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toyens français. Il y avait sans doute quelque chose de fondé dans ces réclamations; restait la question de savoir dans quelle mesure l'assimilation devait avoir lieu. C'est ce que les actes du nouveau ministère allaient faire connaître.

Le premier et principal résultat de la nomination d'un ministre de l'Algérie et des Colonies devait être, une fois le principe du partage d'attributions posé dans le décret du 24 juin, d'en déterminer l'application. Ce fut l'œuvre d'une Commission présidée par le prince Napoléon, qui en rendit compte le 29 juillet. Et d'abord, quant à l'Algérie, aux termes du Rapport de S. A. I. à l'Empereur, le gouverneur général serait nommé sur la proposition du Prince-ministre; il ne relèverait que de lui, ne correspondrait qu'avec lui, sauf en ce qui toucherait les faits purement militaires, n'intéressant pas spécialement l'Algérie. Nécessité également de rappeler au ministère de l'Algérie et des Colonies les services détachés du ministère de la Guerre en 1848, savoir la justice, les cultes, l'instruction publique. Naturellement le personnel des bureaux arabes serait mis à la disposition du département de l'Algérie et des Colonies.

Ces prémisses posées, le reste s'en déduisait logiquement.

Direction des affaires. Toutes dépêches concernant la politique et l'administration, même d'un caractère militaire, seraient adressées au Prince-ministre, sauf à communiquer au Ministre de la Guerre celles qui le concerneraient.

Pour les autres services: génie, artillerie et administration militaire, principes analogues, à part quelques exceptions de détail.

Un chapitre plus important c'était celui de la Justice militaire. Le Prince-ministre proposait la transmission directe au Ministre de la guerre, de la correspondance relative à cet objet. Toutefois, les conseils de guerre, connaissant des crimes et délits commis par les Européens et les indigènes dans certaines parties du territoire, les jugements de cette catégorie seraient adressés au ministère de l'Algérie, qui les notifierait au département de la Guerre; néanmoins il garderait dans ses attributions les propositions de commutation de peine ou de réduction.

Troupes. A cet égard tout devait découler de la règle établie :

correspondance ressortissant au ministère de l'Algérie de tout ce qui concernerait la politique et l'administration du pays. En conséquence, délation préalable des opérations militaires au ministre spécial, sauf concert, au besoin, avec son collègue de la guerre au sujet de la force et de la composition des colonnes. Mais, dès l'entrée en campagne, communication au ministre de la guerre du double des rapports établis par le commandant des troupes. Puis, d'autres détails purement administratifs.

Rapport avec le ministère de la marine. Application du même principe: au Prince-ministre la connaissance et la direction des mesures militaires intéressant l'Algérie.

Colonies. Ordonnancement des dépenses à Paris; tel était le principe à appliquer: toutefois, après líquidation des dépenses courantes par les agents secondaires de la marine, venaient des dispositions relatives aux pensions, aux officiers détachés, enfin aux gouvernements mixtes. Parmi ces derniers, il y en avait dont les titulaires étaient en même temps gouverneurs et chefs de station navale. Au ministère de l'Algérie la nomination des premiers; mais quant aux gouverneurs commandant en même temps les forces navales de la France sur les côtes occidentales d'Afrique, en Océanie et en Guyane, leur désignation serait proposée de concert entre le ministère de l'Algérie et celui de la marine,

Des articles accessoires étaient prévus par le rapport du Prince. Seulement, dès l'abord, on pouvait voir que le nouveau ministère entendait appliquer à notre jeune colonie les règles administratives de sa vieille métropole.

Des décrets, en assez grand nombre (V. App.), consacrèrent ces innovations. La plus considérable, et aussi la plus logique, devait être la suppression (31 août) des fonctions de gouverneur général, et l'institution d'un commandement supérieur des forces militaires de terre et de mer employées en Algérie. Cette mesure se motivait en quelque sorte par elle-même. Cependant il importe de rappeler en substance les considérations sur lesquelles s'appuyait le Prince-ministre en son rapport à l'Empereur (31 août). Il y était dit d'abord que ces hautes fonctions de gouverneur général devaient être nécessairement réparties entre

le ministre spécial et les autorités locales « par une sage décentralisation. » Une double centralisation à Alger et à Paris serait un grave inconvénient et un obstacle réel à la prompte exécution des affaires. L'Empereur veut, continuait le Prince, que, tout en continuant d'assurer, au moyen d'une armée suffisante, la soumission des Arabes et leur tranquillité, son Gouvernement ait pour principal but la colonisation. « Pour cela il faut, à côté de la sécurité, plus de liberté. » Au jugement de S. A.I., l'Algérie ne pouvait être assimilée à aucune des grandes possessions étrangères. Dans l'Inde le gouvernement s'exerçait par l'intermédiaire de chefs indigènes; aux Etats-Unis, l'établissement des Européens s'était fait par l'extermination ou l'expulsion des Indiens: rien de semblable ne pouvait se faire en Afrique. Une race belliqueuse à contenir et à civiliser, une population d'émigrants à attirer, une fusion de races à obtenir, une civilisation supérieure à développer par l'application des grandes découvertes de la science moderne. « Nous sommes, ajoutait le Princeministre, en présence d'une nationalité armée et vivace, qu'il faut éteindre par l'assimilation, et d'une population européenne qui s'élève; il faut concilier tous ces intérêts opposés, et de là les rôles indiqués aux fonctions militaires et aux fonctions civiles en Algérie. » Il était temps, selon S. A. I., que le territoire conquis (225 lieues de côtes sur une profondeur illimitée) produisit un revenu de nature à couvrir les dépenses de la métropole. Le Prince rappelait la division de l'Algérie en trois provinces, subdivisées elles-mêmes en territoires militaires et en territoires civils; les premiers, où l'élément arabe était presque exclusif, étaient administrés par des généraux; les seconds, où dominait l'élément européen, c'est-à-dire où les institutions civiles devaient être prépondérantes.

Il convenait d'amoindrir dans les uns l'influence des chefs arabes, et de faire cesser dans les autres la tutelle étroite exercée par le pouvoir sur les intérêts et sur les personnes; en un mot, de laisser aux administrateurs généraux ou préfets une plus grande latitude.

« Gouverner de Paris et administrer sur les lieux, » tel était le système qui paraissait au Prince-ministre le plus propre à

contribuer au prompt développement de la prospérité des possessions françaises du nord de l'Afrique.

Dans cet ordre d'idées, la centralisation des affaires à Alger par un gouvernement général devenait « un rouage inutile. » Des deux systèmes en présence, celui qui consistait à transporter tous les services à Alger en faisant du gouverneur général un ministre, et celui qui consistait à absorber le gouverneur général par la constitution d'un ministère spécial, l'Empereur avait choisi le dernier.

« Il y a urgence, disait le prince Napoléon, de donner satisfaction à l'opinion publique, qui attend du Gouvernement de l'Empereur une solution de ces graves questions. Votre Majesté ne voudra pas que le ministre, seul responsable vis-à-vis de l'Empereur, porte le poids d'une fausse situation qu'il ne pourrait surmonter. >>

Résumant ensuite l'état de l'Algérie: a Beaucoup de bien a été fait; des résultats immenses ont été obtenus; mais on ne peut se dissimuler qu'il y a des abus à faire cesser, et qu'il faut pour cela beaucoup de force et d'unité de volonté. La conquête et la sécurité sont entières, grâce aux efforts glorieux de notre armée; les crimes sont rares; les routes et les propriétés sont sûres; les impôts rentrent bien, et cependant la colonisation est presque nulle. Deux cent mille Européens à peine, dont la moitié Français; moins de cent mille agriculteurs; les capitaux rares et chers; l'esprit d'initiative et d'entreprise étouffé; la propriété à constituer dans la plus grande partie du territoire; le découragement jeté parmi les colons et les capitalistes qui se présentent pour féconder le sol de l'Algérie telle était la situation vraie. »>

Ainsi parlait le Prince. Dans sa pensée, la suppression des fonctions de gouverneur général rendrait l'action du Gouvernement plus facile; il voyait d'ailleurs une occasion opportune pour ce changement dans la démission du maréchal Randon, auquel d'ailleurs il rendait justice. Toutefois, la question militaire restait intacte. Sur ce point, la centralisation à Alger devait être maintenue, et le commandement supérieur être dévolu à un chef unique. L'autorité militaire restant ce qu'elle

devait être, concentrée dans une même main à Alger, et l'autorité administrative remise complétement aux préfets en territoire civil, et aux généraux de division en territoire militaire, enfin le ministère redevenu posssesseur de sa liberté d'action et de direction, et pouvant accepter une responsabilité sérieuse: telles seraient les conséquences de la mesure proposée à l'Empereur. Ces longs développements, d'ailleurs sagement conçus, avaient pour couronnement les prévisions suivantes :

« Vous pouvez espérer, Sire, féconder ainsi la colonisation, et attirer en Algérie le courant de l'émigration européenne par des principes simples et salutaires.

» Sécurité et justice pour tous: Français, Européens et indigènes. Emancipation successive des hommes et des intérêts. » L'Empereur approuva ce programme. En conséquence, après le décret de suppression des fonctions de gouverneur général et d'institution d'un commandement supérieur des forces de terre et de mer en Algérie, autre décret en date du même jour (31 août) qui appelait à ce commandement le général de division de Mac-Mahon.

Le nouveau ministère entra un peu dans les errements habituels des administrations nouvelles : actes, dépêches, circulaires, le tout en abondance. Dans le nombre, quelques-uns de ces documents devaient être remarqués. « Faire mieux connaître chaque jour les ressources et les besoins des colonies, développer le crédit, encourager tous les progrès, surtout ceux de l'agriculture; étudier et provoquer les mesures nécessaires pour assurer aux produits des débouchés plus avantageux et une consommation plus étendue; continuer à répandre au sein des populations coloniales les bienfaits de la civilisation; rattacher plus étroitement encore la France d'outremer à la France continentale, faire enfin aimer le nom et le Gouvernement de l'Empereur. » Tel devait être, aux termes d'une circulaire adressée le 5 juillet aux gouverneurs et aux commandants des colonies, le but du ministre de l'Algérie, et pour lequel il comptait sur le concours de ces fonctionnaires.

D'autres et louables recommandations leur étaient faites: Obtenir le maintien de l'ordre por la justice, la modération et

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