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§ 503. Le vapeur Montezuma, dans l'origine navire marchand espagnol, passé au service de l'insurrection cubaine, se trouvait dans un cas analogue à celui du Porteña.

Au commencement de 1877, ce navire étant parvenu dans les eaux de Cuba ou dans le voisinage, des insurgés de cette île, qui se trouvaient à bord comme passagers, s'en emparèrent, lui donnèrent le nom du Cespedes; puis, ayant arboré le pavillon cubain, ils l'employèrent à attaquer les navires marchands de l'Espagne dans le Rio de la Plata.

La légation d'Espagne à Rio de Janeiro, demanda au gouvernement brésilien que, si le Montezuma arrivait dans quelque port de l'Empire, il fùt traité comme pirate et soumis à toute la rigueur des lois. En réponse à cette demande, le baron de Cotejipe, ministre des affaires étrangères du Brésil, adressa, le 12 janvier, la dépêche suivante à M. de Estefani, chargé d'affaires d'Espagne :

« Le gouvernement de Sa Majesté Catholique peut soumettre le Montezuma à toute la rigueur de ses lois comme pirate. Personne ne lui déniera ce droit; mais le gouvernement impérial, qui est étranger à la question de l'île de Cuba, ne se trouve pas obligé d'agir de la même façon; et en refusant de le faire il suit une règle généralement admise, qui est la première à laquelle il doive se conformer dans la question actuelle. Comme preuve de ce que je dis et sans appliquer le principe au cas de l'île précitée, qu'il me soit permis de signaler que tout gouvernement qui n'est pas intéressé dans une insurrection, a dans de certaines circonstances la faculté de reconnaître aux insurgés le caractère de belligérants.

« Il n'est pas douteux que l'île de Cuba soit en état de rébellion et que les individus qui se sont emparés du Montezuma, soient des insurgés de cette île. Cette circonstance à laquelle M. de Estefani lui-même fait allusion dans sa première note suffit pour donner au fait de ces individus la signification politique qui leur méconnaît dans sa seconde. Bien plus M. de Estefani dit que les insurgés destinaient le vapeur à attaquer les navires marchands de l'Espagne dans le Rio de la Plata; d'où il résulte, le cas étant bien examiné, que ces insurgés paraissent être des agents politiques agissant dans des fins politiques.

« Les pirates, à proprement parler, sont ceux qui courent les mers pour leur propre compte, sans autorisation compétente, dans le but de s'emparer de force des navires qu'ils rencontrent, en commettant des déprédations contre toutes les nations indistinctement. Cette définition ne peut certainement s'appliquer à ceux qui ont pris

Cas du Montezuma

Cas du Huascar.

le Montezuma. A cela s'opposent les arguments mêmes mis en avant par la législation de Sa Majesté Catholique. Les hostilités qu'elle dénonce et prévoit ne sont pas dirigées contre toutes les nations, mais uniquement contre l'Espagne; elles n'ont par pour but de commettre des déprédations, mais d'aider la cause d'une colonie en insurrection.

« C'est pour ces considérations, qui me paraissent concluantes, que le gouvernement impérial ne se croit pas autorisé à ordonner la saisie du vapeur; et en admettant qu'il s'y déterminât, les tribunaux, envisageant le cas sous un autre aspect, ne se jugeraient pas compétents, parce que ledit acte aurait été accompli sur un navire espagnol par des individus qui se trouvaient à bord ou dans des eaux qui n'étaient pas brésiliennes.

« On ne saurait invoquer le traité d'extradition entre le Brésil et l'Espagne. Le chargé d'affaires ne demande pas qu'on livre les gens qui ont pris le Montezuma, mais qu'on les punisse au Brésil. Le traité n'éclaircit donc pas la question et ne fournit point d'arguments contre la décision du gouvernement espagnol.

« M. de Estefani ne se juge pas compétent pour apprécier l'analogie qui peut exister entre le cas du Montezuma et celui d'autres navires. Je me permettrai de lui rappeler que l'analogie entre le Montezuma et le Porteña est complète. Tous les deux, étrangers au Brésil et naviguant dans des eaux qui ne sont pas brésiliennes, ont été pris par des individus qui étaient à bord comme passagers et servaient d'agents aux insurgés. S'il y a une différence, c'est celle qui provient de la durée de la lutte dans la province argentine et dans la colonie espagnole.

« Le gouvernement impérial respecte les principes acceptés par les nations civilisées; c'est pourquoi il ne croit pas de son devoir de consentir à la demande de la légation d'Espagne. »

§ 504. L'affaire du Huascar, survenue dans l'été de 1877, et qui depuis a donné lieu à des pourparlers entre le Pérou et l'Angleterre, offre une situation à peu près identique à celle du Porteña.

Le Huascar était un navire cuirassé appartenant à la marine de guerre péruvienne, qui, dans la soirée du 6 mai 1877, fut enlevé à l'obéissance de ses chefs par la défection de quelques officiers subalternes et réussit à sortir du port de Callao pour se diriger vers le Sud.

Deux jours après cet événement, le président du Pérou rendait un décret déclarant que la République n'était pas responsable des actes des rebelles, de quelque nature qu'ils fussent, et autorisant la cap

ture du Huascar en offrant de « récompenser convenablement quiconque n'appartenant pas aux équipages de l'escadre d'opération le ramènerait sous l'autorité du gouvernement ou y coopérerait. » En même temps il envoyait à la poursuite du navire révolté l'escadre péruvienne, et des troupes, dans les endroits du littoral où il pourrait se diriger.

Pendant ce temps, le Huascar atteignait Mollendo. Là deux de ses officiers allèrent à bord d'un vapeur anglais de la compagnie de navigation du Pacifique, le Santa Rosa, mouillé dans le port, demander qu'on leur livrât la correspondance dont le vapeur était porteur pour le gouvernement du Pérou; sur le refus qui leur fut opposé, ils se retirèrent.

Continuant sa route vers le Sud, le Huascar, quelques jours après, le 28 mai, arrêta un autre vapeur de la même compagnie, le John Elder, de qui il réclama également la correspondance pour le gouvernement du Pérou, qu'on refusa de lui livrer; alors l'officier du Huascar se retira, après avoir acheté divers objets argent comptant. L'arrêt du John Elder avait duré une heure cinq mi

nutes.

Le même jour, le Huascar s'étant rendu maître du port de Pisagua, dont la garnison était trop faible pour résister aux forces qu'il débarqua, nomma des employés de douane et autres à la place de ceux qui avaient abandonné leurs postes pour ne pas se soumettre aux rebelles. Dans ces circonstances, survint un autre vapeur de la compagnie du Pacifique, le Colombia, dont le capitaine, ne trouvant pas les autorités légitimes, remit entre les mains de celles qui en avaient usurpé la place la correspondance destinée à cette localité, et laissa sans opposition emmener hors de son bàtiment deux chefs péruviens, le colonel Varela et le lieutenantcolonel Espinosa, qui voyageaient avec mission du gouvernement. Pendant l'espace de trois jours que dura l'occupation de Pisagua par les forces du Huascar, celui qui les commandait ordonna à la barque anglaise Imuncina, mouillée dans le port, de lui livrer plusieurs tonnes de charbon appartenant à un citoyen péruvien, M. Loayza; le transbordement sur le Huascar se fit par les hommes de l'équipage de celui-ci, et le commandant remit au capitaine l'Imuncina un reçu signé de lui.

De Pisagua le Huascar se dirigea sur les ports de la Bolivic du Chili. A Cobija, il reçut une note, datée de Callao le 16 mai, contre-amiral anglais de Horsey, qui lui signifiait qu'il ne pouva tolérer aucune ingérence à l'égard de navires

nropriétés et de

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sujets anglais, de la part d'un navire révolutionnaire, et que tout acte de cette nature le mettrait dans le cas de saisir ce navire et de le livrer à l'autorité légitime. La note rappelait les faits relatifs à la Santa Rosa et au John Elder, et ajoutait que toute détention violente de sujets anglais à bord du Huascar serait aussi un motif

de saisie.

Le commandant du Huascar répondit que le contre-amiral anglais devait être neutre dans les questions intérieures du Pérou et qu'il se trompait en supposant que le Huascar s'attaquait aux personnes ou à des intérêts anglais; que, quant à lui, il résisterait à toute agression.

De Cobija, le Huascar se rendit de nouveau sur le littoral du Pérou, et le 28 mai, il tenta de s'emparer une autre fois de Pisagua; mais il fut contraint de s'enfuir pour éviter l'escadre péruvienne qui surveillait ses mouvements.

Le lendemain, il fut rencontré en face de Pacocha par les navires de Sa Majesté Britannique Shah et Amethyst. Le contre-amiral de Horsey, qui était sur le premier de ces navires, somma le Huascar de se rendre en donnant l'assurance aux personnes qui se trouvaient à bord, qu'elles seraient respectées et débarquées où elles le voudraient, mais que dans le cas contraire, elles seraient sujettes à être traitées comme pirates. Cette sommation ayant été repoussée, les navires anglais attaquèrent le Huascar, qui soutint le combat pendant plusieurs heures en face de la ville de Pacocha, où la chute des projectiles causa des dommages assez considérables. Pendant la lutte, le contre-amiral avait dirigé des torpilles sur le Huascar, qui réussit à les éviter.

Après avoir éprouvé de graves avaries, eu un homme mort et plusieurs blessés, le monitor, profitant de l'obscurité de la nuit, quitta Pacocha et gagna Iquique, où se trouvait l'escadre péruvienne, à laquelle il se rendit.

Cependant le contre-amiral, qui ignorait ce mouvement, envoya à Pacocha une autre expédition de torpilles contre le Huascar. L'officier qui la dirigeait prit pour lui un autre vapeur, la Maria Luisa, mouillé dans le même port, et s'en approcha pour l'attaquer; mais il reconnut son erreur à temps et apprit du capitaine de la Maria Luisa, le départ du Huascar.

Le 31 mai, le contre-amiral, ayant suivi le Buascar à Iquique, envoya pour le détruire une troisième expédition de torpilles, qu'il fit revenir lorsqu'il connut la reddition du navire rebelle; puis les navires de Sa Majesté Britannique allèrent mouiller dans le port à

côté de l'escadre péruvienne, avec laquelle ils échangèrent des saluts.

A propos de ces agissements du contre-amiral de Horsey, le chargé d'affaires anglais adressa au gouvernement péruvien une déclaration par laquelle il expliquait qu'on s'était vu obligé d'intervenir à cause des actes d'hostilité commis, par le Huascar, contre des propriétés et des navires anglais, mais qu'on l'avait fait uniquement dans le but de protéger ces navires, et non pour agir pour ou contre le gouvernement péruvien, attendu que le devoir était d'observer une stricte neutralité dans les affaires intérieures de la République.

Le gouvernement péruvien ne se contenta pas de ces déclarations et adressa directement au gouvernement anglais une demande de réparation, fondée sur le double argument de la conduite abusive du contre-amiral anglais et de la violation des eaux territoriales du Pérou.

M. Pedro Galvez, ministre du Pérou à Londres, dans les notes successives qu'il remit au Foreign office, le 27 novembre 1877 et le 12 juillet 1878, à l'appui de cette demande, expose clairement la position du navire rebelle et le caractère respectif des actes qui lui sont imputés, ainsi que des procédés employés contre lui par le contre-amiral anglais.

Il commence par établir la nationalité du Huascar, qui par sa rébellion avait, il est vrai, perdu tout droit à représenter l'autorité nationale et était devenu responsable de ses propres actes; mais sa rupture avec le gouvernement péruvien n'avait et ne pouvait avoir un caractère absolu, puisque le gouvernement, loin de renoncer à le reprendre, a employé tous les moyens pour y parvenir ses officiers, quoique coupables, n'avaient pas cessé d'être Péruviens, et c'est le devoir du Pérou, de s'opposer à ce que, par rapport à eux, on enfreigne les principes de la justice et de l'humanité.

Ce point établi, M. Galvez recherche quelle était la situation réelle, le statut du navire rebelle. En premier lieu, il s'attache à démontrer par les faits qu'on ne pouvait à aucun titre lui attribuer le caractère de belligérant.

Il est constaté que, le 6 mai 1877, il n'y avait et n'était survenu au Pérou, pendant les vingt-quatre jours suivants, qu'ont duré les aventures du Huascar, ni guerre civile ni soulèvement d'aucune sorte dans une seule localité de la république. Aux termes de la législation du pays, l'insurrection de ce navire était simplement un

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