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et gage de la propriété de cette mer, comme patrimoine du royaume. Lorsque Henri III renonça à une grande partie de l'Aquitaine, il concéda à son fils aîné Édouard l'île d'Oléron comme une des conséquences de cette propriété sacrée; et, bien que depuis lors des circonstances diverses aient fait passer cette île et celles situées à proximité sous une autre domination, la propriété de la mer qui les environne n'en a pas moins continué d'appartenir aux rois d'Angleterre.

<< Les rois de Suède et de Danemark se crurent obligés de demander à la reine Élisabeth, pour ceux de leurs navires qui portaient des blés en Espagne, la permission, qui leur fut refusée, de traverser les mers britanniques. Il est bien évident que ces souverains n'auraient pas adressé une pareille demande à la reine d'Angleterre, si l'on avait pu contester son droit au domaine de ces 'mers. Les Français eux-mêmes avaient l'habitude de demander au roi d'Angleterre la permission de pêcher les soles, qu'ils envoyaient ensuite à leur roi Henri IV, et quelques-uns de leurs bateaux furent capturés pour s'être livrés à la pêche sans en avoir obtenu l'autorisation.

<< Nous ne saurions non plus passer sous silence la mer qui s'étend bien loin vers le nord et baigne les côtes de la Finlande, de l'Islande et des autres îles soumises au Danemark et à la Norwège, parce que cette mer, dans l'opinion d'un grand nombre de personnes, appartient aux Anglais. »

L'auteur du Mare clausum démontre de la même manière le droit du roi de la Grande-Bretagne à la souveraineté de la mer s'étendant au nord de l'Islande, c'est-à-dire jusqu'au Groenland, en faisant remarquer que quelques commerçants anglais de la Compagnie moscovite ont été les premiers à parcourir cette mer, bien avant qu'elle fût exploitée et fréquentée pour la pêche de la baleine.

Il termine en disant que, d'après l'ensemble des témoignages invoqués, il est indubitable que les ports et les côtes des nations voisines forment au sud et à l'est les limites de l'Empire britannique, empire maritime par excellence, mais que, dans le vaste Océan septentrional et occidental occupé par l'Angleterre, l'Écosse et l'Irlande, ces limites ont encore besoin d'être constituées.

Les théories du livre de Selden, comme on devait s'y attendre, furent pleinement acceptées par le gouvernement anglais; Charles Ir les notifia aux États-Généraux; le « long parlement » les fit traduire en langue anglaise, accompagnées d'un commentaire, et, pour leur donner plus de force, il déclara la guerre à la Hollande; enfin,

Admission

par les na

cipe de la

mers.

Guillaume III, dans son manifeste du 27 mai 1689, fit un grief à Louis XIV d'avoir toléré que ses sujets violassent les droits de souveraineté de la couronne d'Angleterre sur les mers britanniques.

L'œuvre de Grotius, au point de vue de l'érudition et de la méthode, est peut-être inférieure à celle de Selden; mais elle a le mérite incontestable d'avoir proclamé la liberté des mers et de rentrer ainsi directement dans l'esprit de la civilisation moderne. D'un autre côté, Selden, quoique meilleur logicien, moins empirique et plus profond que son antagoniste, a fait naître des résultats tout contraires à ceux qu'il avait en vue; car c'est lui qui, en encourageant l'Angleterre à persévérer dans ses tendances d'exclusivisme et de prépotence universelle, a finalement provoqué la réaction favorable aux idées de Grotius, à laquelle le monde est redevable d'une de ses plus précieuses conquêtes morales. En résumé, si l'auteur du Mare liberum n'occupe que le second rang dans la discussion, on ne peut méconnaître ses droits à la reconnaissance de la postérité, pour avoir courageusement défendu les principes de l'équité et de la saine raison, et pour avoir ouvert la voie à ceux qui, marchant sur ses traces, devaient un jour asseoir, sur ses véritables bases, la doctrine du libre parcours des mers*.

§ 352. Deux siècles à peine se sont écoulés depuis la publication tions du prin- de l'ouvrage de Selden, et le principe de la liberté des mers, tant liberté des combattu par l'Angleterre, est sorti du champ des discussions théoriques pour entrer triomphalement dans le domaine pratique de toutes les nations. Aujourd'hui, le droit public externe de l'Europe, aussi bien que celui de l'Amérique, reconnaissent également qu'aucun peuple ne possède de droit exclusif à la propriété de la haute mer; que les pavillons de toutes les nations souveraines jouissent des mêmes droits, de la même liberté, à condition de respecter les principes généraux du droit des gens; que la supériorité relative des forces navales ne donne, à aucun État, un titre de prééminence par rapport aux autres; que la violation de ces règles, de quelque part qu'elle vienne, est toujours illégitime et blamable; qu'enfin, les mesures exceptionnelles de surveillance ou de police, consacrées par des traités spéciaux à l'égard des navires

Selden, Mare clausum ; Ortolan, Règles, t. I, liv. II, ch. vII, pp. 128-136; Cauchy, t. II, pp. 92 et seq.; Wheaton, Élém., pte. 2, ch. iv, § 10; Wheaton, Hist., t. I, p. 199; Hautefeuille, Des droits, tit. 1; Hautefeuille, Hist., tit. 1, ch. II, sect. 1; Phillimore, Com., vol. I, pte. 3, ch. vi; Garden, Traité, t. I, pp. 402 et seq.; Azuni, Système, pte. 1, ch. 1, art. 3; Pradier Fodéré, Vattel, t. I, pp. 572, 573; Holtzendorff, Völkerrecht, t. II, p. 489.

de deux ou de plusieurs nations, ne peuvent être obligatoires que pour les parties contractantes *.

§ 353. L'étendue vraie des frontières maritimes d'un pays est une question dont l'importance ne peut être méconnue, puisqu'elle touche à la sûreté même de l'État, et que les côtes sont encore plus exposées que les frontières terrestres à des attaques subites et imprévues.

La limite naturelle d'un État du côté de la mer est marquée par le contour des côtes, à l'endroit où elles sont baignées par le flot et où commence le domaine maritime. Pour faciliter la défense des côtes, la pratique générale des nations, sanctionnée par de nombreux traités, a fait tracer, à une certaine distance de terre, une ligne imaginaire que l'on considère comme la limite extrême des frontières maritimes de chaque pays. Tout l'espace situé en dedans de cette ligne rentre ipso facto sous l'action de la juridiction de l'État qui le domine, et la mer comprise entre la ligne et la côte prend le nom de mer territoriale.

§ 354. Les mots côtes et rivages comprennent toutes les terres qui s'élèvent le long de la mer, quoique n'offrant pas assez de solidité pour pouvoir être habitées, mais non celles qui sont constamment couvertes d'eau. Sir W. Scott, célèbre juge de la cour d'amirauté britannique, s'est prévalu de cette définition à propos d'une prise opérée à l'embouchure du Mississipi. Il existe sur ce point un nombre considérable d'îles formées de vase et de troncs d'arbres, qui semblent faire partie de la terre ferme, bien qu'elles changent incessamment de forme et parfois de place. Les capteurs prétendaient que ces îles n'appartenaient pas au continent américain, qu'elles étaient nullius, qu'elles ne pouvaient être habitées à titre permanent, qu'elles étaient à peine visitées de loin en loin par des chasseurs, enfin que le territoire des États-Unis ne commençait qu'à partir de la Basile, fort construit par les Espagnols à l'entrée véritable du fleuve; mais sir W. Scott invalida la prise, en décidant que ces îles étaient soumises à la juridiction des ÉtatsUnis, puisqu'elles étaient formées des détritus de la terre ferme,

Ortolan, Règles, t. I, liv. II, ch. vII, pp. 137, 138; Hautefeuille, Hist., p. 20; Wheaton, Elém., pte. 2, ch. Iv, § 10, p. 178; Cussy, Phases, liv. I, tit. 1, § 2; Martens, Précis, § 43; Azuni, Système, pte. 1, ch. 1, art. 1; Rayneval, Inst., liv. II, ch. xx ; Garden, Traité, t. I, p. 404; Heffter, § 74; Riquelme, lib. I, tit. 2, sec. 1, cap. 1; Vergé, Précis de Martens, t. I, pp. 149, 150; Pradier Fodéré, Grotius, t. I, p. 399; Rousset, Suppl., t. II, pte., 2, pp. 288 et seq.; Martens, Recueil, t. III, pp. 166, 184; t. IV, pp. 488, 492; Holtzendorff, Völkerrecht, t. II, p. 492.

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Opinion des publicistes.

et qu'on devrait leur appliquer la règle du droit romain qui sert de base à la doctrine que nous défendons, et qui se résume ainsi : Quod vis fluminis de tuo prædio detraxerit et vicino prædio attulerit, palam tuum remanet *.

§ 355. Les publicistes sont loin d'être d'accord sur l'étendue à assigner à la mer territoriale.

Grotius la renferme dans l'espace susceptible d'être défendu à partir de la terre ferme avec les ressources que fournit l'art militaire. Bynkershoek, qui est du même avis, formule ainsi son opinion Terræ potestas finitur ubi finitur armorum vis. Hautefeuille se rallie aussi à cette doctrine; seulement il pense que dans les baies et dans les golfes de peu d'étendue la ligne de démarcation doit partir de promontoire à promontoire. Valin cherche dans la nature même la base des frontières maritimes des États. Selon lui, on doit considérer comme mer territoriale de la nation qui possède les côtes voisines toute l'étendue de mer adjacente ou l'on trouve le fond. Cette doctrine échappe à toute application pratique, car elle repose sur des termes qui n'ont qu'une valeur relative. En effet qu'est-ce que le fond de la mer? quelle est la profondeur minimum qui servira de démarcation? Sur les côtes abruptes, taillées à pic par la nature elle-même, le fond descend plus bas que sur les plages unies ou légèrement inclinées; dans certains parages le véritable fond ou plateau de la mer ne se rencontre qu'à trente ou quarante lieues de terre; dans d'autres il borde la côte. Avec un système comme celui de Valin l'étendue de la mer territoriale échapperait à toute uniformité et deviendrait tantôt excessive, tantôt trop restreinte pour répondre aux fins qui l'ont fait imaginer.

Rayneval trouve trop bornée la distance d'une portée de canon comme mesure de la mer territoriale; il pense qu'on doit en étendre le rayon à tout ce que peut embrasser la vue à partir des côtes, c'est-à-dire jusqu'à l'horizon réel. Ce dernier principe n'est ni moins arbitraire ni moins impraticable que celui émis par Valin, car il subordonne tout aux conditions physiques ou matérielles dans lesquelles l'observateur peut se trouver placé.

*

Wheaton, Élém., pte. 2, ch. iv, § 7; Ortolan, Dom., § 93; Wildman, vol. I, pp. 39, 40; Kent, Com., vol. I, p. 29; Pistoye et Duverdy, Traité, tit. 2, ch. 1, sec. 1; Halleck, ch. vi, § 14; Polson, sect. 5, pp. 29, 30; Lawrence, Élém., by Wheaton, note 104; Robinson, Adm. reports, vol. V, p. 385; Holtzendorff, Völkerrecht, t. II, p. 460.

§ 356. Pour résoudre la question d'une manière à la fois rationnelle et pratique, il faut tout d'abord ne pas perdre de vue que les États n'ont pas sur la mer territoriale un droit de propriété, mais seulement un droit de surveillance et de juridiction dans l'intérêt de leur défense propre ou de la protection de leurs intérêts fiscaux. La nature des choses veut donc que le droit s'étende jusqu'au point où son existence se justifie, et qu'il s'arrête là où cessent la crainte d'un danger sérieux, l'utilité pratique et la possibilité de faire sentir l'action défensive.

De ces principes généraux il est facile de déduire que la mer territoriale ne peut comprendre que l'espace susceptible d'être défendu à partir de la terre ferme ou de servir de champ d'attaque contre la côte environnante. Depuis l'invention des armes à feu on a généralement donné à cet espace une étendue de trois milles marins de la côte, à marée basse, dans la zone de laquelle l'exercice de la juridiction territoriale est absolu, incontesté, et exclut les droits de de toute autre nation.

Telle est la limite qui a été généralement reconnue par les conventions internationales, notamment par l'article premier du traité du 20 octobre 1818 entre l'Angleterre et les États-Unis d'Amérique, par la loi belge du 7 juin 1832, par les articles 9 et 10 du traité du 2 août 1839 et l'article premier de celui du 11 novembre 1867 entre la France et l'Angleterre.

Cette distance de trois milles marins n'offre cependant pas une base invariable. On est d'accord aujourd'hui qu'elle est trop courte, puisqu'elle n'est plus en rapport avec la portée qu'ont les nouveaux canons perfectionnés, dont les boulets peuvent atteindre à cinq milles, au moins; il serait donc juste qu'elle fût reculée dans une proportion équitable. C'est ce que le secrétaire d'État des États-Unis, M. Seward, suggérait à la légation anglaise à Washington dans sa note du 16 octobre 1864, où il lui soumettait la convenance qu'il y aurait de porter la juridiction des États riverains de la mer de trois à cinq milles, d'enjoindre aux navires de guerre de faire feu à une distance de moins de huit milles de la côte, enfin de déterminer la limite par des chiffres fixes, au lieu de la faire dépendre de la portée variable des canons.

Jusqu'à ce qu'il ait été statué sur de pareilles propositions, qui nous paraissent fondées autant sur la logique des faits que sur celle de la raison, et jusqu'à ce qu'il ait été pris une décision sanctionnée par le consentement de la majorité des États, la démarcation de trois milles marins constitue, au point de vue

Limites de la mer terri

toriale fixées coutumier, à tés spéciaux.

par le droit défant de trai

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