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surgir. Il résultait, par exemple, d'une Note du Moniteur (13 juin), que la question du colportage préoccupa vivement le successeur de M. Billault, « huit millions de livres immoraux répandus par dix mille mains dans nos villages et dans nos campagnes, l'irréligion sous toutes ses formes, les doctrines perverses du socialisme le plus grossier, les raffinements d'une obscénité honteuse, allant s'offrir à domicile et solliciter au mal des esprits incultes et naïfs, telle était la situation vers 1847... »

A ce tableau d'un danger réel, la Note opposait les avantages qu'offriraient << huit millions de bons livres offerts comme moyens d'instruction à des populations impatientes de l'ignorance, leur ouvrant, après le labeur de la journée, le domaine des sentiments honnêtes et des idées saines, leur inspirant un acte d'adoration pour Dieu, d'amour pour la patrie, de reconnaissance pour le Souverain, popularisant jusque dans les hameaux les noms les plus glorieux de notre littérature nationale... »

Des mesures de surveillance (tendantes à ce but), le contrôle attentif et incessant de la Commission permanente, avaient produit déjà de bons résultats. Le Ministre de l'intérieur et de la sûreté générale avait présidé lui-même une des dernières assemblées de la Commission, et il avait indiqué aux membres qui la composaient les vues du Gouvernement en cette matière. En même temps il avait adressé aux préfets une circulaire signalant à leur attention quelques points essentiels, à savoir: « scrupuleuse observation des catalogues officiels avant l'apposition de l'estampille, épuration continue du personnel des colporteurs, limite variable de la durée des permissions, etc. »

La fin justifiait peut-être ici les moyens, qui avaient bien quelque chose d'excessif. Il était dit encore dans la circulaire du Ministre de l'intérieur, que la Commission examinait avec soin toutes les publications religieuses; qu'elle avait rejeté du colportage tous les ouvrages qui lui avaient paru tendre à irriter les esprits, et à réveiller des passions qui n'étaient plus de notre époque. « Votre zèle, ajoutait le document ministériel en s'adressant aux préfets, doit s'associer à cette sage pensée. C'est le devoir de l'administration de s'opposer à ce que des sociétés étrangères, disposant de ressources considérables,

expédient dans notre pays des agents chargés d'y produire de l'agitation. Cette agitation, je le sais, n'atteindrait jamais les proportions d'un danger; mais quel que puisse être le résultat du travail des associations dont je viens de parler, il convient de se mettre en garde contre leurs entreprises. »>

Au surplus, cette intention de s'opposer à tout ce qui pourrait raviver les passions religieuses en particulier, que manifestait l'administration, s'accordait parfaitement avec les sentiments que proclamait le prédécesseur de M. Espinasse. « Depuis quelque temps, portait une Note du Moniteur du 28 janvier, plusieurs journaux étrangers, recevant des articles rédigés en France, ont entrepris de présenter le Gouvernement impérial comme se livrant à une odieuse persécution contre les protestants. » La cause religieuse n'était pour rien, selon la Note, dans des accusations qui représentaient les protestants comme traqués par les préfets, les agents de police, et obligés de se réunir dans les forêts comme leurs ancêtres lors des dragonuades. » Cela était, en effet, trop exagéré pour être seulement vraisemblable. On savait la vérité, disait la Note. L'Empereur avait toujours manifesté ses sentiments de protection pour tous les cultes reconnus par l'Etat. Son Gouvernement n'avait jamais désobéi à une volonté si haute et si juste; mais, comme c'était son devoir, il avait partout, et vis-à-vis de tous, réclamé l'exécution des lois organisatrices de la police des cultes. Ainsi, il avait dû exiger qu'on lui demandåt l'autorisation d'ouvrir des temples et de constituer des réunions religieuses; et lorsqu'il avait été question de fonder des écoles, il avait voulu qu'on se soumit aux dispositions de la loi du 16 mars 1850, mais on avait hardiment nié le droit de l'Etat, et prétendu à l'indépendance absolue quant aux actes extérieurs. Traduits devant les tribunaux, les auteurs de ces désordres avaient été condamnés parce qu'ils avaient violéla loi. Le devoir de l'autorité, continuait le journal officiel, n'est pas de contribuer aux agitations, en favorisant aveuglément toutes les entreprises du zèle religieux, il consiste surtout à maintenir la paix publique en assurant à chaque culte reconnu, qu'il ne sera pas attaqué par autrui. » Tout citoyen était libre de sa croyance, aux termes de la Note. Mais nul ne pouvait forcer l'Etat à con

sacrer publiquement des agrégations nouvelles, tant qu'il n'avait pas la certitude qu'il s'agit de choses honorablement et irrévocablement consommées.

Cette Note du journal du Gouvernement se rapprochait donc de celle du général Espinasse, en ce qu'elle témoignait d'un égal désir, si difficile d'ailleurs à réaliser, de maintenir l'équilibre entre les cultes et les doctrines.

L'attention du Ministre actuel de l'intérieur et de la sûreté générale se porta aussi sur un autre objet qui n'avait rien de commun avec les habitudes et les préoccupations antérieures du général, à savoir l'emploi des revenus des hôpitaux, hospices et bureaux de bienfaisance. Or, ce fut précisément la pierre d'achoppement de son administration.

Dans une circulaire dont on trouve le texte dans le journal officiel, M. Espinasse recommandait aux préfets les avantages de la conversion des biens de ces établissements en rentes sur l'État. Il y était dit que les biens immobiliers appartenant aux établissements de bienfaisance étaient loin de donner un revenu proportionné à leur valeur vénale. D'après les dernières statistiques, ce revenu ne dépassait pas en moyenne 2 1/2 p. 0/0, et il était même probable que, si l'on en avait toujours dégagé les charges inhérentes à la propriété, il se fût réduit à moins de 2 0/0 résultat d'autant plus déplorable, selon la circulaire, que, d'une part, la valeur capitale de ces immeubles était d'au moins 500 millions, et que, d'autre part, malgré l'importance de cette dotation, les établissements charitables étaient généralement dans l'impuissance d'assister tous les nécessiteux. La sollicitude de l'Empereur pour les classes souffrantes faisait un devoir à l'administration de rechercher constamment les moyens de leur venir en aide. Parmi ces moyens, il y en avait un « souvent recommandé aux commissions administratives des établissements charitables,» mais auquel elles recouraient peu, soit par incurie, soit par suite de certains préjugés contre les biens mobiliers. C'était la vente des propriétés foncières pour les transformer en rentes sur l'État; une opération qui doublerait au moins les revenus de l'assistance publique, qui pourrait ainsi soulager un bien plus grand nombre de pauvres. Autre avan

tage: les commissions seraient affranchies d'une gestion onéreuse par la substitution d'un revenu net et facile à percevoir au revenu incertain de la propriété foncière. Les commissions porteraient alors toute leur attention sur le régime intérieur des établissements trop souvent imparfait, et réaliseraient des améliorations vainement espérées jusqu'à ce jour.

Mais voici qui ressemblait à une menace: le Ministre invitait les préfets à faire connaître aux commissions administratives qu'il n'accorderait ni subvention ni secours aux établissements de bienfaisance, qui, possédant des propriétés foncières, négligeraient le moyen « si naturel » d'augmenter leurs revenus ordinaires en aliénant ces propriétés. On ferait reviser en ce sens (et à ce point de vue) le travail de répartition du premier semestre de 1858, et beaucoup de demandes de secours seraient << probablement rejetées par suite de cet examen, ou du moins ajournées,» ajoutait le Ministre, «jusqu'à ce que j'aie reçu des explications satisfaisantes. >>

Puis, ce haut fonctionnaire annonçait qu'il suivrait attentivement le résultat des efforts des préfets ; qu'ils avaient à lui adresser tous les trois mois les détails statistiques nécessaires, entre autres, le montant de la rente acquise et le taux du cours de la Bourse auquel elle aurait été achetée, et l'étendue et la valeur des biens-fonds restant à l'établissement et susceptibles d'être aliénés.

La fin de cette épître, peut-être un peu trop militaire, pouvait être considérée aussi bien comme une promesse que comme une conclusion absolument opposée.

Je compte donc, monsieur le préfet, sur vos efforts soutenus pour accomplir cette œuvre de transformation de la dotation immobilière de l'assistance publique. La part que vous y prendrez sera mise sous les yeux de l'Empereur; je sais d'avance que S. M. remarquera avec satisfaction ceux de MM. les préfets qui auront le plus contribué au succès d'une mesure dont le but est de soulager le plus efficacement les malheureux. »

La circulaire de M. Espinasse fut mal accueillie, nous ne disons pas par les préfets, à qui cependant elle s'adressait sur un ton quelque peu insolite, mais par les Commissions administratives,

dont les membres, exerçant un mandat charitable et purement gratuit, pouvaient se sentir blessés par cette façon cavalière de leur tracer leurs devoirs. Quelques-uns d'entre eux se démirent à la réception de cette circulaire, dont les organes officieux du Gouvernement cherchèrent à atténuer la portée. Cependant elle entraîna la retraite du Ministre de l'intérieur et de la sûreté générale et son remplacement par M. Delangle, nommé, ce que l'on remarqua aussitôt, ministre de l'intérieur seulement.

Cependant des élections avaient eu lieu à Paris pour remplacer les députés démissionnaires pour refus de serment (MM. Goudchaux et Carnot) et le général Cavaignac, décédé; deux sur trois candidats élus (MM. Jules Favre et Picard) appartenaient à l'opposition. Les 12 et 13 juin on avait procédé (en vertu d'un décret du 12 mai) à des élections pour le renouvellement de la deuxième série des Conseils généraux et des Conseils d'arrondissement. Telle était l'histoire de la courte administration du général Espinasse, marquée moins par des actes extrêmes que par un esprit qui n'avait pas précisément pour mobile la modération. C'était, au contraire, ce que l'on attendait du nouveau Ministre de l'intérieur, dont on connaissait le caractère tempéré et attaché aux formes régulières de la justice. Il annonça tout d'abord aux préfets qu'il convenait de tenir la main aux dernières prescriptions arrêtées par son prédécesseur dans la matière même qui venait de soulever des préventions; mais on comprenait que le Ministre ferait la part des choses, et qu'à l'occasion, on tiendrait compte des circonstances, des intentions, et que l'on ne s'appuierait pas sur une sorte de contrainte (manu militari) pour l'exécution.

La politique du Gouvernement entrait dans une phase nouvelle qui dénotait une fois de plus que son chef observait attentivement les hommes et les choses, en un mot, la situation du pays.

On pouvait considérer comme empreint de ce cachet, et pensé à ce point de vue, le remarquable discours prononcé à l'ouverture du Conseil général de la Loire, par un des personnages qui représentaient le plus exactement la politique impériale. Remontant aux origines de la dynastie napoléonienne et à ses propres antécédents, M. de Persigny rappela sur quelles bases,

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