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IV. SERMON

POUR

LE IER DIMANCHE DE CARÊME.

SUR LA PÉNITENCE. ́

Trois motifs pressans qui doivent exciter les hommes à la pénitence. Vaines idoles que le pécheur se fait de la miséricorde et de la justice assurance de la rémission pour ceux qui retournent à Dieu. Difficulté de la conversion: puissance de Dieu pour l'opérer. Caractères de la vraie pénitence et ses effets. Prix du temps que Dieu nous accorde: pourquoi les hommes le perdent si aisément : illusions qu'il leur fait. Nécessité d'une pénitence qui ne connoisse point de délais.

Adjuvantes autem exhortamur ne in vacuum gratiam Dei recipiatis.

Nous vous exhortons, en vous aidant, que vous ne receviez point en vain la grâce de Dieu. II. Cor. vi. I.

C'EST avec raison, chrétiens, que nous reprochons aux pécheurs que leur infidélité est inexcusable: car il n'y a grâce, il n'y a remède, il n'y a sorte de secours qu'ils puissent demander à Dieu pour se retirer de l'abîme, qui ne leur soit tous les jours offert par cette miséricorde infinie qui ne veut pas leur mort, mais leur conversion. Pour nous en convaincre,

mes Frères, examinons, je vous prie, attentivement ce que peut désirer un homme que le remords de sa conscience presse de retourner à la droite voie. La première pensée qui lui vient, est celle de ses péchés, dont l'horreur et la multitude le font douter du pardon. Sur cela nous lui annonçons de la part de Dieu et de notre Seigneur Jésus-Christ, qui est notre propitiateur par son sang; nous, dis-je, dans lesquels il a plu à Dieu de mettre le ministère de paix et de réconciliation, nous lui annonçons l'indulgence et la rémission de ses crimes. Il commence à respirer dans cette espérance; mais une seconde difficulté le vient rejeter dans de nouveaux troubles; c'est l'obligation de changer sa vie ou ses inclinations corrompues; et ses habitudes invétérées lui font sentir des empêchemens qu'il ne croit pas pouvoir jamais surmonter. Pour le rassurer de cette crainte, nous lui découvrons dans les mains de Dieu, et dans les secrets de sa puissance, des remèdes, premièrement très-efficaces, puisqu'ils guérissent infailliblement tous ceux qui s'en servent, et secondement très-présens, puisqu'on les donne toujours à qui les demande. Ainsi les plus grands pécheurs ne pouvant douter, ni du pardon s'ils se convertissent, ni de leur conversion s'ils l'entreprennent, ils n'ont plus rien à désirer que du temps pour accomplir cet ouvrage et sur ce sujet, chrétiens, ce n'est pas à nous à leur répondre; mais Dieu se déclare assez par les effets mêmes: car il prolonge leur vie, il dissimule leur ingratitude; et reculant tous les jours le temps destiné à la colère, il fait connoître assez clairement qu'il veut donner du loisir à la pénitence.

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Par où il nous montre, mes Frères, qu'il ne refuse rien aux pécheurs de ce qui leur est nécessaire. Ils ont besoin de trois choses; de la miséricorde divine, de la puissance divine, de la patience divine de la miséricorde pour leur pardonner, de la puissance pour les secourir, de la patience pour les attendre; et Dieu accorde tout libéralement. La miséricorde promet le pardon, la puissance offre le secours, la patience donne le délai. Que reste-t-il maintenant, sinon que nous disions aux pécheurs avec l'apôtre: Adjuvantes autem exhortamur ne in vacuum gratiam Dei recipiatis? « Nous vous exhor » tons, mes Frères, que vous ne receviez pas en » vain la grâce de Dieu » : ne rejetez pas la grâce de la rémission qui promet d'abolir vos crimes; ne recevez pas en vain la grâce de la conversion du cœur qui s'offre pour corriger vos mœurs dépravées; enfin ne recevez pas en vain cette troisième grâce si considérable qui vous est donnée pour faire profiter les deux autres; je veux dire le temps, ce temps précieux dont il ne s'écoule pas un seul moment qui ne puisse vous valoir une éternité. Voilà, mes Frères, trois motifs pressans pour exciter les hommes à la pénitence, et c'est le partage de ce discours.

PREMIER POINT.

Il est assez naturel à l'homme de se laisser emporter facilement aux extrémités opposées. Le malade pressé de la fièvre, désespère de sa guérison; le même étant rétabli s'imagine qu'il est immortel. Dans les horreurs de l'orage, le nautonnier effrayé dit un adieu éternel aux flots; mais aussitôt que la

mer est un peu appaisée, il se rembarque sans crainte, comme s'il avoit dans ses mains les vents et les tempêtes. Cet homme qui s'est pensé perdre dans une intrigue dangereuse, renonçoit de tout son cœur à la Cour; et à peine s'est-il démêlé, qu'il se rengage de nouveau, comme s'il avoit essuyé toute la colère de la fortune. Cette conduite inégale et désordonnée éclate principalement dans les pécheurs, mais d'une manière opposée. Car cette folle et téméraire confiance par laquelle ils se nourrissent dans leurs péchés, les conduit à la fin au désespoir : ils passent du désespoir à l'espérance : dans la chaleur de leurs crimes, ils ne peuvent croire que Dieu les punisse; et puis, accablés de leur pesanteur, ils ne peuvent plus croire que Dieu leur pardonne; « et ils vont de péchés en péchés comme à » une ruine certaine, désespérés par leur espérance»: Feruntur magno impetu, nullo revocante, spe desperati (1).

En effet, considérez cet homme emporté dans l'ardeur de sa passion; il ne trouve aucune apparence qu'un Dieu si grand et si bon veuille tyranniser sa créature, ni exercer sa puissance pour briser un vaisseau de terre : long-temps il s'est flatté de cette pensée, qu'il n'étoit pas digne de Dieu de se tenir offensé de ce que faisoit un néant, ni de s'élever contre un néant. Après, une seconde réflexion lui fait voir combien cette entreprise est furieuse, qu'un néant s'élève contre Dieu. Là il se dit à luimême ce que crioit le prophète à ce capitaine des Assyriens: «< Contre qui as-tu blasphémé, contre (1) S. Aug. Serm. xx, n. 4, tom. v, col. 108.

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» qui as-tu élevé ta voix et tourné tes regards superbes »? Quem blasphemasti, contra quem exaltasti vocem tuam, et elevasti in excelsum oculos tuos? « C'est contre le Saint d'Israël », c'est contre un Dieu tout-puissant: Contra Sanctum Israel (1). Son audace insensée le confond; et lui, qui ne voyoit rien qui pût épuiser la miséricorde, ne voit plus rien maintenant qui puisse appaiser la justice. Mais voici la cause apparente de cet égarement prodigieux : c'est en effet, chrétiens, que l'une et l'autre de ces qualités est d'une grandeur infinie, je veux dire la miséricorde et la justice : de sorte que celle que l'on envisage occupe tellement la pensée, qu'elle n'y laisse presque plus de place pour l'autre ; d'autant plus que paroissant opposées, on ne comprend pas aisément qu'elles puissent subsister ensemble dans ce suprême degré de perfection ce qui fait que la grande idée de la miséricorde fait que le pécheur oublie la justice, et que la justice réciproquement détruit en son esprit la miséricorde; de sorte que l'abattement de son désespoir égale les emportemens et la folle présomption de son espérance.

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Il nous faut détruire, Messieurs, ces vaines idoles de la miséricorde et de la justice, que le pécheur aveuglé adore en la place de la véritable justice et de la véritable miséricorde. Vous vous trompez, pécheurs, lorsque vous vous persuadez follement que ces deux qualités sont incompatibles, puisqu'au contraire elles sont amies. Car, mes Frères, la bonté de Dieu n'est pas une bonté insensible, ni une bonté (1) IV. Reg. XIX. 22.

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