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mais qui n'avait que du cœur. Ou bien c'est un autre artiste (M. Achard les met volontiers en scène), qui, après avoir rêvé l'opéra, gâté, adulé, ne travaille pas et finalement retombe sur un café chantant. Il a au logis une jeune femme qu'il néglige, parce qu'elle n'est pas à sa hauteur. Bientôt le désordre l'étreint. Sa femme le surprend en pleine orgie. Elle est mourante sous le poids de l'impression qu'elle en a reçue, quand Urbain, ce mari dégradé, la croyant morte, revient dans la maison conjugale pour y recueillir..... quoi? L'aumône que lui jette le père adoptif de la jeune femme. Celle-ci l'a entendu. « Il me semble, dit-elle, que c'est la voix d'Urbain. Non, lui est-il répondu ; c'est un mendiant à qui j'ai jeté quelques écus. » Voilà le livre, plus intéressant d'ailleurs que le précédent. Au théâtre, c'est encore le roman, mais traduisant en actes les imaginations des romanciers. On y est moins hardi, et pour cause; la censure est là, et puis le public, au sein duquel circule parfois le sens universel qui fait justice des écarts auxquels le roman se laisse trop souvent entraîner. Deux pièces sont sorties de la ligne commune : Hélène Peyron, de M. Bouilhet, et La Jeunesse, par M. Augier. Vers facile chez l'un et chez l'autre, et but moral en définitive; mais comment un bon esprit comme l'auteur de la Ciguë et de Gabrielle a-t-il pu mettre en scène cette triste Mme Huguet qui prêche à son fils, un avocat sans causes, et qui veut en trouver à tout prix les doctrines égoïstes dont la poésie de M. Augier ne peut sauver l'odieux. Jamais, quoi qu'on fasse, on ne s'habituera à entendre sortir de la bouche d'une femme, d'une mère, des théories à peine supportables dans celle d'un homme. Voilà le malheur de cette pièce.

Tout cela, roman et théâtre, prouve que l'on ne fera pas mal de revenir à la lecture attentive, incessante de ces écrivains que M. de Sacy cherche tout d'abord dans les bibliothèques. Nous croyons bien, malgré la divergence sur d'autres points, que l'auteur de l'Histoire de la littérature française sous la restauration, M. Nettement (Paris, Lecoffre), est du même avis. Nous reviendrons sur ce remarquable ouvrage, dont on peut critiquer le point de départ, mais dont on ne saurait méconnaître le talent éprouvé. L'ouvrage que nous avons sous les yeux est un

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tableau animé, complet, bien écrit, de la littérature si remarquable et si féconde de cette époque. Vaste sujet où brillent des noms célèbres à tant de titres : les Guizot, les Thierry, les Carrel, les Lamennais, les Joseph de Maistre. Rien de plus instructif qu'une telle lecture, et rien qui repose autant de beaucoup d'agitations (1). A une autre époque, un écrivain, dont les opinions sont très-voisines de celles de M. Nettement, M. Laurentie avait publié un ouvrage intitulé Histoire, morale et littérature (Paris, Lagny frères). Le premier volume est surtout recommandable. Les Historiens latins y sont passés en revue par un écrivain qui les connaît et qui sait les apprécier. Approuvé par l'Université à l'époque de la publication, cet ouvrage sera toujours recherché. Le volume intitulé : Fragments, n'est pas la suite du précédent; mais il s'y rencontre maints sujets, mains détails auxquels on s'arrête volontiers; tels sont les chapitres intitulés de Maistre, M. de Chabrol. Nous voudrions avoir le temps de rendre compte des ouvrages d'un écrivain dont la plume élégante et surtout convaincue, a toujours été vouée, en philosophie comme en économie politique, aux plus sages et aux plus libérales doctrines. M. Baudrillart a publié cette année des Etudes de philosophie morale et d'économie politique, un ouvrage qui porte l'empreinte des plus nobles sentiments, et auquel nous consacrerons plus tard l'examen attentif et sérieux qui lui est dû. Autant en dirons-nous d'un nouvel ouvrage de l'auteur de la Longévité humaine, et de tant d'autres œuvres charmantes où la science a tout l'attrait de la littérature. L'ouvrage, paru cette année, De la vie et de l'intelligence (Paris, Garnier frères), annonce la découverte d'une force nouvelle, la puissance plastique, dont le siége est dans le périoste. En même temps, l'auteur se livre à l'étude de cet autre ordre de

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(1) A propos d'enseignement et d'études littéraires nous devons citer quelques ouvrages placés à d'autres dates (1850 et 1856), mais dont le nom de l'auteur dit toute la valeur : Les Lettres sur l'éducation du peuple, par M. Laurentie (Paris, Lagny frères); Les Lettres à un père et à une mère sur l'éducation de son fils. (Paris, mêmes éditeurs). Toutes réserves faites sur certains points, ces ouvrages, écrits avec élégance et une remarquable finesse, seront toujours consultés avec fruit.

forces qui met en rapport l'homme avec Dieu, et l'être vivant avec le monde extérieur.

Précédemment, dans un volume intitulé: De l'instinct et de l'intelligence des animaux (Paris, mêmes éditeurs), le savant et élégant académicien avait rassemblé tout ce qu'on a dit et non pas tout ce qu'on sait (et le saura-t-on jamais? dit-il luimême) sur ce sujet. » Ces problèmes, qu'on ne résout pas dans ce monde, auront leur solution dans un autre. » M. Flourens a bien raison; mais en attendant il prépare la voie par ses excellentes études (1).

§ 2. Chronique judiciaire. Le procès des auteurs de l'attentat du 14 janvier devait être aussi celui qui aurait le plus long retentissement. Aux détails donnés ci-dessus nous nous bornerons à ajouter ceux qui peuvent faire connaître les individus qui l'avaient perpétré. Orsini (Félix) était homme de lettres. Né à Meldola, il avait trente-neuf ans lors de l'attentat. Ses complices arrêtés étaient Charles de Rudio, professeur de langues, né à Bellune et âgé de vingt-cinq ans ; Antoine Gomez, domestique, né à Naples, et âgé de vingt-neuf ans. De l'acte d'accusation résultaient les faits suivants, dont quelques-uns déjà connus (V. ci-dessus), à savoir la triple explosion qui le soir du 14 janvier fit autour de la voiture impériale de si nombreuses victimes, tandis que l'Empereur et l'Impératrice étaient miraculeusement préservés. Nul doute cependant que c'était le souverain et son auguste compagne que les auteurs de l'explosion voulaient atteindre. Circonstance caractéristique, c'est qu'à part un Français réfugié à Londres, du nom de Simon Bernard, l'attentat avait été tramé par des étrangers. Orsini était un Italien depuis longtemps mêlé, selon l'acte d'accusation, aux agitations politiques de ce pays; ce qui lui avait valu des condamnations nombreuses et diverses. Quant aux trois autres ac

(1) Un autre croyant, écrivain remarquable lui aussi, M. Marcel de Serres s'est livré à une étude analogue sur les Causes des Migrations des divers animaux, etc. (Paris, Lagny frères, 1845, 2o éd.). Il y a tant d'attraits dans un tel sujet que l'on ne s'étonne pas des pages éloquentes qu'il inspire. C'est un excellent guide à suivre.

cusés présents, ils avaient également mené une vie de hasards et d'aventures: de Rudio, en particulier, aurait été lui aussi compromis dans les troubles politiques de l'Italie. La procédure dirigée contre ces individus suivit son cours. Orsini, que l'on pouvait considérer comme le principal accusé, fut défendu par Me Jules Favre; Mes Mathieu et Nicolet prêtèrent l'appui de leur talent aux autres accusés. M. Chaix-d'Est-Ange fut l'organe du ministère public.

« C'est en Angleterre, dit ce magistrat, à l'ombre de ces lois protectrices qui semblent choquer nos habitudes, nos maximes, nos instincts, nos mœurs, mais que nous ne devons pas juger trop légèrement, parce que nous ne les connaissons pas bien, et parce qu'elles sont après tout les lois d'un grand peuple; c'est en Angleterre que s'ourdissaient ces trames. » Orsini, ajoutait ensuite le Procureur général, est un homme créé pour cons pirer,... actif, entreprenant, infatigable, plein de vanité; se plaisant à occuper la scène, à parler de lui; écrivant dans ses Mémoires que les actes de sa vie l'avaient rendu célèbre, parlant de l'empressement des femmes à sortir de leurs maisons seulement pour le voir et pour contempler le héros qui avait trompé ses geôliers en s'échappant d'une forteresse. » Puis M. Chaix-d'Est-Ange racontait les actes, les voyages de cet accusé. Son organisation de la Compagnie de la mort, qui précisément l'avait fait enfermer dans une forteresse, enfin son arrivée en Angleterre où il vivait en faisant des lectures publiques. Le chef du Parquet rappela de même les antécédents des autres accusés moins remarquables; il serait superflu de s'y arrêter ici. « Les faits sont constants, certains, disait ce magistrat ; le complot et l'attentat sont prouvés. »

Répondant ensuite à ce moyen de défense, que ce complot c'était l'amour de la patrie italienne qui l'avait inspiré : « Ce mobile fût-il vrai, s'écriait le procureur général, ne saurait être une excuse, ni une atténuation. Dans l'antiquité, je le sais, des sectes sauvages enseignaient que l'amour de la patrie pouvait justifier même l'assassinat ; je sais aussi que, même depuis que l'Evangile a régénéré la loi païenne, il s'est trouvé des hommes qui, pour excuser le meurtre de Henri IV, ont préconisé l'as

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sassinat politique. A cette maxime détestable de la souveraineté du but, je ne répondrai qu'une chose; je dirai avec Bossuet : « Quoi! vous voulez que chacun soit juge de la vie de son prochain, de son souverain, de son roi! » Vous voulez que Dieu ait confié la vie de chacun à la conscience individuelle de chacun... Eh quoi! le sort des empires serait soumis à de pareils caprices, et l'assassin pourrait dire qu'il agit pour le bien de la patrie! Je le répète avec Bossuet : Que deviendront les Etats si on établit cette maxime? que deviendront-ils? ce sera une boucherie. »

Ces paroles éloquentes de M. Chaix-d'Est-Ange n'exigeaient pas moins que le talent éprouvé, hors de ligne de M. Jules Favre, pour que la défense fût possible... « Je déteste la violence, disait l'habile avocat d'Orsini, et je condamne la force quand elle n'est pas employée au service du droit. S'il était une nation assez malheureuse pour tomber entre les mains d'un despote, ce ne serait pas le poignard qui briserait ses chaînes. Dieu qui les compte sait les heures des despotes: il leur réserve des catastrophes plus inévitables que les machines des conspirateurs... >> M. Jules Favre expliquait ensuite à quel funeste entraînement Orsini avait cédé. Son père avait vu tomber en Italie le dernier soldat de la cause italienne: et l'on ne devait pas s'étonner de le rencontrer ensuite, comme son fils plus tard, dans toutes les conspirations qui avaient eu pour but l'unité et l'indépendance de l'Italie.... « Ah! je le demande à M. le procureur général? Italien, est-ce qu'il ne sentirait pas le mal qui ronge sa patrie ? Est-ce qu'il ne sentirait pas le poids des chaînes dans lesquelles elle se débat? La pensée à laquelle Orsini s'est dévoué, mais elle a été celle de Napoléon Ier qui voulait l'unité de l'Italie, qui a fait beaucoup pour y arriver, et qui savait que la première chose à faire était la destruction du pouvoir temporel du Pape.... » Continuant ensuite avec cette même éloquence soutenue, le défenseur d'Orsini en vint enfin à la catastrophe.... « Le voilà, dit-il, dans une entreprise que j'abhorre! Qu'ai-je besoin d'une défense ultérieure..... Italien, Orsini a conspiré pour sa patrie. Descendez dans son cœur, mais ne le méprisez pas !... Ecoutez l'accusé, et dites si ses paroles sont des paroles de forfanterie ou de faiblesse? Et M. Jules Favre lut la lettre d'Orsini à Napoléon III,

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