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pendant que l'ouvrier manquait de travail ; « qu'une sourde agitation régnait dans le pays; qu'il était accablé par un budget énorme. »

C'est d'abord à ce dernier reproche que répondit le Président du Conseil d'Etat. « Si le projet n'avait à craindre que les dangers dont parlait le préopinant, il arriverait aisément au port, et quant à la crise commerciale, la France avait été moins atteinte que les autres grandes nations. La crise avait eu pour nous ce résultat: de démontrer la solidité de notre organisation financière, la vitalité de nos industries et la sagesse de nos commerçants. Un grand spectacle a été ainsi donné au monde, celui d'un gouvernement nouveau, qui a miraculeusement fait succéder le calme à l'anarchie, et auquel il asuffi d'une période de six années, traversées au milieu de grandes épreuves, pour asseoir le pays sur des bases plus solides que celles que d'autres Etats doivent à des institutions séculaires. » Mais le projet de loi serait contraire aux principes de 89? « La nuit du 4 août, continuait M. Baroche, a aboli les priviléges des castes, mais point les titres nobiliaires; cette abolition n'eut lieu qu'en 1790. »

L'organe du Gouvernement s'éleva ensuite vivement contre cette thèse de M. Ollivier que le principe de la solidarité dans le ma! ayant disparu, il fallait repousser le principe de l'hérédité dans le bien. Il ne comprenait pas non plus que l'on pût contester au Souverain le droit de conférer des titres honorifiques et héréditaires, « de donner des titres de noblesse,» un droit récemment consacré par le nom si honorable donné à un maréchal (le duc de Malakoff). Il y avait de plus ceci (en réponse à M. Legrand), que le 24 janvier 1852, Napoléon III avait abrogé le décret de 1848, et rétabli l'ancienne et la nouvelle noblesse. L'honorable Président du Conseil d'Etat comprenait un système abolitif des titres; mais ceux-ci ayant été rétablis comme il venait de le démontrer, il fallait qu'il fussent respectés. Tel était le but de la loi.

Au point de vue de la doctrine, les explications de M. Baroche devaient mettre fin à la discussion générale. L'article unique de la loi, tel que l'avait amendé la Commission, fut ensuite adopté par 211 suffrages sur 234; minorité : 23 votants.

Le Sénat ne s'opposa pas à la promulgation de cette loi, dont une note du Moniteur (5 et 6 avri!) pouvait être considérée comme le commentaire anticipé et presque officiel. Il y était dit que l'expérience avait prouvé combien l'article 259 du Code pénal était nécessaire dans une société où les titres avaient une valeur si généralement acceptée par les mœurs et les traditions; qu'ils survivaient, « plus recherchés que jamais,» aux révolutions qui les supprimaient. Venant ensuite à « la modification, jetée à l'improviste dans la loi du 28 avril 1832, » et qui avait retranché la peine attachée par le Code pénal de 1810, à l'usurpation de ces titres, et qu'il qualifiait de « mesure inspirée par une pensée hostile, sous le contre-coup encore récent d'une grande commotion politique. » Le Moniteur remarquait que ses auteurs avaient espéré avilir les titres royaux et impériaux, en leur enlevant toute protection légale; qu'ils avaient voulu, d'un autre côté, énerver le pouvoir du Souverain, en permettant à tout le monde de prendre ce que lui seul pouvait accorder... Mais (réflexion parfaitement fondée) c'était mal connaître le caractère français, qui tenait à la fois à l'égalité et aux distinctions. Les titres plus enviés que jamais, ne perdirent rien de leur considération, malgré la loi nouvelle. Seulement, au lieu de les demander à leur source légitime, nombre de personnes les prirent ailleurs. Le ridicule était contre ces abus une arme impuissante. Ce mal, qui n'était pas sans gravité, avait excité la sollicitude de l'Empereur, comme déjà il avait éveillé l'attention du Sénat. « Les titres proscrits en 1848, n'ont pas été rétablis pour être livrés à la convoitise du premier venu. Dans une monarchie bien réglée, ils ne doivent pas être le puéril ornement de quiconque prétend s'en parer; ils doivent représenter la gloire, le mérite; ils ont pour but d'exciter l'émulation des citoyens qui se dévouent au prince et à la patrie; ils font un appel à tous les courages, pour sortir de la voie commune par de nobles efforts. » C'est ce caractère politique des titres que l'Empereur, « dont la mission est de poursuivre l'anarchie partout où elle se montre, » désirait leur restituer. Quant à l'exécution, la Note était rassurante: sans aucun caractère agressif, la loi serait une garantie

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« pour les possesseurs sérieux, une barrière nécessaire contre les usurpations. »

Tout en s'occupant de la noblesse, le Gouvernement songeait à régler des intérêts plus humbles, et qui en étaient presque l'extrême opposé. Tel fut l'objet d'une proposition tendante à la modification de l'article 8 du décret du 27 avril 1848. Cet article était ainsi conçu: « A l'avenir, même en pays étranger, il est interdit à tout Français de posséder, d'acheter ou de vendre des esclaves, et de participer, soit directement, soit indirectement, à tout trafic ou exploitation de ce genre. Toute infraction à ces dispositions entraînera la perte de la qualité de citoyens français.

Néanmoins, les Français qui se trouveront atteints par ces prohibitions, au moment de la promulgation du présent décret, auront un délai de trois ans pour s'y conformer. Ceux qui deviendront possesseurs d'esclaves en pays étranger par héritage, don ou mariage, devront, sous la même peine, les affranchir ou les aliéner dans le même délai à partir du jour où leur possession aura commencé. »

Pour obéir à cet article, disait l'Exposé des motifs du projet actuel, plus de vingt mille nationaux établis au Brésil, à Cuba, à Porto-Rico, à la Louisiane, devaient, dans l'espace de trois ans, avoir affranchi ou vendu leurs esclaves sous peine de perdre la qualité de Français.

Or ces Français ne pouvaient pas se conformer au décret. Affranchir en masse n'était pas possible, attendu la prohibition existante dans la plupart des Etats à esclaves. Affranchir partiellement, n'était guère plus aisé, à cause des formalités, de la responsabilité imposée au maître, obligé même de fournir caution, et dans certains Etats à payer le transport en Afrique de l'esclave émancipé. Ces difficultés motivèrent la loi du 11 février 1851, prorogative, jusqu'au 28 avril 1858, du délai accordé aux Français établis à l'étranger, pour affranchir ou aliéner leurs esclaves. Le projet actuel avait pour but de régler d'une manière définitive la condition des Français possesseurs d'esclaves au dehors. Les auteurs du projet considéraient que la situation, loin de s'améliorer, s'était aggravée, une loi de la

Louisiane étant venue exiger le transport en Afrique, et aux frais du maître, pour chaque esclave. Dans ces circonstances, les Français possesseurs d'esclaves à l'étranger, seraient contraints de liquider immédiatement, et à tout prix « leurs propriétés, » et de renoncer à l'exercice de leur industrie; peut-être même de se dénationaliser.

Le projet actuel ne touchait pas au § 1er de l'article 8 reproduit ci-dessus; mais il en abrogeait le 2o paragraphe. En d'autres termes, il laissait subsister en principe l'interdiction générale, pour les Français établis à l'étranger, de posséder, d'acheter ou de vendre des esclaves, et il maintenait la sanction pénale attachée à cette interdiction; mais il légitimait absolument et sans condition de durée :

1o Le droit acquis aux Français, propriétaires d'esclaves, par une possession antérieure à la promulgation du décret de 1848. 2o Le droit qui pourrait résulter pour eux d'une acquisition postérieure provenant d'héritage, de don ou de mariage.

C'est-à-dire que le Gouvernement maintenait l'esclavage à l'étranger pour le passé seulement; mais il l'interdisait pour le présent et l'avenir.

L'article unique du projet était en conséquence ainsi conçu : Est abrogé l'article 8 du décret du 27 avril 1848, en tant qu'il s'applique aux propriétaires d'esclaves dont la possession est antérieure à la promulgation dudit décret, ou résulte d'héritage, de don ou de mariage. (Adopté par le Conseil d'Etat dans sa séance du 15 avril.)

Observations de la Commission du Corps législatif (rapporteur M. Josseau). Sans doute c'était une pensée généreuse que celle qui voulait que le Français, même à l'étranger, fût partout une protestation vivante, permanente, contre l'esclavage. Mais lorsque l'on songeait que, pour obéir au décret, plus de 20,000 Français établis dans les pays méridionaux de l'Amérique du Nord, dans les colonies espagnoles de Cuba et de Porto-Rico, et sur toute la côte du Brésil, devaient, sous peine de perdre leur nationalité, se dessaisir, dans les trois ans, d'une propriété naguère encore reconnue par la législation de la métropole, on pouvait s'arrêter devant un sentiment d'équité,

qui ne permettait pas de placer des concitoyens entre la ruine de leur fortune et l'abjuration de leur nationalité.

A cet égard, dès lors, la Commission pensait comme le Gouvernement, et elle aboutissait avec lui à la même conclusion. Quelques-uns de ses membres avaient demandé que, sans supprimer la déchéance prononcée par le décret de 1848, on se bornât à une nouvelle prorogation; mais la majorité avait repoussé ce système de sursis, qui eût fini par devenir purement comminatoire. La Commission se ralliait donc en définitive au projet du Gouvernement: maintien du premier paragraphe de l'article s du décret de 1848-1851, mais modification du paragraphe suivant dans le sens de la proposition du Gouvernement, toutefois avec une rédaction plus claire adoptée par le Conseil d'Etat et dans la forme que voici :

Le paragraphe deuxième de l'article 8 du décret du 27 avril 1848 est modifié ainsi qu'il suit :

Le présent article n'est pas applicable aux propriétaires d'esclaves, dont la possession est antérieure au décret du 27 avril 1848, ou résulterait soit de succession, soit de donations entre-vifs, ou testamentaires, soit de conventions matrimoniales.

Discussion en séance publique du Corps législatif (séance du 7 mai). Elle fut rapide et ne donna lieu qu'à de courtes observations de détail. On vient de voir qu'à l'expression don, du projet du Gouvernement, la Commission avait substitué le mot de donations entre-vifs, en effet plus précis. M. de Beauverger demanda si elle n'avait pas voulu distinguer par là entre la donation régulière et le don manuel. L'honorable membre eût voulu davantage : il aurait désiré que l'on mit d'un côté les modes de transmission se rattachant à une possession antérieure ou à des sentiments de famille,. successions ab intestat ou testamentaires et conventions matrimoniales; de l'autre, les actes purement volontaires, ventes et dons, ces actes étant dans une catégorie tout à fait à part, et le don ayant d'ailleurs l'inconvénient d'ouvrir une large part à la fraude. M. de Beauverger demandait en conséquence quelle avait été la pensée de la Commission en préférant un système à l'autre. Dans l'opinion

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