faveur que trois cents ans plus tard.

Les sultans de Constantinople, longtemps désignés par le seul titre de Hautesse, ont de nos jours pris la double qualification d'Empereur et de Majesté.

Les ducs et les princes portent le titre d'Altesses Sérénissimes; les ducs d'Allemagne sont désignés généralement sous le titre unique de Hautesse, à moins que leurs relations de parenté avec d'autres familles souveraines ou des stipulations conventionnelles ne leur aient attribué une qualification royale.

Les Etats fédéraux et les Républiques n'ont aucun titre constant ni bien défini. L'ancienne Confédération Germanique, comme les anciennes Républiques de Pologne, de Venise et de Gênes, recevait dans ses relations diplomatiques le titre de Sérénissime. Quant aux républiques américaines, elles ne se distinguent entre elles que par des qualifications purement géographiques.

Faisons encore remarquer ici que certains monarques européens ajoutent à leurs titres des appellations religieuses qui se rattachent aux relations que leurs ancêtres ont entretenues avec les chefs de l'Eglise catholique. C'est ainsi que les souverains d'Angleterre s'appellent Défenseurs de la Foi; ceux d'Autriche, en tant que rois de Hongrie, Majesté Apostolique; ceux d'Espagne (depuis 1496), Rois Catholiques; ceux de Portugal, Rois Très Fidèles; les anciens rois de Pologne se faisaient appeler Rois Orthodoxes; et ceux de France, Majesté Très Chrétienne.

par

Les traités et l'usage

difier l'égalité des Etats.

Le Pape se désigne quelquefois lui-même par le titre de Serviteur des serviteurs de Dieu *.

§ 213. Le caractère absolu du principe d'égalité des Etats peut peuvent mo- être modifié soit par un contrat formel et spécial, soit par des clauses conventionnelles de traité, soit par un consentement tacite fondé sur l'usage. L'admission de l'égalité des Etats n'entraîne pas rigoureusement la conséquence que tous aient le même rang et la faculté de s'arroger à volonté un titre élevé. La faiblesse manifeste de quelques Etats, l'ambition et les forces de quelques autres ont engendré des différences très marquées dans le rang et la dignité des divers Etats. Assurément chaque Etat a le droit de prendre un titre correspondant à son importance et à la position que lui donne sa puissance. En tout cas, pour avoir des effets complets, le rang et le titre d'un Etat doivent être sanctionnés par leur reconnaissance pour les autres Etats. C'est ainsi que l'inégalité politique des Etats, jointe aux traditions, a consacré dans le système européen le droit de préséance **.

Questions de préséance.

§ 214. Les questions de préséance entre les Etats ont eu à d'autres époques une très grande importance et soulevé plus d'un grave conflit. Si, au point de vue historique, ces questions n'ont rien perdu de leur valeur, il faut bien reconnaître que les développements de la civilisation, la perte du prestige qui s'attachait autrefois au principe monarchique, enfin les progrès du droit des gens ont considérablement diminué la portée de ces rivalités personnelles et de ces vaines prétentions, auxquelles de nos jours il ne serait plus permis de sacrifier les intérêts supérieurs de l'humanité. Toutefois, même dans l'état actuel des choses, l'étude de ces questions et des modifications que les traités ou les usages ont introduites dans le principe de l'égalité des Etats souverains ne mérite pas de fixer l'attention.

Les compétitions de préséance surgissent naturellement toutes

*Heffter, § 53; Klüber, Droit, §§ 108-111; Réal, t. V, ch. Iv, sect. 1, pp. 709 et seq.; Rousset, Cérémonial, t. II, p. 818; Vicquefort, p. 247; Moser, Versuch, t. I, pp. 238, 241, 242; Richter, Lehrbruch, § 110; Klüber, Oeffentliches, t. I, p. 144; Becmann, t. I, §§ 2, 3.

**

Wheaton, Elem., pte. 2, ch. 1, § 1; Vattel. Le droit, liv. II, ch. III, § 37; Klüber, Droit, § 92; Martens, Précis, §§ 125, 126; Heffter, § 28; Phillimore, Com., vol. II, § 40; Bello, pte. 1, cap. vIII, § 2; Réal, t. V, ch. IV, sect. 4, § 4; Rousset, Cérémonial diplomatique; Pinheiro Ferreira, Vattel, § 37, p. 271; Gunther, Völkerr., t. I, § 18; Halleck, ch. v, § 4; Pradier Fodéré, Précis, pp. 112 et seq.; Leti, Ceremoniale; Ortolan, Regles, t. I, liv. I, ch. 1, pp. 51, 52; Bluntschli, Le droit intern., liv. II, § 81 à § 94.

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