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de changer sur tant de points la situation politique du monde européen. Dans cet arriéré se trouvaient les conditions d'être des Principautés danubiennes. C'était, parmi tant de questions encore en suspens, une des plus considérables. Les Divans moldave et valaque s'étant fermés sur l'unanime expression du vœu de la réunion de ces provinces sous un même prince, il n'y avait plus qu'à attendre le résultat des délibérations auxquelles devait se livrer sur ce mode d'existence politique la Conférence de Paris. Elle se réunit le 22 mai. Le comte Walewski y représentait encore la France; lord Cowley, l'Angleterre; le comte Kissélef, la Russie; le comte de Hatzfeld, la Prusse; le comte de Villamarina, la Sardaigne. Il n'y avait de changement qu'en ce qui concernait la Porte. Elle avait pour représentant nouveau, son ministre des affaires étrangères, Fuad-Pacha. Ce diplomate ayant cru devoir passer par Vienne pour se rendre au Congrès (un incident qui fut remarqué et jugé assez sévèrement), laConférence se réunit plus tard qu'on ne l'avait d'abord supposé. Le point de départ des délibérations fut naturellement le rapport de la Commission qui, à Bucharest, et conformément au traité de Paris, avait rendu compte des vœux des Divans pour la réunion des deux provinces en un seul État. Le comte Walewski rappela, que déjà au sein du premier Congrès il avait exposé les motifs qui, aux yeux de la France, militaient en faveur de cette réunion. L'étude approfondie de la question, faite sur les lieux mêmes par les agents français, avait confirmé le gouvernement de l'Empereur dans la conviction que la combinaison qui atteindrait le mieux le but proposé, et qui, en même temps, répondrait le plus complétement aux vœux des populations, ce serait la réunion de la Moldavie et de la Valachie en une Principauté gouvernée par un prince étranger. Cette combinaison s'accorderait d'autant mieux avec les dispositions du traité de Paris, & qu'elle n'aurait nullement pour effet, comme on a semblé le croire, de soustraire les deux Principautés réunies à la suzeraineté de la Porte ottomane. » A cette déclaration claire et sans ambages, le représentant de la Turquie répondit, que son gouvernement désirait maintenir les immunités acquises aux Principautés et assurer leur prospérité; qu'il voulait, comme

tous ses alliés, le bien-être des populations, mais qu'il différait avec quelques-uns d'entre eux sur les meilleurs moyens d'atteindre ces résultats ; que la Porte « était et demeurait convaincue qu'on ne saurait mieux faire, dans ce but, que de conserver aux deux Principautés une administration séparée,» en cherchant à la développer ensuite par des institutions conformes aux traditions, aux mœurs et aux véritables intérêts du pays. Les termes extrêmes de la question se trouvant ainsi posés, il suffit, sans rechercher ici, et quant à présent, les autres opinions exprimées à cet égard, d'exposer la résolution adoptée sur ce point décisif par la Conférence, après en avoir fait connaître l'esprit. Toutefois, il importe de rappeler que le plénipotentiaire de la France constata, que si les avis différaient, il ne pouvait être douteux que toutes les puissances ne désirassent trouver un terrain où elles pussent se rencontrer. Décidé en conséquence que, dès la prochaine réunion, on rechercherait ce terrain, ou plutôt cette combinaison intermédiaire basée par des concessions réciproques. Mais la séance suivante témoigna que ce n'était pas chose aisée; en effet, les représentants de l'Autriche et de la Grande-Bretagne demandèrent un autre ordre de discussion que celui si naturel et si logique indiqué par le comte Walewski, c'est-à-dire de prendre pour point de départ le rapport de la Commission de Bucharest, rendant compte de l'expression des vœux des Divans moldave et valaque. M. de Hübner et avec lui lord Cowley, ce dernier « sans avoir consulté le gouvernement autrichien,» opinèrent dans ce sens, qu'il fallait commencer par la révision des statuts organiques. « Le traité, disait assez subtilement l'organe de l'Autriche, ne fait pas mention de l'union des Principautés; par conséquent on pourrait invoquer le traité contre l'union, mais non l'union contre le traité. » « Cette Convention, faisait observer à son tour le représentant de la Grande-Bretagne, déclare que les lois et statuts aujourd'hui en vigueur seront révisés ; » c'est pourquoi son gouvernement lui prescrivait d'adopter, comme ordre de discussion, l'examen des règlements organiques actuellement en vigueur dans les Principautés. Le plénipotentiaire de Russie se prononça dans le sens de la France. Ajoutons, que le comte Walewski motiva nettement sa proposi

tion, en faisant observer que le rapport de la Commission de Bucharest débutait en plaçant sous les yeux de la Conférence les vœux politiques exprimés par les Divans, « tant il est vrai qu'ils constituent une question qu'on ne peut écarter sans s'égarer dans des détails qu'il ne serait pas possible de coordonner avant de s'être entendu sur les rapports qui devront exister entre les deux Principautés. »

Nous avons dû reproduire en substance cette sorte de question préjudicielle, qui, à vrai dire, était bien une question de fond, car M. de Hübner ne craignit pas de placer dans le débat cette déclaration, que son Gouvernement ne s'opposait nullement à ce qu'on prît en considération les vœux des populations, mais qu'il pensait que les votes des Divans ad hoc n'étaient pas l'expression exacte de ces vœux. Les dispositions de chacun des gouvernements représentés dans la Conférence ne pouvaient pas être douteuses. Remarquons seulement, que si la Russie, la France, la Prusse, la Sardaigne étaient d'accord sur la nécessité de l'union, la Grande-Bretagne et l'Autriche étaient d'accord sur la thèse absolument opposée. Néanmoins, le principe de l'union sortit triomphant des délibérations de la Conférence. Décidé en effet (article 1er) que les principautés de Moldavie et de Valachie seraient constituées sous la dénomition de Provinces ou Principautés unies. C'était en même temps la consécration et le maintien des capitulations consenties par les sultans Bajazet Ier, Mahomet II, Soliman II, constitutives de l'autonomie des Principautés, et confirmées dans les derniers temps par des hatti-cherifs rendus à diverses époques. Le tout visé, c'est-à-dire reconnu par le traité de 1856.

Venaient, après l'article déclaratif du maintien de la suzeraineté du Sultan, ceux qui avaient trait à la constitution des pouvoirs publics. Décidé que, dans chaque Principauté, le pouvoir exécutif serait exercé par un Hospodar élu à vie et par une assemblée élective; que celle-ci nommerait l'Hospodar; qu'il pourrait être indifféremment Valaque ou Moldave; que s'il avait cette dernière qualité, il pourrait néanmoins être appelé à gouverner la Valachie et réciproquement; qu'il exercerait le pouvoir exécutif, mais avec une fiction constitution

nelle, c'est-à-dire des ministres responsables. Seulement, son entrée au pouvoir serait subordonnée à l'investiture du suzerain, en d'autres termes, le Sultan.

Comitè central et Assemblées nationales. Le pouvoir législatif sera exercé par deux assemblées siégeant à Bucharest et à Jassy, et par un Comité central de neuf membres valaques et de neuf membres moldaves, élus par les deux assemblées et choisis dans leur sein.

Fonctions du Comité central. Il fera les lois d'intérêt général qui seront communes aux deux Principautés. Il en prendra l'initiative et en ordonnera la promulgation. Toutefois, avant de donner à la loi sa forme définitive, le Comité la communiquera aux deux assemblées pour qu'elles puissent présenter leurs observations, « dont il devra autant que possible tenir compte. » Les lois d'intérêt local soumises aux hospodars, ne seront exécutoires qu'après communication au Comité chargé de vérifier leur conformité avec la législation générale. Seront communes aux deux Principautés les lois votées par le Comité central. On voit que ce Comité central avait à quelques égards les attributions du Conseil d'Etat en France. Comme lui, il devait préparer les lois; mais, à la différence de cette assemblée, il en avait la promulgation. Et, disposition essentielle, il était chargé de la garde des articles fondamentaux de la nouvelle organisation. Cette attribution mettait fin à des appels abusifs et intéressés devant le Sultan. En quoi le Comité central rappelait la Cour de cassation en France, et en même temps le Sénat-Conservateur impérial. Prévu en outre que, dans le cas de violation des droits reconnus aux Principautés, l'hospodorat recourrait d'abord au suzerain, et, si justice n'était pas faite, ses agents en appelleraient aux puissances qui avaient constitué le régime actuel des deux provinces. A la Commission centrale appartenait encore le droit de codifier les lois existantes, de réviser les règlements organiques ainsi que les codes civil, criminel, de commerce et de procédure. Quant aux amendements introduits dans les projets d'intérêt commun, la Commission centrale serait tenue de les adopter, s'ils étaient adoptés en même temps par les Assemblées réu

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Cour de justice et de cassation. La convention en instituait une pour les deux Principautés; ses attributions rappelaient celles de la même cour en France. Seulement, elle deviendrait cour de justice lorsqu'il s'agirait de juger les ministres.

Milices. La Convention du 19 août décidait qu'il serait pourvu à leur formation par une loi commune; qu'elles seraient réunies toutes les fois que la sûreté de l'intérieur serait menacée; que leur réunion pourrait être provoquée par l'un ou l'autre Hospodar.

Egalité des Moldaves et des Valaques. L'article 46 réglait cet objet, à l'instar de ce qui se trouve dans toutes les chartes ou constitutions: égalité devant la loi, garantie de la liberté individuelle et de la propriété, sauf l'expropriation moyennant indemnité. Quant à la liberté des cultes, le même article disposait que Moldaves et Valaques de tous les rites chrétiens jouiraient également des droits politiques; que la jouissance de ces droits pourrait être étendue aux autres cultes par des dispositions législatives. Il ne faut pas oublier que cette égalité relative des cultes était proclamée en quelque sorte au nom du Sultan. De là la rédaction restrictive de cette disposition. L'article qui la consacrait se terminait par un paragraphe d'un intérêt tout local et portant qu'il serait procédé sans retard à la révision de la loi régulatrice des rapports des propriétaires du sol avec les cultivateurs, en vue d'améliorer l'état des paysans.

Assemblée législative. La Convention organique porte (article 17) qu'elle sera convoquée par l'Hospodar, élue pour sept ans et réunie chaque année le premier dimanche de décembre, pour une session ordinaire de trois mois, que l'Hospodar pourra néanmoins prolonger.

Publicité des séances. Cette disposition de la Convention méritait d'être remarquée : le président serait le juge des conditions d'admission du public. Evidemment, il y avait là une porte ouverte à l'arbitraire. Une disposition finale du même article confiait au président le soin de faire dresser pour chaque séance un procès-verbal qui serait inséré dans la Gazette Officielle.

La discussion et le vote des projets de loi présentés par l'Hospodar appartenaient, avec droit de les amender, à l'Assemblée.

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