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CHAPITRE III.

:

Législation ordinaire : Code de justice maritime. Motifs de cette loi; ses divisions. Elle se rapproche sur plusieurs points du Code de l'armée de terre. Observations et amendements de la Commission. Discussion en séances publiques; adoption. - Projet de loi relatif à la modification de l'article 259 du Code pénal, en d'autres termes, à l'usurpation des titres honorifiques. - Amendements de la Commission : elle propose, entre autres, la suppression du mot noblesse inséré dans le projet du Gouvernement. Discussion; intéressants débats MM. Belmontet, Lelut, Taillefer, Legrand, Olivier et autres honorables membres opposés au projet; M. Baroche le défend; ses arguments. Adoption de la loi proposée; minorité de vingt-trois votants. Note du Moniteur sur le même sujet. Projet de loi relatif aux Français possesseurs d'esclaves à l'étranger. Le décret de 1848 et la dénationalisation prononcée contre les propriétaitaires d'esclaves non encore affranchis. La Commission propose l'adoption du projet qui tendait à les relever de la déchéance, mais avec une rédaction plus précise. - Courte discussion et adoption. — Projet de loi relatif à la juridiction des Consuls français en Perse et dans le royaume de Siam. Motifs et utilité réelle de ce projet. Observations de la Commission. Adoption.

Le Sénat: ses actes publiés; les lois et les pétitions. Projet de Code rural. - Sénatus-consulte relatif au serment des candidats à la députation. Sénatus-consulte relatif à la haute cour de justice.

En dehors des matières économiques et financières dont il a été rendu compte dans le chapitre précédent, des questions d'un haut intérêt sollicitaient l'attention de la législature. En première ligne, la codification de la législation maritime. En 1856, l'armée de terre fut dotée d'un code (V. Annuaire). Cette fois l'armée navale eut son tour. L'état actuel de la législation en cette matière témoignait à lui seul de la nécessité de cette codification. En effet, lois incomplètes, nulle unité, modifications souvent dictées par les circonstances, et, partant, anomalies et lacunes, enfin, renvois tantôt aux lois ordinaires, tantôt aux lois militaires, c'est-à-dire confusion et nombreuses occasions de

conflits, telle était la situation. Les éléments divers, formant l'armée navale, avaient chacun une juridiction différente, des tribunaux spéciaux, des lois répressives séparées. Cinq juridictions donnant lieu à la formation de huit tribunaux ou conseils, exerçaient la justice en même temps. De là, dans l'application, des doutes et des difficultés.

Autres défauts de garantie: parmi ce grand nombre de tribunaux, la plupart n'étaient point permanents, et les jugements, sans recours ni appel (comme si l'on pouvait concevoir une justice infaillible), étaient exécutoires dans les vingt-quatre heures.

Quoique conforme aux mœurs et à l'état actuel de la civilisation, la suppression des châtiments corporels avait jeté le trouble dans l'échelle des peines, nonobstant le décret de 1852 sur cette matière. La nécessité d'une réforme était donc évidente.

Législation ancienne. Depuis et avant l'ordonnance du 13 août 1689, préparée par Colbert, et rendue sur le rapport du marquis de Seignelay, son fils, les mesures relatives à l'organisation de la marine avaient toujours eu un double objet : le personnel militant, et l'administration des ports et arsenaux. En ce qui concernait la justice maritime, le principe de l'ordonnance était que tous les délits commis à bord étaient du ressort du pouvoir disciplinaire du commandant, et punis par lui de peines correctionnelles. Quant aux crimes, ils étaient de la compétence d'un conseil de guerre qui s'assemblait à terre, sauf le cas où le crime avait été commis à bord ou en présence de l'ennemi. Le commandant, de l'avis de ses officiers, procédait alors suivant l'urgence.

La pénalité était celle du temps: la mort, les galères, les fers, le pain et l'eau, la fixation du coupable sur une barre de fer avec deux boulets au pied, la bouline, la cale.

A cette nomenclature il fallait ajouter la peine infligée au blasphémateur: mise aux fers, et, en cas de récidive, perforation de la langue.

Venait enfin la justice spéciale de l'arsenal; elle était définie dans l'article suivant :

L'intendant départi dans un port et arsenal de la marine, y exercera la justice et ordonnera de la police et finances, suivant le pouvoir qui lui est attribué par sa commission.

Une pareille pénalité ne pouvait s'expliquer que par l'esprit de l'époque.

1er août 1731, règlement confirmatif de ces dispositions. Edicté d'abord pour le port de Marseille, il s'applique en réalité à tous les ports du royaume; à la mer et dans les ports, maintien de la juridiction des commandants. Enfin, compétence du commandant de justice, police et finances des galères pour tous crimes et délits commis dans l'arsenal, bagues et magasins.

27 septembre 1776, ordonnance atténuante de la juridiction excessive de l'intendance et institutive (article 431) d'un conseil de marine, chargé de l'examen, de la conduite des officiers supérieurs en cette arme, durant les missions qui leur auraient été confiées. Disposition reproduite dans un décret de 1806, mais restée inappliquée.

25 mars 1785, ordonnance extensive de celle de 1776 quant à l'action du conseil de guerre.

21 mars 1790, loi destinée à mettre la législation maritime en harmonie avec les principes d'une constitution libre. Par suite, institution du jugement par jury et renvoi au titre VIII de l'ordonnance de 1784 sur les classes, pour la pénalité en matière de désertion.

Pénalité en général. Elle se faisait remarquer par une sorte d'exubérance, tout en tenant compte des adoucissements réels amenés par les mœurs.

1° Peines disciplinaires : Le retranchement du vin pendant trois jours au plus; les fers, avec anneau ou chaîne au pied; la mise à cheval sur une barre de cabestan pendant trois jours au plus; la ligation au grand mât (trois jours au plus et deux heures chaque jour).

2o Peines afflictives: Les coups de corde au cabestan (en une quantité fixée par le jugement); la prison ou les fers sur le pont; la réduction de grade ou de solde; la cale; la bouline; les galères; enfin la mort.

Ce qu'il y avait de remarquable ici c'était le maintien du châtiment corporel sous un régime de liberté presque absolue (au moins quant à la forme). Et telle était l'importance qu'on y attachait, qu'en signe de commandement les maîtres d'équipage

et maîtres principaux portaient une liane (dans la pratique une garcette) dont ils se servaient en cas de mauvais vouloir de leurs hommes.

Pour tous les faits imprévus, renvoi par la loi de 1790 aux lois ordinaires et à celles de l'armée de terre.

12 octobre 1791, loi analogue pour les arsenaux. Les forçats en particulier étaient jugés sans jury par la Cour martiale.

16 nivôse an 2, loi reproductive d'un arrêté en date du 20 brumaire même année, et suppressive du jury (la discipline en souffrait) dans la plupart des cas, sur les vaisseaux comme dans les

arsenaux.

5 germinal et 1er floréal an 12, arrêté attributif du jugement de la désertion à des conseils de guerre spéciaux.

22 juillet et 12 novembre 1806, décrets devenus dès lors le code pénal des vaisseaux et des arsenaux, et abrogatifs du titre Jer de la loi du 21 août 1790 relatif aux jugements et à l'organisation des cours martiales et du jury. Ces décrets créaient pour la flotte des conseils de justice et des conseils de guerre.

21 février 1816, ordonnance suppressive des conseils de guerre spéciaux, créés pour le jugement des déserteurs de la marine comme de l'armée de terre.

10 avril 1825, ordonnance attributive aux tribunaux maritimes des faits de piraterie.

Enfin, 12 mars 1848, décret du gouvernement provisoire, abolitif des châtiments corporels qu'il déclara « incompatibles avec la dignité du citoyen. » (Exposé des motifs.) En quoi le décret pouvait avoir raison.

Seulement il fallait suppléer à cette peine. De là le décret du 26 mars 1852 qui, en rétablissant la compétence des tribunaux maritimes (modifiée en 1830), édictait certaines peines pour la répression de vols, jadis passibles de la peine du carcan.

Fonctionnement et organisation actuelle de la justice maritime. Cinq juridictions (comprenant buit tribunaux, trois de révision); voilà ce qui résultait de toutes les lois, ordonnances et décrets intervenus jusqu'alors, c'est-à-dire quelque chose d'incohérent qui appelait un digeste ou plutôt un code. En 1829 et 1850, travaux préparatoires à cet effet. A cette dernière époque,

projet de code complet sous la direction du ministre de la marine, M. Romain Desfossés. Après la codification des lois qui régissent l'armée de terre, on jugea opportun d'assurer le même avantage à la marine. Par suite, rédaction d'un projet par une Commission supérieure (1) instituée par décret du 24 juin 1857. Sauf à tenir compte des individualités nécessairement diverses, on avait un modèle à suivre dans le code de l'armée de terre.

Les individualités dont il fallait se préoccuper étaient les suivantes : le matelot, l'ouvrier, le soldat. Elles se recrutaient par deux voies :

1° En vertu de la loi du 21 mars 1832 relative au recrutement de l'armée et aux termes de laquelle il était prélevé, pour le service de la marine, une moyenne d'hommes s'élevant à quatre ou cinq mille environ;

2o En vertu de la loi du 21 brumaire an 4 sur l'inscription maritime, institutive des classes et dont le principe avait été posé dans la législation par Colbert.

Suivant la loi de brumaire, actuellement en vigueur, l'individu se livrant à la navigation maritime était enregistré comme mousse ou novice. A 18 ans, inscription en qualité de matelot, moyennant quoi, exemption du recrutement; moyennant quoi aussi il était à la disposition de l'Etat jusqu'à cinquante ans; alors il devenait pensionnaire du Gouvernement.

Les ouvriers. Recrutement par l'inscription maritime ou parmi les individus libres de la population des ports. Ils devenaient pensionnaires après un certain laps de temps.

Enfin, les soldats commis à la garde des ports et des arsenaux. On les prélevait sur les contingents annuels (loi du 21 mars 1832). Venait la question de juridiction. Recourrait-on comme pour l'armée de terre à l'unité? Des nécessités absolues, insurmontables (Exposé des motifs) ne permettaient pas d'appliquer à l'armée navale ce principe, l'un des bienfaits de la révolution. Le projet admettait en conséquence trois juridictions: les conseils de guerre, les conseils de justice et les tribunaux maritimes.

(1) Elle se composait de MM. Baroche, Allard, président de section au Conseil d'Etat; Rigaud, député; de Royer; Layrle; Duvergier; Waïsse; le Prédour; Chassériau; Michelin.

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