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Le 21 septembre, le Moniteur annonçait, dans une note, que les efforts combinés des troupes et des représentants de la France et de l'Angleterre avaient enfin été couronnés de succès.

D'une part, pleine satisfaction était donnée à des griefs légitimes; le châtiment infligé au meurtrier du père Chapdelaine, allait être rendu public; de l'autre, un traité signé presque aux portes de Pékin assurait « à notre commerce et à nos missionnaires,» un libre accès au sein du Céleste Empire. Les barrières séculaires qui retenaient encore dans l'isolement du reste du monde, un territoire peuplé de près de 300 millions d'habitants, allaient être définitivement renversées; la Chine serait complétement ouverte, et ne saurait plus à l'avenir se soustraire au mouvement civilisateur. C'est le 27 juin, que le baron Gros signa le traité négocié et conclu à Tien-tsin, après quinze jours de discussion avec les deux hauts dignitaires envoyés de Pékin. A cinq heures et demie, le négociateur français sortit de son Yamoun pour se rendre à la pagode de Haï-Kouang où l'attendaient les commissaires impériaux, une foule immense couvrait les bords du fleuve. En tête du cortége se trouvait le digne et valeureux coopérateur du baron Gros, l'amiral Rigault de Genouilly. Devant l'ambassadeur, marchait un sous-officier de l'infanterie de marine portant le drapeau national. A son arrivée dans la cour intérieure de la pagode, le baron Gros fut reçu par les deux hauts commissaires de la dynastie Ta-tsing, entourés d'une foule de mandarins à globules bleus, blancs, de toutes couleurs. Les places prises et le thé versé, on s'adressa de mutuelles félicitations au sujet de la paix si heureusement rétablie. L'Ambassadeur français invita les Commissaires chinois à signer, les premiers, sur le texte chinois, en se réservant de signer, le premier, sur le texte français. Kouei-Liang et Houa-cha-na prirent alors leur pinceau et dessinèrent successivement sur les divers exemplaires du traité les caractères formant leur signature. En même temps Py-hen, leur secrétaire, qui tenait entre ses mains le grand sceau récemment arrivé de Pékin, l'imprima sur le traité, lorsque, à son tour, le baron Gros apposa, le premier, sa signature sur le traité français, les troupes massées

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dans les cours de la pagode présentèrent les armes et firent entendre le cri de Vive l'Empereur.

L'ambassadeur de Sa Majesté proposa ensuite à Kouei-Liang de choisir celui des deux exemplaires qui devait être envoyé à Pékin, et il le lui offrit enveloppé dans un riche étui de soie bleue broché d'or, et venant de Paris; se tournant alors vers les hauts Commissaires, le baron Gros exprima tous ses vœux pour la prospérité du Céleste Empire et but à la santé de l'empereur Hien-Foung. Réponse gracieuse de ses représentants, qui faisant remplir leurs coupes d'un vin préparé à la manière chinoise, tiède et sucré, les vidèrent à la santé du Souverain du grand empire de France, montrant en même temps, par leurs coupes renversées, qu'ils ne laissaient rien au fond. Après quoi on fit une collation de thé, de fruits et autres mets préparés pour la circonstance par les envoyés chinois, le baron Gros prit congé d'eux et rentra avec son cortége dans le même ordre qu'à son arrivée.

Il importe maintenant de rappeler sommairement les dispositions du traité. A la suite des hostilités de 1842, entre la Chine et l'Angleterre, convention qui, plaçant à certains égards les barbares de l'Occident, comme les appelaient les Chinois, sur le même pied que les sujets du royaume du Milieu, leur ouvrait certains ports, leur accordait certains droits, leur donnait des garanties pour leur commerce et leurs personnes, et fondait les bases d'un droit international. En 1844, convention analogue entre la France et la Chine; on obtint en outre que l'Empereur rendrait un édit révocatif des peines portées contre les Chinois chrétiens. Mais, d'une part, cette concession était insuffisante, puisqu'elle n'était pas synallagmatique; de l'autre, la France continuait de n'avoir accès que dans cinq ports du Céleste Empire. Enfin, les légations étrangères ne pouvaient résider qu'à Macao ou à Hong-Kong, et, jusque-là, n'étaient entrées en rapport qu'avec le vice-roi de Canton.

Le traité actuel allait faire cesser cet état de choses. Ouverture de tous les ports importants du littoral chinois, ainsi que des grandes voies intérieures de communication. Les Français, qui, aux termes de la convention de 1844, n'avaient accès que dans

cinq ports, pourraient désormais, munis de passe-ports, parcourir sans obstacle toutes les parties de la Chine. Ce n'était plus grâce à quelque faveur spontanée du souverain, que les Chinois chrétiens cesseraient d'avoir à redouter les persécutions des mandarins, mais en vertu de stipulations bilatérales, abolitives de la législation qui proscrivait la doctrine du Christ, et permettaient aux missionnaires de l'Occident de circuler librement dans l'intérieur de l'empire, pour la répandre parmi les Chinois.

Le vice-roi de Canton cessait d'être l'intermédiaire de nos communications; désormais le représentant de la France traiterait directement avec la Cour de Pékin, et il obtenait à cet effet le droit de résidence dans cette capitale. On n'aurait plus à craindre que la déloyauté de certains fonctionnaires ne vint entraver une solution en cas de différend. Le commerce recevrait de nouveaux développements, par suite du droit acquis désormais aux négociants d'acheter directement et sans intermédiaire les marchandises sur les lieux mêmes de production. Leurs marchandises n'auraient plus à subir les surtaxes arbitraires des mandarins, le Gouvernement devant publier une taxe uniforme. Le droit de tonnage serait également réduit. Des mesures allaient être prises pour arrêter les ravages des pirates. Enfin, stipulation de 15 millions de francs à la charge du Gouvernement chinois, en réparation des dommages causés aux négociants, et pour couvrir les frais de la guerre.

« Les vœux que formaient tous les esprits éclairés sont donc exaucés, disait le Moniteur: la Chine, arrachée à son immobilité et à son isolement, subira l'heureuse influence du christianisme et de la civilisation, et prendra en même temps, dans le mouvement commercial du monde, le rôle que lui assignent ses immenses ressources. »

Les choses n'iraient peut-être pas aussi rapidement, car une civilisation stationnaire ne subit pas immédiatement l'influence étrangere; mais enfin on pénétrait en Chine, et c'était beaucoup. Le journal officiel faisait ressortir aussi avec raison que l'heureuse issue de cette campagne était due « à la bonne entente heureusement maintenue entre les Gouvernements de France et d'Angleterre. »

Les deux pays eurent un autre lointain et éclatant succès, l'un et l'autre conclurent d'utiles traités avec le Japon. Quant à la France, le 27 décembre, M. de Moges arrivait à Marseille porteur de la convention conclue à Yédo le 9 octobre précédent, par le baron Gros, et six plénipotentiaires japonais.

Le drapeau de la France ne flottait pas seulement victorieusement en Chine, ou au Japon, un rapport du vice-amiral Rigault de Genouilly, en date du 17 septembre, témoignait encore que le pavillon national comptait un succès de plus. Cette fois, c'est en Cochinchine et dans la baie de Tourane, que, de concert avec le gouvernement espagnol, une expédition avait eu lieu. Les griefs de la France étaient anciens persécutions des missionnaires, refus de recevoir les ouvertures pacifiques du gouvernement de l'Empereur, ou même de laisser débarquer l'agent spécial, envoyé en 1856 pour tenter d'ouvrir, dans l'intérêt de l'humanité et de la civilisation, des relations avec la cour d'Annam, qui récemment avait fait mettre à mort un saint évêque, Mgr Diaz.

L'expédition résolue par suite a de cette hauteur » que la France ne devait pas supporter, aboutit à la prise des forts de Tourane et à leur occupation. Toutefois, l'armée annamite, que l'on supposait forte de 10,000 hommes, ne se présenta point. Et l'on ne pouvait considérer l'occupation des forts de Tourane par les troupes alliées, que comme une démonstration de nature à impressionner le gouvernement cochinchinois.

Plus près de nous, en Europe, rien, quant à présent, ne paraissait devoir troubler les relations des puissances entre elles. De pacifiques traités se concluaient entre la France et d'autres pays, en vue surtout de faciliter les communications. C'est ainsi que, le 5 juin, paraissait la promulgation de la convention conclue, le 16 novembre 1857, entre la France et le duché de Bade pour l'établissement d'un pont fixe sur le Rhin, et du chemin de fer de Strasbourg à Kehl. L'importance d'un accord de ce genre n'a pas besoin d'être démontrée; elle témoignait de la confiance réciproque des parties contractantes et des dispositions pacifiques des deux pays.

CHAPITRE VI.

ÉVÉNEMENTS DIVERS.

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Inauguration du boulevard de Sébastopol Discours de l'Empereur; éloge que fait Sa Majesté du préfet de la Seine. - Fête du 15 août : toast porté par M. Haussmann. Toast de M. Pietri, en Corse. - Exposition de Limoges: Discours du prince Napoléon. Les concours régionaux. Les concours hippiques. La pisciculture. M. Dupin au comice agricole de Clamecy. Le monopole de la boucherie à Paris; sa suppression. Motifs de cette importante mesure. La Caisse des travaux publics. Décret qui modifie la classification des industries soumises aux Conseils des prud'hommes. Les compagnies de chemins de fer et l'impôt sur les valeurs mobilières.- Note du Moniteur à ce sujet. — Commission de statistique des faits agricoles. — Société d'acclimatation: Discours prononcé par le prince Napoléon au sein de cette assemblée.

Nous avons tenu à faire ressortir la pensée du chef de l'Etat, quant à la politique étrangère; on ne la suivra pas avec un moindre íntérêt, relativement à une question de politique intérieure, les embellissements de Paris : l'inauguration du boulevard de Sébastopol, achevé sur la rive droite, en fournit une occasion. Elle eut lieu le 5 avril, et avec une remarquable solennité. A l'arrivée de l'Empereur et de l'Impératrice, et à un signal donné par le préfet de la Seine, on vit s'abaisser un immense velum en étoffe d'or mat, semé d'étoiles d'or bruni et orné d'un réseau de guirlandes de fleurs qui, supporté par deux élégantes colonnes, fermait, à vingt mètres d'élévation au-dessus du sol, le nouveau boulevard, à l'intersection du boulevard Saint-Denis. Alors se montra, pour la première fois, sur un développement de près de 2,500 mètres, cette immense voie, large de 30 mètres, plantée d'arbres, munie de ses candélabres, et déjà bordée d'un grand nombre de maisons magnifiques (Moniteur). Après être passé entre les rangs de la garde nationale et de l'armée, l'Empereur

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