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gouvernement chinois considérant les missionnaires comme de braves et dignes gens, ne cherchant aucun profit ni aucun avantage matériel, il leur permet d'étendre leur propagande parmi les Chinois, et les autorise à circuler en toute liberté dans l'Empire. Un certain nombre de missionnaires devront être porteurs de passe-ports émanant du gouvernement russe;

9° Fixation des frontières respectives: elle aura lieu par des commissaires nommés sans délai;

10° Cet article relatif à la mission ecclésiastique russe à Pékin, porte que la résidence n'en sera plus considérée comme temporaire, et que ceux qui en seront partis y pourront revenir à volonté.

11° Autre disposition importante: l'établissement d'un service postal entre Kiachta et Pékin.

12o Extension à la Russie de tous les avantages politiques et commerciaux, et autres priviléges accordés par la Chine aux autres nations. Cet article dispensait, quant à présent, le Gouvernement du Tzar de recourir aux armes pour être assimilé aux nations les plus favorisées, ou même de conclure de nouveaux traités. Les résultats de celui dont nous venons de reproduire la substance, ne se firent pas attendre. Tout d'abord, une mission religieuse destinée à se rendre en Chine, s'organisa sous les ordres du conseiller d'Etat Péroffski, et partit, en effet, dans la seconde quinzaine d'août. Le personnel de cette mission, désormais garantie contre tous dangers par les traités, se trouva entouré cette année d'une certaine pompe. Quatre mille hommes de toutes armes l'accompagnèrent jusqu'à la frontière de l'Empire. Arrivé à cette limite, ce corps de troupes fit un simulacre de guerre. « Les Chinois, dit le narrateur, étaient tout ébahis de la précision avec laquelle les manœuvres étaient exécutées, principalement par l'artillerie. De nombreux équipages, transportant ce qu'il fallait pour voyager commodément dans les steppes, avaient devancé la mission et établi des tentes à Guérine, distante de huit verstes de la frontière chinoise de Maïmatchine. La mission se composait d'ecclésiastiques de tout degré et était dirigée par un prélat. L'autorité temporelle y était représentée par le conseiller d'Etat déjà nommé et par plusieurs officiers.

Le traité de juin faisait certainement honneur au Gouvernement du Tzar. Le continent asiatique ouvre à son activité, et l'on pourrait dire à sa légitime ambition, un espace plus vaste et plus sûr, moins contesté que le continent européen.

C'est aussi ce que l'on paraissait comprendre. Le commerce russe, en particulier, prenait en grande partie cette direc. tion. Il sentait qu'il y avait là une sorte de terre nouvelle à exploiter.

L'année précédente (19 juin), un arrêté du comité caucasique permit à M. Kokorew, conseiller du commerce, et au baron Tomaw, conseiller d'Etat, de former une société par actions, ayant précisément pour but de placer les produits russes en Perse et dans l'Asie centrale, et d'importer en Russie les marchandises provenant de ces contrées. Les statuts portaient que les membres de la Société ne pourraient faire le commerce de l'Asie pour leur propre compte, sur les places qu'elle exploiterait elle-mème; qu'elle pourrait en outre établir des fabriques de toute espèce, pour les articles compris dans son commerce.

Presque à la même époque où la diplomatie et le commerce russe s'avançaient si heureusement dans les régions asiatiques, le gouverneur de la Sibérie, général Mouravief, concluait non moins habilement avec les autorités chinoises un autre traité en date du 18 mai de cette année, dont le résultat devait être de mettre fin aux contestations auxquelles donnait lieu, entre les deux empires, la question de savoir comment devait être assise leur souveraineté respective, sur la vallée de l'Amour. Convenu que la domination du Tzar embrasserait toute la rive gauche du fleuve. Jusqu'alors (18 mai), les Chinois n'avaient pas craint de faire sur ce territoire de nombreuses et hostiles incursions. Mais, aussi, à partir de la conclusion du traité, le Gouvernement du Tzar prit toutes les mesures qui pouvaient garantir de ce côté la sécurité de ses possessions. Dans les derniers temps, des troupes furent dirigées à plusieurs reprises sur cette contrée. On trouve dans la correspondance d'un officier supérieur, chargé par l'amiral Kazakévitch, gouverneur de Nicolaïefsk, sur le fleuve Amour, d'explorer le pays pour ouvrir une nouvelle voie de communication, des détails qui font ressortir l'importance de

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cette nouvelle acquisition de territoire. « A l'endroit où j'écris, dit l'explorateur, l'Amour n'est distant de l'Océan que de 60 verstes. Sur ce point de la côte si rapproché du fleuve, se trouve la magnifique baie de Castries, découverte par Lapeyrouse ; le cap et un arc naturel de rochers, au-dessous duquel passent les barques, portent le nom de ce navigateur. La baie offre aux vaisseaux un port profond et commode... » Ce golfe a été depuis déclaré un port franc. L'auteur de la lettre estime que, plus loin, à un endroit où l'Amour s'écarte de nouveau de la mer, on pourrait ouvrir un chemin de fer qui abrégerait de 600 verstes le parcours des marchandises venant de Sibérie par le fleuve, et, réciproquement, expédiées de l'Amérique dans ce dernier pays. D'autre part, une fois la voie ferrée construite, une ville s'élèverait à l'endroit où tombe dans le golfe une petite rivière. Plus au sud encore que Castries, l'amiral Poutiatine venait de découvrir un nouveau golfe situé en face de l'ile japonaise de Matsmai ; il l'avait appelé port Saint-Vladimir, et y avait planté une croix avec une inscription constatant que la découverte de ce port était due aux Russes. Au dire des habitants de la côte, c'était la première fois qu'on y avait vu un navire.

Depuis la conclusion du traité Mouravief, les émigrants se portaient par milliers sur le Bas-Amour, et l'on méditait d'attirer sur la partie de la rive du fleuve cédée à la Russie, les Chinois des îles voisines, que l'on espérait aussi convertir aisément à la religion orthodoxe.

Telles étaient les conquêtes mi-partie pacifiques et guerrières du Gouvernement de Saint-Pétersbourg en Asie, où l'emportent le cours naturel des choses, sa position même et son origine. Ses succès étaient-ils les mêmes, plus près de nous, en Europe? Il ne pouvait plus s'agir, au moins dans les circonstances actuelles, de reconquérir une prépondérance mise en question par les derniers évènements, en d'autres termes, par le traité de Paris. Il n'y avait plus qu'à tirer parti des sujets de débat laissés debout par cette convention mémorable. Pas plus que les autres grandes puissances qui y avaient figuré, la cour de Russie n'avait vu avec satisfaction les riverains du Danube se passer de la sanction des signataires du traité de Paris, et échanger entre eux

les ratifications de l'acte de navigation (du 7 novembre). Toutefois, l'Autriche, à laquelle on pouvait à bon droit attri buer le fait d'avoir amené ses co-intéressés à passer outre avec elle, avait fait donner par son représentant à la cour de Russie, prince Esterhazy, des assurances atténuantes de sa conduite.

Dans une audience que lui aurait accordée le prince Gortchakoff, l'envoyé du cabinet de Vienne aurait affirmé que sa cour n'était pas si éloignée qu'on le prétendait des vues de la Russie et de la France; mais qu'il avait fallu prendre conseil des circonstances à l'occasion de la navigation du Danube, et terminer aussi promptement que possible cette affaire. Il aurait ajouté que nonobstant l'échange des ratifications, l'Autriche ne considérait point cet acte comme clos définitivement.

Mais ces assurances suffisaient-elles? En attendant,' le cabinet de Vienne circonscrivait le débat dans les termes que voici: la conférence de Paris pouvait bien prendre communication du règlement relatif à la navigation du fleuve, mais elle n'avait droit que d'en donner acte, et devait se borner à examiner s'il n'était pas contraire au traité de Vienne. Toute cette thèse était combattue par le cabinet de Saint-Pétersbourg: il soutenait le droit de la conférence, de discuter les termes de l'arrangement intervenu entre les riverains. Spécialement, il critiquait certaines dispositions, celle entre autres qui réservait aux riverains le cabotage du fleuve. En somme, comme les autres membres du Congrès de Paris, moins l'Autriche, la Russie prétendait que l'acte de navigation faisait dire au Congrès de Vienne ce qu'il ne disait pas.

Pendant qu'il critiquait à ce point de vue la convention intervenue entre les riverains du Danube, le Gouvernement du Tzar s'exécutait sans hésitation, il convient de le faire remarquer, en ce qui concernait la neutralisation de la mer Noire. Seulement, elle ne put pas être immédiate, attendu l'état de désorganisation où la guerre de Crimée avait mis les ports situés sur cette mer. Il fallait créer aussi ou remettre en état les établissements affectés aux douanes. A la fin de l'année précédente, quelques ports seulement se trouvaient ouverts à la navigation. Mais le Gou

vernement annonça (octobre 1857) qu'il comptait faire tout ce qui serait en lui, pour rendre prochainement libres tous les autres ports et stations de la mer Noire. Seulement, il fallait le temps nécessaire pour arrêter les règlements de douane, de police, et surtout de santé si indispensables en cette occurrence, et surtout sur la côte d'Asie, attendu l'état où se trouvaient placées vis-àvis de la Russie les provinces caucasiennes.

S'agissait-il d'un autre sujet important, le sort des populations chrétiennes de la Turquie, le Gouvernement impérial ne perdait de vue, ni l'intérêt qu'il leur portait, ni la part d'influence qu'il avait droit de revendiquer dans toutes les questions soulevées par le traité de Paris. C'est ainsi qu'il insista énergiquement à Constantinople, pour l'amélioration du sort des chrétiens de la Bosnie. A en juger par l'état de l'opinion et une sorte d'agitation religieuse qui se propageait de plus en plus, on eût pu croire que l'on comptait revenir par cette voie sur le passé et reconquérir les positions perdues. On vit, par exemple, un personnage considérable, M. Noroff, ancien ministre de l'instruction publique, faire appel, dans la presse quotidienne, à la foi du peuple orthodoxe, en faveur de ses coreligionnaires de Turquie. Un autre écrivain, M. Maresuroff, écrivit une brochure qui dépeignait la triste situation des chrétiens de la Palestine. Il demandait qu'on leur vint en aide, non-seulement par des moyens matériels, mais aussi par les moyens intellectuels, le clergé oriental étant en général très-ignorant.

La question des Principautés Danubiennes devait surtout tenir en éveil toute la prudente habileté du Gouvernement impérial. L'Union proposée par la France serait-elle bien accueillie à Saint-Pétersbourg? Nul doute que cette idée mise en avant, et pour cause, par la France, n'eût pour objet, dans le principe, d'amoindrir ou de neutraliser l'influence russe dans les Principautés. La nécessité de l'Union fut nettement exposée par le plénipotentiaire de la France, dans les conférences tenues à Paris, du 22 mai au 19 août. On eût dû s'attendre à des objections de la part du représentant de la Russie, et, néanmoins, dès la première séance, le comte Kissélef se rallia à cette idée, les Divans ayant exprimé dans ce sens des vœux qu'il jugeait ra

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