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Cas de l'Anna

Camp.

2° Que la loi municipale anglaise ne peut autoriser aucun magistrat à violer le droit des gens en envahissant avec la force armée le navire d'un Etat ami qui n'a commis aucun délit, et en portant ainsi violemment atteinte à la discipline que le maître du navire a pour devoir, suivant les lois de son pays, de faire observer à son bord.

Des décisions analogues ont été prononcées dans plusieurs au

tres cas.

Depuis l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis et le décret de l'Empereur du Brésil qui doit également mettre un terme à cette institution dans ses Etats dans un avenir peu éloigné, de sorte que les possessions espagnoles de Cuba et de Porto Rico sont les seuls pays où l'esclavage soit encore sous la sanction des lois, enlèvent en grande partie l'importance pratique attachée à la question du droit d'un maître de conserver la possession de son esclave en passant par un autre pays ou en y résidant temporairement.

Dans d'autres affaires, où la question se présentait plus nette, attendu qu'elle n'était point compliquée d'incidents d'une importance majeure, comme, par exemple, celui de l'esclavage dans le cas que nous venons de citer, les Etats-Unis ont constamment soutenu le droit de leurs tribunaux de connaître exclusivement des contestations survenues à bord des navires américains, soit en pleine mer, soit même dans des ports étrangers.

§ 456. Dans le cas du capitaine Albert Allen Gardner, du navire américain Anna Camp, que la cour du comté de Liverpool, au mois de mai 1873, avait pris sur elle de juger, M. Hamilton Fish, secrétaire au département d'Etat à Washington, s'est empressé de protester contre la prétention que s'arrogent les tribunaux de droit commun d'Angleterre d'instruire et de juger les causes survenues sur plaintes entre capitaines et matelots des navires des EtatsUnis, non seulement lorsque les faits sur lesquels les plaintes se fondent, ont eu lieu dans des eaux ou des ports anglais, mais même lorsque le délit formant la base du procès a été commis à bord d'un navire en pleine mer.

A cette conduite des tribunaux anglais le ministre américain oppose celle des Etats-Unis.

Ces tribunaux, ceux même qui ont juridiction d'amirauté, refusent le plus souvent de prendre connaissance des causes de cette nature où sont parties des marins et des capitaines de navires étrangers. Ce refus du reste est basé sur la pratique générale des autres puissances maritimes, ainsi que sur les principes du droit

maritime international, tels qu'ils sont compris et interprétés par les plus hautes autorités judiciaires des puissances maritimes.

§ 457. Comme précédent M. Fish cite notamment le cas du navire anglais Reliance. Une contestation s'étant élevée pendant la traversée entre le capitaine et l'équipage, une action avait été introduite devant la cour de district des Etats-Unis dans la ville de New-York; mais comme le capitaine et l'équipage en question étaient sujets anglais, la cour refusa de s'occuper de l'affaire. Voici le résumé de l'argumentation de la cour:

« Les Cours d'Amirauté des Etats-Unis refusent d'exercer leur juridiction dans des contestations entre des capitaines et des armateurs étrangers, à moins que le voyage n'ait été interrompu ou que les matelots n'aient été congédiés illégalement. Il faut que le marin étranger qui cherche à intenter une action de ce genre devant les cours de notre pays, se procure la sanction officielle du représentant commercial ou politique du pays auquel il appartient, ou que de bonnes raisons soient fournies pour donner suite à l'instance en l'absence de ce refus. Notre cour a repoussé à diverses reprises des actions intentées par des marins étrangers contre des navires étrangers dont notre port n'est pas le terme du voyage, parce qu'elle a jugé cette immixtion de nature à embarrasser les affaires commerciales et les relations entre notre pays et les autres qui entretiennent avec lui des rapports amicaux. »

Le ministre américain ajoute que les lois des États-Unis et les instructions adressées par le ministère dont il est le chef, à ses agents consulaires à l'étranger pourvoient avec un soin plus qu'ordinaire au règlement de toutes les questions en litige qui peuvent surgir entre les capitaines et les hommes d'équipage des navires américains, par suite des relations de ces capitaines et de ces marins à bord du navire en pleine mer ou dans les ports de puissances étrangères; et quand des délits sont commis par un capitaine ou un marin, ou bien quand il s'élève entre eux des démêlés dont la solution dépasse la compétence du consul, la loi fournit aux cours des États-Unis d'amples moyens de juger et de punir ces délits, ainsi que de régler ces démêlés. Il ne doute pas que ces dispositions légales et les règlements consulaires de son pays ne soient généralement en harmonie avec les lois et les règlements existants de la Grande-Bretagne en la matière.

§ 458. Telle paraît être en effet la jurisprudence sinon des tribunaux locaux de l'Angleterre, du moins des hautes cours de justice du Royaume-Uni, qui généralement se déclarent incompé

Cas du Reliance.

Cas du Franconia.

tentes pour prononcer sur les délits commis à bord de navires étrangers dans la haute mer, même dans les cas où ces navires se trouvaient, au moment du fait délictueux, dans les limites des eaux territoriales anglaises.

C'est dans ce sens qu'a jugé la Cour chargée d'examiner les cas réservés de la Couronne (court for the consideration of Crown cases) dans l'affaire du navire allemand Franconia, qui avait, dans la Manche, à moins d'une lieue marine de Douvres, heurté le navire anglais Strathclyde. Par suite de cet accident un des passagers de ce dernier navire avait péri. Le capitaine de la Franconia, ayant ensuite abordé à Douvres, avait été arrêté et traduit devant la cour criminelle centrale de Londres sous prévention d'homicide par imprudence. Le conseil de l'accusé déclina la compétence de la cour, et quoique le jury eût passe outre et rendu un verdict de culpabilité, le juge sursit à prononcer la condamnation jusqu'à ce que la question de compétence eût été tranchée par la cour des cas réservés.

Cette cour décida que l'exception d'incompétence devait être accueillie, en s'appuyant sur l'argumentation suivante :

Tout d'abord, pour faire admettre la compétence des tribunaux anglais, on a invoqué le fait que la victime était à bord d'un navire anglais au moment où elle a succombé par l'effet du choc, et que par conséquent l'homicide avait été commis à bord d'un navire anglais. La Cour reconnaît que le capitaine de la Franconia a été coupable d'imprudence; mais l'accident qui a causé mort d'homme n'est ni son fait ni la conséquence immédiate et directe de son fait. Il n'a pas abandonné le pont de son navire et n'a lancé aucun projectile sur l'autre navire; on ne saurait donc lui imputer l'intention de nuire au Strathclyde, à son équipage et à ses passagers. L'acte délictueux, qui se réduit à l'abordage, a donc été commis à bord d'un navire étranger. La seule question à résoudre est de savoir si cet acte, dans ces conditions, est justiciable des cours de justice anglaise. Or, il résulte de l'examen de la jurisprudence anglaise qu'en principe la juridiction criminelle ne s'est jamais exercée sur un navire étranger qui n'aurait pas été, au moment du délit, soit dans un port anglais, soit dans les eaux intérieures.

Mais la compétence résulte-t-elle du droit international, ou, en d'autres termes, l'Angleterre peut-elle invoquer le consentement de tous les Etats civilisés pour soutenir que sa souveraineté s'étend à une lieue marine sur la mer et que dans ces limites elle a un pouvoir de juridiction?

Non. Il est de principe que la haute mer est de droit ouverte aux navires de tous les pays, lesquels sont soumis uniquement aux lois de leur pavillon, c'est-à-dire aux lois des Etats respectifs auxquels ils appartiennent.

A cela, on objecte que chaque Etat est autorisé à exercer, non seulement sur son sol et sur ses propres sujets, mais encore sur tous les étrangers qui s'y trouvent, un pouvoir absolu de police dans toute l'étendue de son territoire, et par « territoire », il faut entendre les ports et les plages jusqu'au point le plus éloigné où se retire la mer.

Il s'agit donc de déterminer jusqu'où s'étend ce « territoire »>, quelle est la limite des eaux territoriales. Or, l'étendue des eaux territoriales est actuellement de trois milles.

Seulement reste à savoir si la souveraineté qu'un Etat a le droit d'exercer sur les eaux territoriales, est la même que celle qu'il exerce sur le sol de son territoire et de ses ports. La différence dans l'exercice de souveraineté ressort de ce fait, entre plusieurs autres, que, d'après le droit des gens moderne, chaque Etat est autorisé, en temps de paix ou de guerre, à empêcher le passage des étrangers sur son territoire, tandis que le passage des navires sur la haute mer n'est sujet à aucune prohibition.

La solution qui prévaut sur ce point, c'est que la souveraineté sur les eaux territoriales est restreinte à un double objet déterminé : la défense et la sécurité de l'Etat limitrophe, lesquelles n'exigent pas l'exclusion des navires étrangers parcourant les eaux territoriales. Il serait injuste d'appliquer les lois criminelles de l'Etat limitrophe à un navire étranger en passage d'un port étranger à un autre sur les eaux territoriales.

« Sans doute, dit l'arrêt de la cour, le navire marchand étranger qui stationne dans un port, est soumis à la juridiction territoriale en ce qui concerne les crimes et les délits commis à bord, surtout quand ces actes délictueux sont de nature à compromettre la tranquillité du port...; mais la juridiction des cours de justice anglaise ne saurait s'appliquer aux délits commis à bord d'un navire allemand se trouvant à une lieue marine des côtes d'Angleterre.

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Quant à l'argument tiré de ce que le Parlement anglais a voté plusieurs actes relatifs aux eaux territoriales, il tombe de lui-même, puisque ces statuts parlent uniquement des sujets et des navires anglais ou prescrivent des mesures de protection et de sûreté pour l'Angleterre, et qu'aucun de ces actes ne contient de disposition concernant les délits commis à bord des navires étrangers, ni ne

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