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Sa Majesté ; que l'existence, l'organisation, les complots des ennemis de l'ordre social ne pouvaient être ignorés du Gouvernement. Selon le Journal officiel, l'attentat du 14 janvier n'avait ni inspiré, ni aggravé des mesures suggérées par la prudence, mais rien ne pouvait mieux en démontrer l'urgence et en justifier la nécessité. Il fallait, d'une part, prémunir la France contre une surprise; de l'autre, compléter les lois protectrices de la sécurité publique, et le Moniteur rappelait, outre les documents que nous venons d'analyser, un projet de sûreté générale dont le Corps législatif était saisi. « Quant à l'appel éventuel de l'Impératrice à la Régence, la France, qui vient d'être témoin de son courage, sait qu'en cas de malheur, elle retrouverait en elle une autre Blanche de Castille, pour défendre les droits de son fils et faire de lui un prince selon le cœur de Dieu. »

Après l'appréciation des membres du Conseil privé, la Note ajoutait « Ainsi, quoi qu'il arrive, plus d'incertitude ni dans le commandement, ni dans l'obéissance; on connaissait le successeur du souverain. On sait aujourd'hui, s'il est mineur, qui sera chargé de gouverner en son nom. Désormais, la France peut, comme l'Empereur, envisager l'avenir avec confiance et braver la fureur des ennemis de son repos et de sa prospérité. » Mais il fallait les rendre impuissants. Il s'agissait non pas de quelques fanatiques, mais de quelques factieux incorrigibles, « le produit et comme le résidu des dernières révolutions, de la catégorie, en France, des condamnés politiques de 1848, 49 et 51.» La clémence de l'Empereur s'était étendue sur le plus grand nombre, et l'on devait dire que plusieurs avaient justifié cette marque de confiance; mais il y en avait que rien ne pouvait changer, qui étaient restés plus hostiles que jamais, qui s'étaient faits les agents actifs des sociétés secrètes, et qui, par leurs menaces contre l'ordre établi, n'avaient cessé d'alarmer les populations. Suivait une sorte d'exposé de motifs ron officiel de la loi destinée à donner au Gouvernement et à la magistrature le moyen d'atteindre ces révolutionnaires endurcis, et dont il convient de faire connaître sinon l'esprit (il ressort de ce qui précède), mais l'économie.

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C'est à cette même date du 1er février que le ministre d'Etat, M. Fould, présenta le projet de loi relatif à cette grave matière, et délibéré en Conseil d'Etat, le 28 janvier précédent. La disposition la plus considérable peut-être parmi celles que la législature allait avoir à adopter, se trouvait dans l'article 7, aux termes duquel tout individu ayant été l'objet d'une mesure de sûreté générale portant internement, expulsion ou transportation, à l'occasion des événements de mai et juin 1848, de juin 1849 ou de décembre 1851, pourrait être interné dans un des départements de l'Empire, ou en Algérie, ou expulsé du territoire, si des faits graves le signalaient de nouveau comme dangereux pour la sûreté publique. « L'armée du désordre, disait à ce sujet le Ministre d'Etat en son exposé des motifs, a été vaincue et dispersée en décembre 1851. Les soldats de cette armée, ralliés par le nom de Napoléon, et cédant à la puissance du mouvement national, sont rentrés dans les voies de l'ordre et du travail. Il n'en a pas été de même de leurs chefs; ceux-ci, en beaucoup d'endroits, sont demeurés hostiles... ils ajournent, mais n'abandonnent pas leurs desseins. Les documents recueillis par l'administration nous les montrent unis entre eux par des relations secrètes et par des moyens de communications rapides. Ils sont aujourd'hui une cause d'inquiétude incessante: dans un moment de surprise et de trouble, ils pourraient devenir un péril. » L'inconvénient de cette disposition se trouvait dans cette sorte de suspicion immédiate motivée par des faits graves, c'est-à-dire quelque chose qui avait besoin d'être précisé. Aussi bien M. Fould faisait-il observer que la faculté demandée par le Gouvernement se rapprochait heaucoup par son caractère et sa portée de la surveillance écrite déjà dans le Code pénal. Conséquence naturelle de cette mesure : Tous ceux qui seraient condamnés par les tribunaux ordinaires du pays pour des crimes et délits de même nature, pourraient être également internés ou expulsés du territoire.

Enumération de ces crimes dans l'article 6.

L'abrogation des lois de 1835 laissait subsister une lacune dans la loi pénale. L'article 1 du projet était destiné à la com

bler. Il édictait la peine de l'emprisonnement (deux à cinq ans) et une amende (cinq cents francs à dix mille francs) contre tout individu ayant provoqué publiquement, d'une manière quelconque, aux crimes prévus par les articles 86 et 87 du Code pénal, lorsque cette provocation n'avait pas été suivie d'effet, ces crimes étant trop graves pour être confondus avec les provocations réglées d'une manière générale par la loi du 17 mai

1819.

Autre disposition importante: emprisonnement d'un mois à deux ans et amende de cent francs à deux mille francs contre tout individu qui, dans le but de troubler la paix publique ou d'exciter à la haine ou au mépris du Gouvernement de l'Empereur, aurait pratiqué des manœuvres ou entretenu des intelligences, soit à l'intérieur, soit à l'étranger. Le motif de cet article se trouvait dans le but même auquel tendraient les manœuvres et les intelligences dont il était question.

L'attentat récemment commis expliquait l'article 3 du projet punissant de six mois à cinq ans d'emprisonnement, et d'une amende de cinquante à trois mille francs, la fabrication, le débit ou la distribution de machines meurtrières, de poudre fulminante. Même peine contre la détention d'objets de ce genre.

Quant à l'appréciation et au jugement de ces délits nouveaux, ils étaient réservés aux juges ordinaires et inamovibles. Ce qui était une garantie qu'il convient de mentionner.

C'est à ce projet de loi que s'appliquait en partie la Note du 12 février, que nous avons déjà citée. Avant qu'il ne fût connu, y disait-on, ceux qui ont raison de le craindre avaient voulu en faire un épouvantail pour le pays. C'était, à les entendre, de l'arbitraire et de l'inquisition. Depuis qu'il avait été publié, chacun avait dû se dire que le Gouvernement ne pouvait proposer moins, sous peine de s'abandonner lui-même et de manquer à son premier devoir envers la société.

Toutefois, au moment d'être armé de pouvoirs assurément exceptionnels, le Gouvernement faisait une déclaration rassurante: « Les meilleures lois ne valent que par la manière dont on les applique. Celle-ci sera appliquée avec fermeté, sans que cependant le Gouvernement s'écarte de sa ligne de modéra

tion. » La Note faisait allusion aussi au choix du nouveau ministre, et elle faisait observer qu'il n'impliquait aucun changement dans la politique de l'Empereur. Enfin, un mot au sujet de la division de la France en cinq grands commandements militaires confiés à des maréchaux fermes et dévoués, « dont les >> glorieux services » rehausseraient encore l'autorité aux yeux de l'armée et des populations (1).

Cependant le projet dit de sûreté générale avait été soumis à l'examen d'une Commission dont le président du Corps législatif fut le rapporteur. Déjà, au sein du Conseil d'Etat lui-même, les dispositions en avaient donné lieu à de vives discussions, ce qui témoignait bien que les mœurs tendent de plus en plus au respect des garanties légales. Aussi bien, l'Empereur lui-même avait-il modifié l'article relatif à la provocation au renversement du Gouvernement dans ce sens, qu'il fallait qu'elle eût eu lieu publiquement, c'est-à-dire que l'acte fût en quelque sorte patent et ne laissât aucune place à l'idée de quelque chose d'arbitraire. A cet essentiel amendement, il en fallait joindre deux autres procédant du débat de la Commission avec le Conseil d'Etat. Le premier (article 10 du projet de la Commission) consistait à n'autoriser le ministre de l'intérieur à ne prendre les mesures de sûreté générale édictées par les articles 5, 6 et 7, que sur l'avis du préfet, du général et du procureur général; l'autre faisait cesser au 31 mars 1865, sauf renouvellement avant cette époque, les pouvoirs accordés au Gouvernement par les mêmes articles.

Ces amendements nouveaux étaient ainsi motivés dans le rapport présenté (18 février) au nom de la Commission du Corps lé

(1) Un décret en date du 13 février appela: 1° le maréchal Magnan au commandement supérieur des troupes stationnées dans le Nord, quartier général Paris; 2o le maréchal Canrobert au commandement supérieur des troupes stationnées dans les divisions de l'Est, quartier général Nancy; 3o le maréchal Castellane au commandement supérieur des troupes du Sud-Est, quartier général Lyon; 4o le maréchal Bosquet au commandement supérieur des troupes du Sud-Ouest, quartier général Toulouse; 5o le maréchal Baraguey-d'Hilliers au commandement des troupes de l'Ouest, quartier général Tours.

gislatif par M. de Morny: la loi, portait ce document, a un double caractère: l'un judiciaire, qui doit rester permanent; l'autre administratif, destiné à n'être que temporaire. La Commission avait considéré les articles autorisant l'application des mesures d'administration à l'égard de certaines catégories d'individus comme uniquement politiques et transitoires, « comme une marque de confiance absolue dans le Gouvernement de l'Empereur. Aussi a-t-elle été d'avis à l'unanimité de la voter... Elle a pensé que l'application de cette loi pendant un certain nom. bre d'années suffirait pour pacifier le pays, et elle a cru devoir proposer l'amendement de temporanéité. Le Gouvernement s'est empressé de l'accepter, parce que, résolu à agir avec vigueur et persévérance, il est convaincu qu'avant peu d'années, la crainte salutaire que cette loi inspirera suffira pour ne plus avoir même occasion de l'appliquer. » Ainsi disait l'honorable rapporteur, et il ajoutait que le Gouvernement avait d'autant mieux adhéré à l'amendement qui soumettait à l'avis des trois autorités administrative, judiciaire et militaire, les mesures attribuées au ministre de l'intérieur, qu'il était difficile que, dans la pratique, il en fût autrement. « Le Gouvernement n'a jamais intérêt à persécuter personne; il lui faut une raison de sûreté publique clairement démontrée pour le décider à sévir contre des individus, et il ne saurait s'entourer de trop de lumières. »

C'est dans cet état que le projet de sûreté générale se présentait devant le Corps législatif. Dans la discussion générale (18 février), M. Emile Ollivier l'attaqua surtout au point de vue du droit. Il y voyait la confusion des pouvoirs judiciaire et exécutif, la suppression des formes ordinaires de la justice, la non définition des délits qu'on voulait atteindre; cette circonstance en particulier, que les hommes que l'on se proposait d'atteindre avaient déjà subi leur peine. La loi aurait ainsi un effet rétroactif.

Après quelques considérations plutôt politiques que de droit mises en avant par M. Granier de Cassagnac, et desquelles il ressortait que les temps révolutionnaires seuls avaient été des époques de violence; que les détentions politiques, sous les régimes monarchiques, étaient en nombre insignifiant, M. d'Andelarre combattit le projet. Comme M. Ollivier, il le jugeait ré

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