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Lyons que M. de Philippsborn avait déclaré au chargé d'affaires à Berlin que les trois puissances suivraient la même ligne de conduite. >>

§ 499. La politique de la France est exposée dans les circulaires que le duc de Broglie adressa à son ambassadeur et à ses consuls en Espagne, et par lesquelles il confirmait ses instructions précédentes et acceptait la ligne de conduite suivie par l'Angleterre.

Voici le texte de la circulaire aux consuls en date du 4 août : <«< Monsieur, vous connaissez les dispositions du décret récemment publié par le gouvernement espagnol pour assimiler aux pirates et dénoncer comme tels aux commandants des forces navales étrangères les équipages des bâtiments de guerre Almanza, Victoria, Mendez-Nunès, Fernando el Catolico et autres navires insurgés de Carthagène. Je viens de me concerter avec M. le ministre de la marine pour arrêter la ligne de conduite que devront suivre à l'égard de ces navires les commandants de nos forces navales.

«Il a été admis que nos commandants, aussi bien ceux dont les navires sont mouillés dans les eaux espagnoles que ceux qui naviguent en pleine mer, ne sont pas tenus de prêter leur concours aux mesures coercitives décrétées contre les équipages insurgés. Nous avons dù reconnaître en effet que l'irrégularité des papiers de bord, qui, d'après nos lois, peut dans certains cas autoriser à traiter un navire comme pirate, ne saurait s'entendre d'une autorité insurrectionnelle, surtout dans un pays en pleine guerre civile comme l'Espagne. Nos commandants ont donc été invités à s'abstenir de toute intervention entre les navires insurgés et les forces agissant au nom de l'autorité qui siège à Madrid. Cette attitude devra être aussi la vôtre; mais vous comprendrez que je ne saurais vous tracer ici une ligne de conduite absolue. Nous entendons ne pas nous engager dans la lutte entre les deux partis; nous voulons de même nous abstenir de toute immixtion dans les actes que les équipages insurgés ou ceux auxquels ils obéissent, peuvent ordonner et accomplir sur le territoire et dans les eaux espagnoles; mais il peut arriver telles circonstances dans lesquelles la vie ou les biens de nos nationaux seraient plus ou moins menacés, et alors il va de soi que votre attitude devrait se modifier suivant que vous auriez à faire usage du droit de protection qui vous incombe en vertu de vos fonctions. Vous aurez d'ailleurs à vous concerter, le cas échéant, avec vos collègues étrangers, de manière à adopter autant que possible des résolutions communes. »

§ 500. Dans une autre circulaire de date postérieure, le ministre

français insiste plus particulièrement sur l'accord intervenu entre les puissances; il écrit le 10 septembre à ses représentants à l'étranger:

« Monsieur, l'ambassadeur d'Angleterre à Paris m'a donné communication des instructions adressées par l'Amirauté aux commandants des forces navales britanniques dans les eaux espagnoles pour leur tracer la conduite qu'ils auront à tenir désormais au milieu des événements qui se succèdent dans la Péninsule. Le gouvernement de la reine s'applique à interdire à ses agents tout acte qui pourrait être interprété comme une immixtion de leur part dans les affaires intérieures de l'Espagne. S'ils ont l'obligation d'user des procédés et des égards dus naturellement au pouvoir de fait, il leur est recommandé d'éviter avec le plus grand soin de se prononcer entre les différents partis qui se trouvent en présence ou d'en favoriser aucun. Ils doivent se borner à prendre les mesures commandées par les circonstances et reconnues par eux nécessaires pour la sécurité de leurs nationaux et la protection des intérêts anglais.

<< Les instructions que Lord Lyons a portées à ma connaissance entrent dans des prévisions circonstanciées pour l'éventualité où une ville actuellement au pouvoir du gouvernement de Madrid serait attaquée par des forces insurrectionnelles, et les ordres donnés dans cette hypothèse aux commandants de la marine royale sont fidèlement déduits du double principe de la non-intervention dans les discussions intestines de l'Espagne et de la protection matérielle due aux résidents étrangers, en cas d'insuffisance des garanties offertes par les autorités locales.

<< En m'adressant cette communication, M. l'ambassadeur d'Angleterre m'a exprimé le désir de voir le gouvernement français partager le sentiment des ministres britanniques et donner en conséquence à sa marine et à ses consuls des instructions qui leur permettent de suivre, dans les conjonctures qui peuvent se présenter, une ligne de conduite analogue à celle qui est prescrite aux officiers anglais.

« Nous avons répondu au cabinet de Londres avec un empressement d'autant plus sincère que les principes qu'il recommande sont précisément ceux qui nous avons adoptés nous-mêmes, aussitôt qu'a éclaté la crise à laquelle nous assistons. L'incertitude qui avait pu jusqu'à un certain point se produire tout d'abord dans l'opinion sur les intentions de l'Angleterre, par suite du concours prêté par sa marine pour la capture des navires espagnols insur

Doctrines professées.

Cas

du Porteña.

gés, se trouve ainsi dissipée entièrement. La communication de Lord Lyons démontre que le fait d'un commandant anglais surpris, avant d'avoir reçu ses instructions, par une situation sans précédents n'a point engagé l'action de son gouvernement, et l'empressement loyal que met le cabinet de Londres à établir sur ce point les véritables règles du droit public, nous donne lieu de nous applaudir du soin que nous avons eu de ne pas nous en écarter un instant. »

§ 501. Les doctrines professées et traduites en faits positifs par les grandes puissances, doctrines que nous venons de mentionner, et qui n'ont été contredites par aucune autre nation, confirment les principes suivants du droit coutumier, savoir :

1° Chez une nation où existent différentes factions, le gouvernement de fait, qui a assumé et exerce le pouvoir public, généralement accepté, obéi dans le pays, parce qu'il réunit les éléments les plus stables de légalité, doit être considéré comme représentant la souveraineté de ce pays, quoique les puissances ne l'aient pas reconnu officiellement;

2o Les navires de guerre naviguant avec l'autorisation ou une commission de ce gouvernement sont investis de la représentation légale; ce sont les seuls qui puissent invoquer les immunités inhérentes aux navires officiels de l'Etat;

3o Les navires armés par les factions opposées à ce gouvernement de fait et non reconnues comme belligérants manquent de toute représentation; ils peuvent être détenus et pris en haute mer et même dans les eaux de leur propre Etat, quand ils commettent des violations du droit des gens au détriment de nations tierces ou de leurs citoyens, ou quand ils abordent dans les ports de ces nations; et dans l'un et l'autre cas ils peuvent être remis au gouvernement à l'obéissance duquel ils se sont soustraits par la rébellion.

§ 502. La conduite suivie dans ces circonstances par les grandes puissances de l'Europe a servi de guide au gouvernement brésilien dans le cas du vapeur argentin le Porteña et du vapeur espagnol le Montezuma.

Le premier de ces navires, qui était employé à faire le service. entre Buenos Aires et Montévidéo, avait été, le 4 octobre 1873, à la sortie de ce dernier port, pris par une bande de jordanistes, de la province d'Entre-Rios, alors en rébellion contre le gouverncment national de la République Argentine. Dès qu'il eut connaissance de ce fait, le consul argentin à Montévidéo s'adressa à

la légation du Brésil, afin qu'elle transmit au chef de la station. navale brésilienne l'ordre d'agir au besoin contre le Porteña comme il est d'usage à l'égard des navires pirates, attendu qu'il existait des présomptions que les individus qui s'étaient emparés de ce vapeur, le destinaient à des actes de piraterie.

Il importe de faire observer que le Brésil n'avait pas reconnu l'état de guerre entre le gouvernement national de la République Argentine et Lopez Jordan, chef du mouvement dans la province soulevée, et qu'il continuait de traiter comme l'autorité légitime du pays le gouvernement central de Buenos Aires, qui l'était réellement de fait et de droit.

Dépêche du

gouverne

Le 17 octobre, le ministre des affaires étrangères du Brésil, le vicomte de Caravellas, adressait la dépêche suivante au ministre ment brésilien à Montévidéo :

« Quand, par suite de la communication à vous adressée par le consul argentin, vous avez donné connaissance de ce qui se passait au commandant de la station navale, afin que dans la conjoncture il adoptât les mesures qu'il jugerait les plus convenables conformément aux règles du droit maritime, on ne semblait avoir aucune certitude sur le caractère véritable des auteurs de l'acte de violence en question. Dans votre dépêche n° 24, vous dites que ces hommes étaient à bord du navire comme passagers, dans le but, paraissait-il, de porter des armes et des munitions aux insurgés d'Entre-Rios.

« Les choses étant ainsi, vous ne deviez pas laisser au libre arbitre du chef de nos forces maritimes la manière d'agir qu'il conviendrait le mieux d'adopter. La question était une question internationale et par cela même de votre compétence comme agent diplomatique d'une puissance neutre; vous aviez uniquement à recommander au commandant d'observer la conduite qui, après qu'il aurait recueilli des informations sûres, paraîtrait la plus convenable; en un mot, c'est à la légation qu'il appartient de régler les actes de la station navale selon les circonstances. Dans les questions de cet ordre, il ne convient pas que les agents militaires se considèrent comme indépendants des légations.

« Ce principe posé, je vais exposer les raisons qui ont déterminé le gouvernement impérial à regarder comme inopportune la permission que vous avez donnée en prenant simplement pour point de départ les communications que vous avait adressées le consul argentin.

A ce moment, il n'y avait que des présomptions touchant le fait pratiqué contre le Porteña; et comme la guerre civile existait dans

lien.

brési

la République Argentine, l'hypothèse la plus probable était, comme cela a été constaté depuis, que ce vapeur avait été pris par des gens appartenant au parti politique qui est actuellement en lutte avec le gouvernement légal de cette République, et qui, non content du résultat de ses hostilités par terre, voulait faire aussi par eau tout le mal possible à son adversaire.

« Dans ce cas-là, le parti Jordaniste se trouvait dans une situation identique à celle des insurgés espagnols; et là, comme en Espagne, on avait eu intérêt, dans le pays qui est notre voisin, d'assimiler les insurgés maritimes aux pirates, le gouvernement légal se proposant non seulement de les traiter comme des voleurs de mer ou de rivières, mais aussi d'obtenir des nations étrangères qu'elles les traitassent comme tels. Ainsi s'explique la teneur de la première dépêche que vous avez reçue du consul argentin, M. Villegas.

Cependant vous n'ignorez pas ce qui s'est passé relativement à l'Espagne. La France, l'Angleterre et les autres nations ont admis que les navires des insurgés pourraient être pris ou désarmés seulement dans le cas où ils entreraient dans les ports des pays respectifs, mais qu'on ne s'engagerait pas à les poursuivre dans les eaux d'usage commun. Le gouvernement allemand désapprouva formellement le commandant Werner, du cuirassé le Frédéric-Charles, d'avoir capturé des embarcations montées par les insurgés.

« Cette règle, qui est observée par les puissances les plus civilisées et concilie parfaitement l'appui dù à l'ordre légal de tous les pays avec les devoirs d'une neutralité bien comprise, est celle que le Brésil entend suivre aussi.

«Il résulte de la dépêche que j'ai reçue de la légation impériale à Buenos Aires et d'autres sources que ceux qui ont assailli le Portena ont débarqué à San Ignacio, sur la côte de Maldonado, au moment où échouait le vapeur, qui à cette date est peut-être totalement perdu.

« La présente dépêche a pour but de vous mettre au courant de la conduite que mon gouvernement prétend observer dans tous les cas analogues qui se présenteront à l'avenir, en exigeant que nos escadres et nos légations ne traitent pas comme pirates les navires. soupçonnés d'appartenir aux insurgés d'une nation, si ce n'est dans le cas où ces navires porteraient atteinte au pavillon brésilien, aux personnes ou aux propriétés brésiliennes.

« A part cela, si un de ces navires entre paisiblement dans quelqu'un de nos ports de mer ou de rivière, il sera obligé d'en sortir comme navire dépourvu de représentation légale. »

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