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numéraire, il faut le temps, l'opportunité: au paysan pour se libérer, il faut le temps, l'économie. » Et si l'on objectait assez plausiblement que c'était grand mal de voir l'homme des champs acheter sans en avoir les moyens, la Commission répliquait que la tendance du paysan à devenir propriétaire n'était ni sans utilité morale ni sans opportunité politique; que si le paysan empruntait quelquefois pour payer l'immeuble, à un taux supérieur au revenu de celui-ci, le paysan affamé de terre serait encore bien plus en proie à l'usure lorsqu'il devrait consigner sur-le-champ. » Néanmoins même après cette argumentation on pouvait encore être de l'avis du Conseil d'Etat, et pour le dire en un mot, le paysan est trop enclin aux procès et à la procédure pour qu'on ne cherche pas à lui en fermer les voies. Cependant il convient d'ajouter, qu'en supprimant la consignation obligatoire le projet nouveau n'empêchait ni de stipuler cette clause dans le cahier des charges, ni l'acquéreur de consigner s'il le jugeait à propos. Ainsi amendé de concert entre le Conseil d'Etat et la Commission, le projet primitif allait être soumis aux délibérations, ou plus exactement au vote du Corps législatif, qui par les raisons énoncées ci-dessus ne devait plus guère songer à le modifier. On ne pouvait donc rencontrer dans le débat auquel le projet donna lieu en séances publiques (12 et 13 avril) que l'écho des objections ou apologies dont le rapport de M. Riché fournissait le résumé. Toutefois des lumières devaient ressortir encore de la discussion soulevée par des hommes compétents. Si, par exemple, M. Millet combattait le projet, c'est qu'il y trouvait des innovations dangereuses, en particulier, la déchéance qui atteindrait le créancier non produisant dans un délai rigoureux; l'insuffisance de celui imparti au juge des ordres pour dresser l'état de collocation; la suppression du délai d'opposition au jugement par défaut, et la trop grande abréviation des délais.

M. de La Tour, bien versé d'ailleurs en ces matières, se montrait plus optimiste. Comme le rapporteur de la Commission il souhaitait pour toutes les autres parties de la procédure la même simplification et la même réduction de frais.

Un autre membre également connu pour ses études spéciales de ces matières, M. Josseau, s'attacha à faire ressortir le mobile

qui avait présidé aux innovations du projet de loi. Il rappela que ce projet se rattachait à un système de mesures ayant pour objet de favoriser le crédit de la propriété foncière, les prêts hypothécaires. Depuis longtemps on signalait les défectuosités de notre système hypothécaire et de la procédure qui s'y rapportait. On insistait sur ce point de critique que le créancier hypothécaire, même alors qu'il obtenait son remboursement, n'y rentrait guère à l'époque fixée par le contrat. « Quiconque prête sur hypothèque,dit M. Dupin, est remboursé difficilement; il est à peu près sûr de ne pas être remboursé à l'échéance. » On avait donc songé d'abord à parer au défaut de sécurité de la loi de transcription, votée il y avait trois ans (V. Ann.). Venait le second inconvénient : le long temps qui s'écoule entre l'exigibilité et le remboursement; de là, la loi actuelle. « Il importe grandement au prêteur d'avoir sécurité quant à l'exactitude du remboursement; cela importe aussi à l'emprunteur: car moins le prêteur pourra compter sur l'exactitude du remboursement, plus il sera exigeant sur les conditions.» Rien de plus évident; et il n'était pas difficile de conclure que l'intérêt même du crédit, et, partant, de l'agriculture, résidait dans cette sécurité; dès lors aussi dans la simplification des formes, l'abréviation des délais et l'économie des frais. Ainsi, entière opportunité du projet de loi.

Après la clôture de la discussion générale, débat sur les articles. M. Duclos s'éleva surtout contre l'inscription obligatoire imposée au procureur impérial par l'article 692. L'honorable membre rappelait que, aussitôt après la promulgation du code Napoléon, les procureurs impériaux, voulant s'acquitter scrupuleusement de la mission à eux confiée, prirent très-fréquemment inscription pour des hypothèques légales. Mais la perturbation qui s'ensuivit, détermina le Grand-Juge à enjoindre aux procureurs impériaux de ne plus user de leur initiative.

Réponse du vice-président du Conseil d'Etat : Le droit de préférence reconnu à la femme n'est pas un droit éternel et inamissible; il doit prendre fin. Si l'ordre n'est pas poursuivi, si le délai prescrit est expiré, ce droit disparaît. L'inscription d'office donnera, au contraire, un corps à l'hypothèque, et l'empêchera

de périr. Donc elle est utile. Quant à l'impossibilité alléguée, M. le Commissaire du Gouvernement faisait observer que les pièces de la saisie permettraient toujours au procureur impérial de protéger les droits des incapables.

M. Guyard Delalain avait fait siennes les objections soulevées par M. Duclos contre la disposition que venait de défendre M. de Parieu; il avait ajouté que l'inscription d'office pouvait être sans intérêt pour la femme, qui avait d'ailleurs la faculté d'y renoncer.

Nouvelle réponse du Commissaire du Gouvernement: si la créance apparente n'a pas d'existence, ou si elle a été évidemment soldée, le procureur impérial ne fera rien inscrire ; mais tant qu'il n'y aura pas de preuve de la disparition du droit, l'inscription devra être requise.

D'autres observations ou critiques de détail furent encore échangées sur cet article 1er du projet (692 du Code); néanmoins il fut adopté.

Point de débat sur l'article 696, relatif à la désignation des journaux destinés à recevoir les annonces.

A propos de l'article 717 et en réponse à M. Ollivier, qui d'ailleurs reconnaissait le but louable de la loi, M. Riché reproduisit en quelques mots les raisons qu'il avait déjà fait valoir en son rapport. Le préopinant critiquait le court délai (trois mois) laissé à la femme pour exercer son droit de préférence après l'extinction du droit de suite. Aller au delà, répondait avec le Conseil d'Etat la Commission, n'était pas possible sous un régime qui, avant tout, s'inspirait des droits acquis. Toutefois, le délai accordé pouvait paraître trop court même après cette considération, à laquelle se ralliait toutefois M. du Miral, et que combattit à son tour M. Desmaroux de Gaulmin.

A propos de l'article 750, M. Ollivier ayant estimé trop long le délai de quarante-cinq jours accordé à l'adjudicataire pour la transcription du jugement d'adjudication, M. Riché rapporteur fit observer que ce délai était fondé sur la nécessité d'accorder à l'adjudicataire le temps matériellement indispensable pour être mis en possession d'une expédition de son jugement; puis il y avait l'enregistrement, le greffe. M. Riché avait raison,

les lenteurs sont presque inévitables. Adoption de l'article. L'article 760 fournit à M. Ollivier l'occasion d'émettre le vœu d'un remaniement du tarif, de manière à accorder aux avoués une rémunération proportionnée à l'importance de l'affaire. M. Riché répondit à cette plaidoirie, que la commission avait devancé ce vœu.

L'article 772 ayant fait demander à M. Desmaroux quels seraient, dans l'ordre qui n'aurait pas lieu par expropriation forcée, les droits de la femme, le rapporteur répondit qu'ils seraient absolument les mêmes que ceux des créanciers inscrits, et cela par analogie avec ce qui se pratiquait dans la procédure ordinaire d'ordre. Le débat ne se prolongea pas autrement; les autres articles ayant été votés, il en fut de même de l'ensemble de la loi, qui passa à l'unanimité (237 votants).

En modifiant, pour les simplifier, certaines dispositions du Code de procédure civile, relatives aux ordres et contributions en matière hypothécaire, le Gouvernement avait en vue l'intérêt agricole, le même motif le porta à présenter au Corps législatif un projet de loi, ayant pour objet de substituer la Société du Crédit foncier de France à l'Etat, pour les prêts à faire à l'agriculture, jusqu'à concurrence de cent millions, en vertu de la loi du 17 juillet 1856. (Voy. Ann.)

Cette loi, appréciant les bienfaits qui doivent résulter pour la production agricole de l'application du drainage, affecte une somme de cent millions à des prêts destinés à faciliter cette importante amélioration, et remboursables en vingt-cinq ans, par annuités, comprenant l'amortissement du capital et l'intérêt calculé à 40/0, avec faculté, pour l'emprunteur, de se libérer par anticipation, en totalité ou en partie. Indépendamment des garanties ordinaires, l'article 3 de cette loi constitue un double privilége pour assurer au Trésor le remboursement de ses avances. Restait la question de savoir si le prêt serait fait directement par l'Etat aux particuliers. L'ensemble de ces dispositions donnait lieu de le supposer. Mais le Gouvernement ne se montrait guère soucieux de se charger des embarras et des difficultés du rôle de prêteur, « pour lequel, disait l'Exposé des motifs, il reconnaissait vo» lontiers que son aptitude est contestable. » Ne valait-il pas

mieux se confier à un établissement spécial, tout disposé à cet effet? Voulut-il procéder autrement, il lui faudrait à raison de l'insuffisance des ressources ordinaires du budget recourir luimême à l'emprunt. Ce que ne permettrait guère l'état actuel des choses. Ajoutez que, d'une part, le crédit de l'Etat pourrait avoir à souffrir de la mise en circulation des titres provenant des coupons de l'emprunt ou des emprunts successifs, et d'autre part, difficultés qu'il y aurait, une fois l'emprunt contracté, d'en établir l'affectation spéciale aux travaux de drainage, la spécialité des caisses ayant disparu du régime financier du pays.

Ces difficultés disparaissaient devant l'intervention d'une institution particulière de crédit qui, dernière considération, épargnerait l'organisation d'un personnel pour la direction du contentieux de cette opération, l'examen des titres, la vérification de la capacité des contractants, le contrôle des garanties offertes. Viendrait le recouvrement des annuités : autre embarras. De là, la pensée du gouvernement de déléguer cette tâche compliquée à la Société du Crédit foncier de France. Prudence dans l'administration, solidité des obligations, voilà les garanties qu'offrait cette institution, qui trouvait ainsi l'occasion de multiplier ses rapports avec la population agricole.

Bases et conditions de l'opération. Elles étaient énoncées dans une convention provisoire entre l'Etat et le Crédit foncier de France. Aux termes de cet acte, la Société était chargée des prêts à faire, en vertu de l'article 1 de la loi du 17 juillet précédent. Cette disposition était reproduite dans l'article 1, du projet de loi, attendu qu'il fallait autoriser le Crédit foncier à entreprendre une nature d'opérations, qui ne rentrent pas précisément dans l'ordre de prévision auxquelles son établissement avait donné lieu. L'article 2 de la loi proposée substituait naturellement le Crédit foncier au privilége et aux autres droits conférés au Trésor public pour la rentrée des prêts et des annuités. Le Crédit foncier prêtant avec l'argent qu'il aurait emprunté lui-même, la ponctualité de la part de l'emprunteur dans l'exécution de ses engagements devenait de rigueur. Aux termes de l'article 5, le Crédit foncier était autorisé à contracter, avec la garantie du Trésor, des emprunts successifs, sous forme d'o

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