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rompues et l'eau fit irruption dans le bassin, pendant que cet immense réservoir, dont la surface dépassait huit hectares, et qui ne contenait pas moins de deux millions de mètres cubes, achevait de se remplir. A six heures précises, heure de la pleine mer, l'Empereur donna le signal de rompre les dernières amarres qui retenaient sur le chantier la Ville de Nantes, vaisseau de 90 canons et de 900 chevaux. Aussitôt ce magnifique navire glissa majestueusement sur son ber et traça son premier sillon dans l'eau, aux acclamations les plus enthousiastes des spectateurs.

Le 8 août, à l'issue de la messe, l'Empereur et l'Impératrice se rendirent sur la place Napoléon, où s'élève la statue du fondateur de la dynastie impériale. A l'arrivée de Leurs Majestés, le voile qui recouvrait la statue tomba aux cris habituels qui témoignaient de l'enthousiasme de la foule, et auxquels répondirent les salves d'artillerie de tous les vaisseaux en rade et des forts. Au discours prononcé à cette occasion par le maire de Cherbourg, l'Empereur répondit qu'il semblait être dans sa destinée de voir s'accomplir par la paix les grands desseins que Napoléon Ier avait conçus pendant la guerre. « En effet, ajoutait Sa Majesté, non-seulement les travaux gigantesques dont il avait eu la pensée s'achèvent, mais encore, dans l'ordre moral, les principes qu'il avait voulu, par ses armes, triomphent aujourd'hui par le simple effet de la raison. Ainsi, l'une des questions pour lesquelles il avait lutté le plus énergiquement, la liberté des mers, que consacre le droit des neutres, est résolue d'un commun accord. Tant il est vrai que la postérité se charge toujours de réaliser les idées d'un grand homme. » Toutefois l'Empereur n'oubliait pas les efforts persévérants des gouvernements qui avaient précédé ou suivi le fondateur de la dynastie impériale depuis Louis XIV, qui, secondé par le génie de Vauban, avait eu l'idée première de la création du port de Cherbourg, et Louis XVI qui en avait fait continuer les travaux, enfin Napoléon Ier et l'impulsion décisive qu'il lui donne, et que chaque gouvernement avait regardé comme un devoir de suivre. Napoléon III remerciait ensuite la ville de Cherbourg d'avoir élevé une statue à l'Empereur dans les lieux qu'il avait

entourés de sa sollicitude. « Vous avez voulu rendre hommage à celui qui, malgré les guerres continentales, n'a jamais perdu de vue l'importance de la marine. Cependant, lorsque aujourd'hui s'inaugurent à la fois la statue du grand capitaine et l'achèvement de ce port militaire, l'opinion ne saurait s'alarmer. Plus une nation est puissante, plus elle est respectée. Plus un gouvernement est fort, plus il apporte de modération à ses conseils, de justice dans ses résolutions. On ne risque pas alors le repos du pays pour satisfaire un vain orgueil ou pour acquérir une popularité éphémère. Un gouvernement qui s'appuie sur la volonté des masses n'est l'esclave d'aucun parti; il ne fait la guerre que lorsqu'il y est forcé pour défendre l'honneur national ou les grands intérêts des peuples » Et Sa Majesté terminait en disant qu'il fallait continuer en paix à développer les ressources diverses de la France. « Invitons les étrangers à assister à nos travaux; qu'ils y viennent en amis, non en rivaux: montrons-leur qu'une nation où règnent l'unité, la confiance et l'union, résiste aux emportements d'un jour, et que, maîtresse d'elle-même, elle n'obéit qu'à l'honneur et à la raison! »

Ce discours, largement pensé, était en même temps opportun et habile. Il était l'expression de sentiments pacifiques destinés à calmer les appréhensions ou les susceptibilités de certains Etats étrangers, émus des démarches, presque des exigences malheureusement trop légitimes du Gouvernement français, depuis l'attentat du 14 janvier. (Voyez Grande-Bretagne, Belgique, Elats-Unis.)

L'Empereur et l'Impératrice quittèrent Cherbourg le 8 août. Le vaisseau amiral la Bretagne, qui conduisait à Brest les augustes voyageurs, marcha suivi de l'escorte de dix vaisseaux formant l'escadre dans le plus grand ordre, chacun à la place qui lui était désignée. A une heure de l'après-midi (9 août) l'escadre entra dans le goulet de Brest.

On se représente aisément le magnifique effet de l'entrée de ces beaux navires dans la rade. Pour se rendre à terre, l'Empereur monta dans le canot sur lequel Napoléon Ier avait visité les bouches de l'Escaut et les défenses d'Anvers en 1811.

Le maire de Brest présenta les clefs de la ville au chef de

l'Etat; les autres fonctionnaires vinrent présenter à leur tour leurs hommages; le clergé eut pour organe l'évêque de Quimper. « Chrétiens et laboureurs, dit le prélat, les Bretons vous remercient de votre amour pour la religion et des encouragements que vous donnez à l'agriculture; ils ont applaudi quand un bras puissant a remis la pyramide sur sa base. Ils ont admiré le génie qui, après avoir conçu et dirigé une guerre lointaine, imposait sa sagesse aux congrès et leur dictait la paix.

>> Ils ont été remplis de vénération en voyant une charité intrépide se précipiter au milieu des inondations et secourir les populations désolées. »

Réponse de l'Empereur : « Il se félicitait, à son arrivée en Bretagne, d'être reçu par un clergé aussi recommandable que le clergé de la Bretagne, et il se joindrait à lui pour demander au Ciel de continuer sa protection à la France et de seconder les efforts de tous ceux qui travaillent au bien du pays. »

Le 15 août, à Sainte-Anne d'Auray, Napoléon III s'adressant à un autre éminent prélat, l'évêque de Vannes, lui dit que, suivant la vieille coutume du pays, il avait voulu venir ici (à Sainte-Anne) le jour de sa fête, demander à Dieu ce qui était le but de ses efforts, de toutes ses espérances, « le bonheur du peuple que Dieu l'avait appelé à gouverner. » Puis Leurs Majestés prirent place sous le dais et traversèrent processionnellement la cour qui précède la chapelle. Elles allèrent ensuite s'agenouiller devant l'autel où sont conservées religieusement les reliques de sainte Anne.

A M. de Sivry, sénateur et président du Conseil général du Morbihan, l'Empereur dit qu'il serait heureux si, de son passage dans le pays, datait une ère de plus grande prospérité pour la Bretagne; que c'était dans le but d'étudier de plus près, et sur les lieux mêmes, les besoins de cette partie de la France, qu'il avait entrepris son voyage. « J'aime, ajoutait Sa Majesté, à compter sur les Conseils généraux et sur leur zèle de tous les jours pour me seconder dans la réalisation des projets que je ferai préparer dans ce but si désirable. »

Au moment où l'Empereur quittait Vannes (17 août), le Con

seil municipal fut admis à faire au chef de l'Etat une offre bien modeste (des vaches bretonnes de la plus jolie espèce), mais qui était cordiale et avait une certaine importance économique. En effet, Sa Majesté admira les formes élégantes et gracieuses de ces bêtes de choix, qu'elle se proposait d'envoyer dans ses fermes.

A Napoléonville, le curé, à l'occasion de la présentation de son clergé, harangua l'Empereur et, en même temps, émit le vœu de l'érection d'une église dans la commune. Le digne prêtre rappela que le besoin de cette construction avait déjà été reconnu par l'empereur Napoléon 1er, qui en avait tracé le plan.

Réponse de Sa Majesté : Elle examinerait avec une trèsgrande attention la question de l'église. « Moi aussi, continuait Napoléon III, je serai heureux de poser bientôt la première pierre d'un monument projeté par l'Empereur mon oncle. J'en examinerai avec vous les plans dans la soirée. »>

Au maire de cette localité, l'auguste voyageur adressa d'affectueuses paroles : « Je n'ai pas oublié que c'est le Conseil municipal qui a demandé le premier que le nom de Napoléon fût rendu à cette cité. Je connaissais déjà les mâles vertus du peuple breton. J'ai voulu venir étudier par moi-même toutes les qualités des habitants de ce fidèle pays. »

En recevant les ingénieurs des ponts-et-chaussées, l'Empereur s'enquit de l'état des routes, des projets de chemins de fer, et, en particulier, de l'état du canal de Nantes à Brest. « Je veux, c'est Napoléon III qui parle, que les canaux fonctionnent en même temps que les chemins de fer, et concourent avec eux à la prospérité du pays. D

Avant le diner, Sa Majesté prouva au curé de Napoléonville qu'elle avait gardé le souvenir de ce que lui avait demandé ce vénérable chef de la paroisse. « Je vous donne quatre cent mille francs; je désire qu'on se mette à l'œuvre tout de suite, car je veux l'inaugurer dans deux ans. »

En répondant au président du Conseil général des Côtes-duNord, baron de Thieullen, sénateur, l'Empereur eut occasion de rappeler combien il comptait sur les Conseils généraux pour

le seconder dans la tâche qu'il avait entreprise. « C'est par eux, en effet, que je puis connaître les besoins et les intérêts des départements, » disait Sa Majesté.

C'était aussi une grande vérité que celle que contenaient ces paroles adressées par l'Empereur à l'inspecteur de l'Académie de Rennes : « Faites-en (de la jeunesse) des hommes forts et religieux, et le pays, comme moi, vous en sera reconnaissant. »

Au président du tribunal de Lannion, qui disait à l'Empereur que si les habitants de ces contrées l'entouraient de toute leur affection, c'est qu'ils sentaient bien qu'il était leur unique appui, Sa Majesté dit qu'elle « comptait sur la province pour l'aider à accomplir la grande mission qui lui avait été imposée. »

A cette réception assistait le frère du consul (M. Eveillard) si malheureusement assassiné à Djeddah (V. ci-dessous et le chapitre Turquie). Le 18 août, l'Empereur visita les étalons, les poulinières et les plus beaux produits des haras de Guingamp, et s'entretint longtemps avec l'inspecteur du dépôt (M. Houel). A Jugon, le maire demanda à Sa Majesté, « pour toute faveur, le bonheur de lui serrer la main. » Un peu avant d'arriver à Dinan (où naquit Duguesclin), l'Empereur et l'Impératrice s'arrêtèrent au couvent de Saint-Jean-Dieu, dont les frères hospitaliers vinrent au-devant du cortége impérial avec la croix et les bannières du couvent.

Le 20 août, au déjeuner offert par la ville de Rennes, et en réponse au président du Conseil général (M. de la Riboisière), l'Empereur prononça encore un de ces discours qui se gravent dans la mémoire des peuples. « Je suis venu en Bretagne par devoir comme par sympathie. Il était de mon devoir de connaître une partie de la France que je n'avais pas encore visitée. Il était dans mes sympathies de me trouver au milieu du peuple breton, qui est avant tout monarchique, catholique et soldat. »

Rappelant ensuite qu'on avait voulu souvent représenter les départements de l'Ouest comme animés de sentiments différents de ceux du reste de la nation, Napoléon III trouvait dans les acclamations qui l'avaient accueilli ainsi que l'Impératrice, le démenti d'une assertion pareille. « Si la France n'est pas complétement homogène dans sa nature, disait Sa Majesté, elle est

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