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droit ce discours qui résumait la situation; « mais, disait-il, je crois utile, au commencement d'une nouvelle législature, d'examiner avec vous ce que nous sommes et ce que nous voulons. Il n'y a que les causes bien définies, nettement formulées, qui créent des convictions profondes; il n'y a que les drapeaux hautement déployés qui inspirent des dévouements sincères. >>

« Qu'est-ce que l'Empire? continuait Sa Majesté. Est-ce un gouvernement rétrograde, ennemi des lumières, désireux de comprimer les élans généreux et d'empêcher daus le monde le rayonnement pacifique de tout ce que les grands principes de 89 ont de bon et de civilisateur?

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Non, l'Empire a inscrit ces principes en tête de sa Constitution; il adopte franchement tout ce qui peut ennoblir les cœurs et exalter les esprits pour le bien; mais aussi, ennemi de toute théorie abstraite, il veut un Pouvoir fort, capable de vaincre les obstacles qui arrêteraient sa marche; car, ne l'oublions pas, la marche de tout Pouvoir nouveau est longtemps une lutte. Et l'Empereur, s'appuyant sur l'histoire de l'Angleterre et de la France, rappelait, comme une vérité, qu'une liberté sans entraves était impossible tant qu'il existait dans un pays une fraction obstinée à méconnaître les bases fondamentales du Gouvernement. « Car alors la liberté, au lieu d'éclairer, de contrôler, d'améliorer, n'est plus dans la main des partis qu'une arme pour renverser. »

Ces hautes considérations, Napoléon III lcs faisait suivre de cette conclusion bien significative, surtout dans les circonstances actuelles: « Comme je n'ai pas accepté le pouvoir de la nation dans le but d'acquérir cette popularité éphémère, prix trompeur de concessions arrachées à la faiblesse, mais afin de mériter un jour l'approbation de la postérité en fondant, en France, quelque chose de durable, je ne crains pas de vous le déclarer aujourd'hui, le danger, quoi qu'on dise, n'est pas dans les prérogatives excessives du Pouvoir, mais plutôt dans l'absence de lois répressives. »

Le chef de l'État rappelait comme preuve l'affligeant spectacle qu'avaient offert, malgré leur résultat satisfaisant, «<les dernières élections. » Les partis hostiles en avaient profité pour agiter

le pays, et on avait vu « quelques hommes s'avouant hautement ennemis des institutions nationales, tromper les électeurs par de fausses promesses, et, après avoir brigué leurs suffrages, les rejeter ensuite avec dédain.

» Vous ne permettrez pas qu'un tel scandale se renouvelle, et vous obligerez tout éligible à prêter serment à la Constitution avant de se porter candidat. >>

Ainsi disait l'Empereur, et il faisait ensuite appel au concours des représentants du pays pour rechercher a les moyens de réduire au silence les oppositions extrêmes et factieuses... » Il accueillait avec empressement, sans s'arrêter à leurs antécédents, tous ceux qui reconnaissaient la volonté nationale. « Quant aux provocateurs de troubles et aux organisateurs de complots, qu'ils sachent bien, reprenait Sa Majesté, que leur temps est passé. >>

L'Empereur terminait son discours en s'expliquant au sujet de la criminelle tentative qui venait d'avoir lieu. Il déplorait qu'on fit « tant de victimes pour attenter à la vie d'un seul. Cependant, il faisait remarquer que ces complots portent avec eux plus d'un enseignement utile: le premier, c'est que les partis qui recourent à l'assassinat prouvent, par ces moyens désespérés, leur faiblesse et leur impuissance; le second, c'est que jamais un assassinat, vînt-il à réussir, n'a servi la cause de ceux qui avaient armé le bras des assassins. Ni le parti qui frappa César, ni celui qui frappa Henri IV, ne profitèrent de leur meurtre. Dien permet quelquefois la mort du juste, mais il ne permet jamais le triomphe de la cause du crime. »

Toute la philosophie de l'histoire donnait raison en ce point à l'Empereur. Aussi bien ajoutait-il, que ces tentatives ne pouvaient troubler ni sa sécurité dans le présent, ni sa foi dans l'avenir. « Si je vis (c'est Napoléon III qui parle), l'Empire vit avec moi, et, si je succombais, l'Empire serait encore affermi par ma mort même, car l'indignation du peuple et de l'armée serait un nouvel appui pour le trône de mon fils.

>>Envisageons donc l'avenir avec confiance, livrons-nous sans préoccupations inquiètes à nos travaux de tous les jours pour le bien et la grandeur du pays. Dieu protége la France!»

Tel était en substance le discours impérial, dont les développements inaccoutumés, mais du plus haut intérêt, rappelaient les messages présidentiels des États-Unis; car rien dans cet exposé n'était omis, et tout s'y trouvait mis en lumière.

Mais aussi, il faut le dire, une teinte sombre s'y rencontrait : l'Empereur signalait l'insuffisance des « lois répressives. » A peine est-il nécessaire de remarquer que l'attentat du 14 janvier était la cause occasionnelle de cette annonce d'une politique plus rigoureuse. Déjà il avait motivé la suppression de deux journaux; que devait-il survenir encore? C'est ce que l'on se demandait.

Le 27 janvier, un décret, rendu sur le rapport du maréchal Vaillant, répartit en cinq grands commandements les troupes de ligne stationnant dans l'intérieur de l'Empire. Le premier commandement comprendrait les 1re, 2 et 3 divisions territoriales, et aurait son quartier général à Paris; le deuxième embrasserait les 4o, 5o, 6o et 7° divisions, avec quartier général à Nancy; le troisième (8°, 9o et 10° divisions) aurait son quartier général à Lyon; le quatrième (11, 12, 13 et 14° divisions) aboutirait comme quartier général à Toulouse; le cinquième enfin (15, 16, 17, 18, 19 et 20° divisions) aurait pour quartier général la ville de Tours.

Ces cinq grands commandements « seraient confiés, portait le décret, à des maréchaux de France, qui reçoivent le titre de commandant supérieur... » La pensée de cette innovation se trouvait en quelque sorte dans les articles 4 et 7: « les généraux commandant les divisions militaires territoriales doivent (art. 4) au commandant supérieur des rapports sur la situation, le service, la discipline et l'instruction des troupes; mais ces généraux conservent leurs relations directes avec le ministre pour tout ce qui est du ressort du commandement territorial. » En cas de troubles, mais dans ce cas seulement, les commandants supérieurs font, de leur chef, les mouvements et concentrations de troupes qu'ils jugent nécessaires (art. 7).

Voici maintenant comment le ministre de la guerre motivait cette concentration des forces militaires. « La plupart des grandes puissances, disait-il, ont leurs forces constamment réunies

en armées ou corps d'armée; la France, au contraire, distribue ses troupes en divisions territoriales, complétement indépendantes les unes des autres, et n'ayant de lien commun que l'autorité supérieure du ministre de la guerre. »

Inconvénient de cette organisation : les chefs destinés à exercer un commandement pendant la guerre étaient tenus éloignés, pendant la paix, des troupes qu'ils étaient appelés à diriger. Outre qu'elle ferait cesser cet inconvénient, la mesure proposée donnerait aux commandants de divisions, « maintenant isolés les uns des autres et la plupart éloignés du centre du Gouvernement, une force de cohésion qui leur manque aujourd'hui. Les troupes, nécessairement dispersées en tant de garnisons différentes et inégalement réparties sur la surface de l'Empire, pourraient, à un moment donné, « être rapidement réunies, par groupes importants, dans la main d'un seul chef, et se trouveraient ainsi en mesure d'assurer, sur tous les points, l'ordre public et la sécurité du territoire. »

Comme le faisait remarquer le maréchal Vaillant, cette création rappelait d'autres époques; il était seulement fâcheux qu'elle se produisit à l'occasion d'un crime atroce, conçu au dehors, et qui ne pouvait pas avoir modifié l'esprit général du pays. Cependant, les actes destinés à prévenir les effets de nouvelles tentatives, isolées ou collectives, des ennemis du Gouvernement, suivaient leur cours. Le 7 février, décret qui nomme ministre de l'intérieur et de la sûreté générale (attribution nouvelle) le général Espinasse, aide de camp de l'Empereur, en remplacement de M. Billault, dont la démission est acceptée.

Dès le 1er du même mois le Sénat était saisi d'un message impérial relatif à la Régence. « Le sénatus-consulte du 17 juillet 1856 laisse (c'est l'Empereur qui parle) une incertitude que je veux faire cesser dès aujourd'hui. En effet, il ne confère la régence à l'Impératrice, ou, à son défaut, aux princes français, que si l'Empereur n'en a autrement disposé par acte public ou secret.

Je crois satisfaire au vœu public, en même temps que j'obéis à mes sentiments de haute confiance pour l'Impératrice, en la désignant comme Régente. Mû par les mêmes sentiments, je

désigne à son défaut, pour lui succéder dans la Régence, les princes français dans l'ordre de l'hérédité de la couronne. »>

Ainsi plus d'obscurité, on n'aura pas à rechercher s'il existe un acte public ou secret dérogatoire à la délégation de la Régence à l'Impératrice. Une autre incertitude pouvait provenir des alternatives laissées par l'article 18 du même sénatus-consulte en ce qui concernait le Conseil de régence: pour faire cesser également le doute à ce sujet, le message annonçait l'institution d'un Conseil privé qui, avec l'adjonction des deux princes français les plus proches dans l'ordre de l'hérédité, deviendrait le Conseil de régence par le seul fait de l'avénement de l'Empereur mineur, si, à ce moment, il y en avait un autre constitué par acte public. « Ce Conseil privé, ajoutait S. M., composé d'hommes ayant ma confiance, sera consulté sur les grandes affaires de l'Etat, et se préparera par l'étude des devoirs et des nécessités du Gouvernement au rôle important que l'avenir peut lui réserver. »

Le Message de l'Empereur était suivi de lettres patentes conférant à l'Impératrice Eugénie le titre de Régente a pour porter ledit titre, et en exercer les fonctions à partir du jour de l'avénement de l'Empereur mineur. »

Présentation simultanée au Sénat d'un décret (même date) institutif du Conseil privé, qui se réunirait sous la présidence de l'Empereur. L'article 2 dispose que ce Conseil deviendra, avec l'adjonction des princes français, les plus proches dans l'ordre d'hérédité, conseil de Régence, dans le cas où l'Empereur n'en aurait pas désigné un autre par acte public (1).

Enfin, le même jour (1er février) décret qui investit le prince Jérôme Napoléon du droit d'assister aux réunions ordinaires et extraordinaires des Conseils, et porte qu'il les présidera pendant les absences de l'Empereur. Une Note du Moniteur, datée du 12 du même mois, peut être considérée comme le commentaire des mesures graves qui venaient d'être adoptées; il y était dit qu'elles étaient arrêtées depuis longtemps dans la pensée de

(1) Noms des membres du conseil privé, outre les princes siégeant dans l'ordre d'hérédité : le cardinal Morlot, le duc de Malakoff, M. A. Fould, M. Troplong, le comte de Morny, M. Baroche, le comte de Persigny.

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