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HISTOIRE ÉTRANGÈRE.

CHAPITRE PREMIER.

BELGIQUE.

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Continuation de la session. Attentat du 14 janvier en France: son contrecoup au dehors. Journaux belges condamnés par suite de leur langage en cette occurrence. - Loi relative aux attaques contre les souverains étrangers. Les poursuites auront-elles lieu à la requête de ces souverains, ou seront-elles dirigées d'office par la magistrature du pays où les attaques auront été commises? Graves discussions à ce sujet. Rapport de la section centrale: elle conclut à la poursuite d'office. Vote de la législature dans ce sens. Circulaire du ministre de la justice adressée aux membres du parquet. Politique du ministère; ses tendances actuelles : la fortification d'Anvers; historique de cette question. Projet actuel rapport de la section centrale. Discussion au sein de la Chambre des représentants: rejet de l'article I; retrait de la loi. — Autres projets en suspens; inaction du cabinet: la milice, pétitions à ce sujet; le mouvement flamand, la presse, le clergé, les douanes. Le libre-échange triomphera-t-il? Droit nouveau imposé sur les houilles par le ministre des finances. - Session nouvelle: discours royal; son caractère. - Adresse en réponse à ce discours: projet de la section centrale. La droite le trouve blessant pour elle et se retire de la discussion. Réponse du Roi. Révision du Code pénal: dispositions rigoureuses en matière de presse; répulsions que rencontre le projet. Déclaration de la commission à ce sujet : on révisera, s'il y a lieu, la loi proposée. - Documents financiers et commerciaux.

On a vu (Ann. 1857) que la législature issue des dernières élections s'était ajournée au 19 janvier. Un ministère libéral allait s'appuyer sur une majorité animée du même esprit, et l'on pouvait supposer que tous les actes du nouveau cabinet porteraient le cachet de son origine. Mais bientôt il se trouva aux prises avec bien des difficultés, soit au dedans, soit en de1858 20

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hors. L'attentat du 14 janvier (voy. France) donna lieu tout d'abord à une sorte de question internationale. Le jour même où les chambres belges reprenaient leurs séances (19 janvier), paraissait dans le Moniteur de l'Empire français, une Note sévère, relative à l'apologie de l'acte odieux qui venait d'émouvoir la France et l'étranger, et dont le journal le Drapeau, publié à Bruxelles, se serait rendu coupable. « Nous attendons, disait le journal officiel, la décision du gouvernement belge. Cette décision ne se fit pas attendre. Des poursuites furent en effet dirigées contre le Drapeau et un autre journal, le Crocodile, à raison d'un délit analogue. En même temps, le Moniteur de l'Empire annonçait que le gouvernement belge avait présenté à la Chambre des Représentants un projet de loi sur la police des étrangers. En d'autres termes, il s'agissait d'un projet de révision du second livre du code pénal. La Commission à laquelle la proposition du Gouvernement avait été renvoyée, reçut, au début de ses travaux, une lettre du ministre de la justice, par laquelle il demandait que le chapitre v du titre II (art. 169-178) du projet, fût distrait de l'ensemble et examiné comme projet de loi spécial, « à cause du caractère évident d'opportunité qu'il présentait. » La Commission accueillit cette demande; en conséquence, elle s'occupa immédiatement de cette partie du projet, en se plaçant précisément au point de vue indiqué par le ministre. Le 11 février, l'organe de la Commission, M. Lelièvre, présenta à la Chambre son travail. Il en résultait que la Commission se ralliait au système du projet. Elle avait considéré que les relations internationales im posaient des obligations que l'on ne saurait méconnaître; que les gouvernements ne pourraient « s'isoler dans leur égoïsme,» sans compromettre les destinées des Etats qu'ils étaient appelés à régir; que cet ordre de choses donnait naissance à des devoirs réciproques, au nombre desquels se trouvait celui de faire respecter la personne et l'autorité des souverains que les nations voisines se seraient donnés, ou (la Commission n'oubliait rien) que les institutions traditionnelles avaient investis du pouvoir suprême. Elle ne pouvait pas manquer non plus de s'appuyer sur les liens moraux qui unissent les hommes entre eux. Déjà une loi (du 20 dé

cembre 1852) avait été conçue à ce point de vue. Elle avait frappé de répression les attaques et les outrages envers les chefs des gouvernements étrangers. Mais l'expérience avait démontré que le législateur d'alors n'avait pas tout prévu.

« Des hommes abusant de l'hospitalité que nous ne refusons jamais à l'infortune, pourraient croire qu'il leur est libre de venir chez nous former des complots et fabriquer des instruments destinés à servir à l'assassinat en pays étranger. Notre territoire, ouvert de tout temps aux réfugiés politiques, pourrait devenir un asile pour les conspirateurs, un repaire pour les assassins. Nous ne pouvons donner au monde civilisé ce spectacle déplorable. La Belgique enfreindrait les devoirs de sa position, elle méconnaîtrait l'esprit des traités qui garantissent sa neutralité et son indépendance. Aussi le Gouvernement n'a-t-il pas hésité à econnaître la nécessité de combler la lacune que laissait en cette matière notre législation; et c'est le motif qui a dicté le projet soumis à vos délibérations. » Ces principes avaient trouvé la Commission unanime. Mais où commençaient les difficultés, c'était sur le mode de procéder. Les délits prévus par la loi de 1852 ne pouvaient être poursuivis que sur la plainte des gouvernements étrangers. Cette fois, on proposait la poursuite d'office par le ministère public, agissant sous la surveillance du pouvoir exécutif. A quoi la Commission se ralliait encore, attendu qu'il s'agissait « de délits contre la chose publique, » que la loi réprimait à raison du préjudice moral et matériel qu'ils pouvaient causer au pays.

Dans sa pensée, l'action du ministère public ne devait être mise en mouvement que dans le cas où l'existence du délit serait évidente, puisque la poursuite d'office engagerait sérieusement la responsabilité du Gouvernement; la mesure proposée donnait aux inculpés des garanties, que ne présentait pas la loi de 1852. « Sous ce régime, disait le Rapporteur, la plainte du gouvernement étranger rendait la poursuite inévitable. » Tandis que dans le système du projet actuel, le Gouvernement conservait son entière liberté d'action. Les autres dispositions de la loi tournaient nécessairement autour de son principe: la poursuite d'office. L'opinion publique ne partageait pas l'optimisme du

Gouvernement et de la Commission. Que si l'on reconnaissait qu'il y avait avantage pour la presse à ne relever en pareille occurrence que de la justice du pays, d'autre part on ne le pouvait contester il s'agissait d'une loi politique, et l'on articulait plusou moins ostensiblement que le cabinet avait subi une pression étrangère. Le 25 février dans la séance des Représentants, le ministre de la justice, M. Tesch, protesta contre cette supposition il n'avait reçu du dehors, ni verbalement, ni par écrit, aucune suggestion en vue de changer la législation.

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Toutefois, il convient de rappeler que la loi fat discutée avec calme. Un représentant de la droite (M. de Theux) déclara qu'il la voterait, parce qu'il s'agissait de garanties à donner pour le maintien des bonnes relations de la Belgique avec d'autres Etats; que dès lors il était question d'un intérêt national.

D'autre part, un membre influent de la gauche de la Chambre (M. Vandenpeereboom) consentait à voter le projet, tout en le commentant à sa manière. A son sens, cette dernière loi était plus mauvaise que la loi de 1852, au double point de vue de la liberté de la presse et des relations internationales, car on aurait la recherche continue d'offenses, et les plaintes officieuses seraient d'autant plus nombreuses qu'elles seraient sans responsabilité. Cette argumentation qui découvrait les inconvénients possibles du projet, n'en empêcha point le vote (25 février), à la majorité de 80 voix sur 94 votants.

Une circulaire du ministre de la justice aux membres du parquet, put être considérée comme une interprétation de la loi. Il y était essentiellement recommandé à la magistrature de n'entamer aucune poursuite relative à des délits ayant un caractère politique, avant d'en avoir référé au Gouvernement.

Aux journaux poursuivis antérieurement à la loi, on dut ajouter quelque temps après le Prolétaire, recherché, et d'ailleurs condamné pour des attaques du même genre. Une question plus délicate peut-être, en ce qu'elle touchait à un droit aussi ancien que toute société, l'hospitalité que l'on devait à l'étranger exilé de son pays, cette question fut encore agitée, parce qu'il s'agissait de savoir dans quelle mesure on l'appliquerait dans les

circonstances actuelles. Aux termes de la Constitution, tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique, jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi. Naturellement cette réserve ouvrait un accès facile aux interprétations que nécessiteraient les conjonctures politiques. Tel était le caractère d'une loi de 1835, intitulée de la Police des étrangers, et qui permettait leur expulsion par mesure administrative, sans l'intervention du juge. Un tel arbitraire devait-il se prolonger en ce libre pays? Jusqu'ici, de ministère en ministère, on avait trouvé des raisons pour répondre par l'affirmative. Elle devait, pendant trois ans encore, continuer de régir cette matière. Un réfugié français, M. Charras, moins heureux sous le président actuel du Cabinet, M. Rogier, que sous M. Nothomb, avait dû quitter la Belgique (décembre 1857). Inutile d'ajouter que ce réfugié n'avait ni ne pouvait avoir rien de commun avec les auteurs de l'horrible soirée du 14 janvier. Néanmoins l'interdit de rester en Belgique continua de peser sur lui, nonobstant la promesse que lui aurait faite M. Rogier, de le laisser rentrer trois mois après son départ. En vertu de la prorogation de la loi de 1835, proposée au début même de la session par un cabinet libéral issu d'élections qui avaient eu ce caractère, cet arbitraire, qui ne l'était guère, allait être possible jusqu'en 1861. C'était, on en devait convenir, une contradiction, et elle fut appréciée dans ce sens. Toutefois, il convient de rappeler que, dans une Note du Moniteur (18 mars), le Gouvernement français s'expliqua à son point de vue et d'une manière assez marquée sur cette question des réfugiés en général. En demandant leur éloignement aux puissances continentales, la France, disait le journal officiel, n'avait fait qu'user d'un droit de réciprocité internationale. C'est ainsi que la Suisse avait demandé l'année dernière, au gouvernement de l'Empereur, d'interner les réfugiés qui désiraient une restauration royaliste à Neuchâtel; que l'Espagne avait fait une demande analogue au sujet des réfugiés carlistes, et que les cortès avaient remercié Napoléon III d'avoir prévenu, par cette mesure, la guerre civile. La conduite de la France avait donc été fondée sur un principe absolu de droit international de tous les temps. » Ainsi ré

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