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sur quelles sympathies s'appuyait l'édifice de l'Empire. « Quel nom parle au cœur du peuple, comme celui de Napoléon? Quelle tradition est plus capable d'exciter sa sympathie ou sa confiance?... La dynastie de Napoléon règne au milieu d'un peuple paisible, et ce peuple, qui naguère semblait ingouvernable, est aujourd'hui le plus calme de l'Europe.

» Loin de moi, continuait l'orateur, l'idée de rabaisser le mérite personnel de l'Empereur dans cette grande œuvre de pacification. Comme le neveu de César, comme Auguste, il a fallu que le neveu de Napoléon Ier ajoutât à son nom de bien grandes et bien rares facultés pour triompher de tant d'obstacles. Mais il faut le dire à l'honneur de la nation, si Napoléon III a pu réussir si aisément, là où tant d'autres avaient échoué, c'est que son habileté a eu pour auxiliaire la noble et touchante confiance du peuple dans le nom de Napoléon... »

Mais on accusait l'établissement impérial de tendre à déshériter le pays de sa légitime intervention dans les affaires publiques, a en fondant, comme à Rome, une espèce de dictature césarienne, à l'aide du prestige du nom de Napoléon. » M. de Persigny repoussait cette analogie. A son sens, il s'agissait à Rome de faire passer une société corrompue et désorganisée par la guerre civile, de la république à la dictature, en achevant de détruire les an. ciennes libertés, tandis qu'en France, « au contraire, » l'œuvre napoléonienne n'était que de continuer a notre vieil état monarchique par une quatrième dynastie, non pour détruire d'anciennes libertés, mais pour consolider les nouvelles. » Et l'orateur rappelait que le Gouvernement de Napoléon III était organisé d'après les principes de 1789 suffrage populaire, vote libre de l'impôt, inamovibilité de la magistrature. Il était vrai que la liberté de la presse, «< institution moderne qui exalte ou exagère, vivifie ou tue toutes les autres libertés, » s'y trouvait singulièrement modifiée par le système des avertissements. Mais cette réserve dans les institutions n'était qu'un acte de prudence, « une sorte de soupape de sûreté appliquée à la machine à va peur. » La liberté n'en resterait pas moins dans les lois, et ne se développerait qu'avec plus de force et de vigueur dans la température modérée qui lui était ainsi préparée.

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« Je sais bien, reprenait M. de Persigny, que quelques hommes de parti ne pardonnent pas au Gouvernement de l'Empereur, de ne pas répéter la faute de la Restauration et de la maison d'Orléans : ils voudraient voir se rouvrir la lice parlementaire, avec tout son cortége de passions et d'entraînements, au risque d'amener une troisième catastrophe. Mais l'exemple de ces deux gouvernements ne doit pas être perdu pour la France. » Au fond, ces belles luttes parlementaires étaient, selon M. de Persigny, a de grandes imprudences, » car dans un pays où personne n'était d'accord sur le principe même du Gouvernement, où il y avait quatre ou cinq nations dans la nation, l'exercice complet des libertés publiques ne pouvait avoir pour effet que de former des coalitions pour renverser l'Etat lui-même au péril immense de la société tout entière. « Avant de mettre en mouvement tous les rouages de la liberté, foudons d'abord un gouvernement, établissons une dynastie qui soit, comme en Angleterre, à l'abri des attaques des partis et en dehors des discussions publiques. Or, toutes les dynasties ont besoin de la consécration du temps. Le temps peut seul achever la réconciliation des partis qui ont si longtemps divisé la France. >>

Ce serait le moment de la discussion. Jusque-là, il fallait conserver dans les institutions ce que la prudence conseillait de garder. Avant tout, la fondation d'une dynastie « indispensable aux libertés, comme à la grandeur et à la sécurité du pays, » et pour un bien avenir immense il fallait savoir supporter quelques inconvénients.

L'orateur envisagea ensuite la portée du dernier attentat, et il démontrait avec raison, l'histoire à la main, que les résultats de complots de ce genre tournaient contre les partis qui les suscitaient. Il se demandait ce qui arriverait si, en frappant l'Empereur, le poignard d'un assassin « allait toucher au cœur même de tant de millions d'hommes. Certainement qu'à un pareil moment tout le monde ferait son devoir; que l'Impératrice, avec le courage chevaleresque qui la distingue, saurait comprimer sa douleur, pour présenter son fils au peuple et à l'armée; que le prince Jérôme, ce vénérable frère de l'Empereur, serait auprès d'elle et l'assisterait de ses conseils; que, de

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son côté, le Prince Napoléon, qui donne aujourd'hui tant d'espérances au pays, ne manquerait pas de provoquer, au besoin, dans le gouvernement, les mesures à prendre pour assurer le trône à son neveu, qu'enfin, le conseil de régence et le gouvernement tout entier seraient à la hauteur des circonstances; mais toutes les ressources de la prudence humaine seraient dépassées par les effets de l'indignation publique. » Ce qui était parfaitement vrai; l'histoire donnait ici de tout point raison à l'orateur.

Conclusion quant à l'intérieur : la dynastie napoléonienne était, en réalité, dans les meilleures conditions de puissance et de durée.

De même à l'extérieur. Jamais depuis 1815, selon M. de Persigny, les relations de la France avec l'Europe n'avaient été, tout à la fois, et aussi honorables et aussi amicales. Ici, une allusion au nuage qui récemment avait obscurci les rapports avec la Grande-Bretagne, nuage actuellement dissipé. C'est que les intérêts des deux peuples se trouvaient aujourd'hui si étroitement liés, « qu'il serait difficile, même aux passions les plus aveugles, de les amener à une rupture entière. » Et M. de Persigny envisageait tour à tour l'intérêt de chacune des deux nations à rester l'alliée de l'autre. Avec l'Angleterre, nous sommes maîtres des mers, et par conséquent, plus rien à craindre sur les frontières. Nulle coalition possible contre la France. On n'avait, d'ailleurs, plus de rivalité matérielle avec l'Angleterre depuis qu'elle avait ouvert au commerce français, comme au sien, l'accès de ses immenses colonies; et ce n'était pas sa faute, << si continuant notre système de production à haut prix, »> nous ne savions pas mieux en profiter.

Intérêt de l'Angleterre à l'alliance française: il était plus manifeste encore. Jouissant sans contestation de la suprématie maritime et coloniale, conquise en 1814 et en 1815, elle devait se dire que, dans le cas d'une nouvelle lutte, même heureuse avec nous, elle n'obtiendrait jamais que le maintien en possession de ce qu'elle avait déjà. Une série de malentendus avait pu seule, à la suite de l'attentat du 14 janvier, troubler instantanément le bon accord entre les deux gouvernements. Le public

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anglais crut voir, « bien à tort assurément, » dans des discours ⚫ prononcés à Paris sous l'impression de l'émotion publique, une disposition de la France à rendre l'Angleterre responsable de l'attentat du 14 janvier, et à la mettre en suspicion. Puis quelques modifications dans le régime des passe-ports, a les adresses de l'armée. » Alors il se passa, ce qui arrive toujours dans un pays libre, quand le sentiment national est mis en jeu : les passions populaires ne connurent plus de bornes, et la situation politique fut dominée par ces passions. Mais ces malentendus ne changeaient rien à la situation des deux peuples; en d'autres termes, eût pu ajouter M. de Persigny, aux intérêts des deux nations. Ce remarquable discours concordait parfaitement avec les actes présents de la politique impériale et avec les paroles mêmes que fit entendre Napoléon III, lors de son récent et mémorable voyage dans l'ouest du pays. On verra plus loin les détails du voyage moins politique de l'Empereur dans l'Est, à Plombières, à Châlons. Mais c'est à Cherbourg, que le restaurateur de la dynastie napoléonienne exprima avec une hauteur, une autorité véritablement historique, des sentiments que le monde politique devait recueillir avec curiosité et empressement. La reine de la Grande-Bretagne s'y rencontra avec Napoléon III, et ce fait international d'une grande portée, était l'indice évident que les malentendus avaient cessé; que les préventions s'étaient dissipées pour ne laisser la parole qu'aux grands intérêts des deux pays. Cela surtout était significatif de la part de la France, qu'un de ses plus glorieux généraux, le duc de Malakoff, nommé ambassadeur en Angleterre, était venu, par sa mission à la cour de la reine Victoria, donner un gage officiel des sentiments pacifiques de l'Empereur.

La présence de la souveraine de la Grande-Bretagne, devait à son tour être d'autant plus significative que les gigantesques travaux accomplis dans cette forteresse eussent, à une autre époque, excité, sans nul doute, toutes les inquiétudes de nos voisins. Et autre preuve de cordiale entente, le duc de Malakoff devait accompagner la reine Victoria dans cette excursion, où elle avait été précédée par l'Empereur et l'Impératrice. Nous rappellerons dans un autre chapitre les détails secon

daires de ce voyage des deux souverains alliés, nous ne ferons ressortir ici que le côté politique. Le 5 août, diner offert sur le vaisseau la Bretagne à la Reine d'Angleterre. Au dessert, l'Empereur se leva et porta à S. M. Victoria le toast suivant:

a Je bois, dit Napoléon III, à la santé de S. M. la reine d'Angleterre, à celle du Prince qui partage son trône et à la famille royale. En portant ce toast en leur présence, à bord du vaisseau amiral français, dans le port de Cherbourg, je suis heureux de montrer les sentiments qui nous animent envers eux. En effet, les faits parlent d'eux-mêmes, et ils prouvent que les passions hostiles, aidées par quelques incidents malheureux, n'ont pu altérer ni l'amitié qui existe entre les deux couronnes, ni le désir des deux peuples de rester en paix. Aussi, ai-je le ferme espoir que si l'on voulait réveiller les rancunes et les passions d'une autre époque, elles viendraient échouer devant le bon sens public, comme les vagues se brisent devant la digue qui protége en ce moment contre la violence de la mer les escadres des deux empires.»

Cependant l'Empereur ne s'exprimait pas seulement avec cette ferme netteté sur l'alliance des deux peuples, il tenait sur la politique intérieure le même langage précis. A l'évêque de Bayeux, qui lui avait fait ainsi qu'à l'Impératrice les honneurs de la cathédrale, l'Empereur avait fait entendre, en réponse, cette parole louable et caractéristique, qu'il était heureux au début de son voyage « d'entrer dans cette belle église, qui attestait que la foi de nos pères ne trouvait rien de trop beau pour la maison de Dieu. »

Au maire de Cherbourg qui était venu présenter à Leurs Majestés ses hommages au nom de la cité, Napoléon III dit qu'il était heureux « de venir inaugurer, au sein de la paix, des travaux gigantesques commencés pendant la guerre » par l'empereur son oncle. « Se préparer pour la défense, c'est, vous le savez, ajoutait l'Empereur, assurer et garantir la paix. »>

Le 7 août, Napoléon III inaugura le nouveau bassin creusé dans l'arsenal de Cherbourg. Etant descendue dans le bassin, Sa Majesté scella la plaque commémorative de cet événement. Puis le cortége impérial vint prendre place sous une tente surmontée du pavillon de l'Empire. A ce moment les digues furent 14

1858

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