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Finances. Budget. Le vote en était également réservé à l'Assemblée. Seulement, suivant l'habitude en tout pays de constitution, la présentation du budget appartenait au pouvoir exécutif, à l'Hospodar pour chaque Principauté.

A cette Convention était annexée une loi électorale dont les dispositions rappelaient maintes autres lois sur cette matière. Toutefois, il importe de remarquer que l'élection serait à deux degrés, primaire et directe. Étaient électeurs primaires, ceux qui justifieraient d'un revenu foncier de cent ducats au moins. Il fallait être Moldave ou Valaque et avoir atteint l'âge de 25 ans révolus. Le reste était de forme.

Il ne s'agissait plus que de pratiquer la constitution politique que les puissances protectrices et garantes venaient de donner aux Principautés. Naturellement les ambitions en présence cherchèrent à réaliser leurs espérances fondées sur les bases fondamentales de l'acte international du 19 août, à savoir: la séparation politique et l'union législative et judiciaire. Et d'abord, intrigues et cabales à propos de l'administration provisoire. Se prévalant de l'article 11 de la Convention du 19 août, portant « que, jusqu'à l'installation du nouvel hospodar, cette administration appartiendrait de plein droit au Conseil des ministres en exercice, les princes Ghika et Vogoridès s'arrangèrent de manière à avoir des ministres à leur dévotion. Avisée de cette tactique, la Conférence de Paris décida que, cette fois, par dérogation à l'article 11 invoqué, le Gouvernement provisoire se composerait d'après l'ancienne règle, c'est-à-dire des ministres de l'intérieur et de la justice, et du président de la haute Cour.

L'administration ainsi composée fut installée dans les Principautés en vertu d'un firman pour chacune d'elles. Pour la Valachie, les Caïmacans furent: Jean Mano, d'origine grecque, puis MM. Philipesco, gendre du prince Bibesco, et Balliano. -Pour la Moldavie, Anastase Pano, Katardji et Basile Stourdza. La Caïmacanie valaque n'était pas présumée unioniste.

Un incident diplomatique assez significatif, c'est que, nonobstant l'article 1er de la Convention du 19 août portant constitution des deux provinces sous le nom de Principautés Unies, et la promulgation de cette convention par un hatti-chériff du

sultan, le consul général autrichien en Moldavie déniait toute force aux passe-ports ayant en tête cet intitulé. Le ministre des affaires étrangères, M. Alexandri, protesta contre cette prétention, qui témoignait au moins d'un sentiment de dépit assez intempestif. La chancellerie moldave refusa à son tour de viser les passes autrichiennes. La France, si désintéressée dans toutes ces questions de rivalité internationale, trancha la difficulté : son consulat, en Moldavie, se chargea de délivrer les passe-ports refusés par l'agent de l'Autriche.

Comme toutes les chartes possibles, la convention du 19 août fournit matière aux questions, aux interprétations, enfin aux conflits. Devait-elle n'être applicable immédiatement qu'aux opérations électorales seulement? La Sublime Porte était de cet avis, et pour cause, puisque, à ses yeux, des élections devait dépendre la constitution définitive du pouvoir dans les Principautés. La Caïmacanie de Moldavie, moins M. Katardji, s'inscrivit nettement contre la prétention du Suzerain. Des mutations ayant eu lieu dans le personnel des fonctionnaires, mais à la majorité seulement des Caïmacans, le Gouvernement du sultan les blâma dans le même document (une lettre du vizir) lu aux trois Caïmacans par Afif-Bey, envoyé à Jassy pour y donner lecture du firman relatif à la Convention du 19 août. Voilà où en étaient les choses à la fin de l'année.

En ce qui concernait les Principautés, outre les questions déjà résolues par elle ou à résoudre encore, la Conférence de Paris, liquidatrice en quelque sorte de toutes les difficultés que pouvait recéler le traité du 30 mars, eut à déterminer aussi la mesure dans laquelle ces provinces, également situées le long du Danube, participeraient à l'élaboration du règlement relatif à la navigation du fleuve. Il n'eût pas été juste que la Sublime Porte contractât à elle seule avec d'autres puissances, sur un point touchant à l'administration intérieure des Principautés, entièrement réservé par le traité de Paris. C'est pourquoi la Conférence décida, que des commissaires représentant les trois provinces, Servie, Valachie et Moldavie, concourraient avec les autres riverains du Danube à l'élaboration du règlement de la navigation. Mais lorsqu'il s'agit de la signature de l'acte définitif et de l'é

change des ratifications, le Gouvernement de Sa Hautesse entendit que le délégué ottoman signât seul au nom des Principautés, et qu'au nom de la Sublime Porte aussi eussent lieu les ratifications.

La Conférence de Paris fut saisie, quant au Danube, d'une autre et dernière difficulté. Les pavillons des riverains seuls pourraient-ils exercer le cabotage sur le fleuve ? L'acte de navigation préparé à Vienne répondait par l'affirmative. Réclamation des non-riverains: que deviendrait la libre navigation dont parlait le Congrès de Paris? Il n'appartenait pas à la Conférence de trancher le litige; seulement, elle renvoya de nouveau la question aux auteurs du règlement de la navigation.

SERVIE.

Encore une Principauté qui était loin de jouir du calme intérieur. Quoique l'élu de la nation, Alexandre Karageorgiévitch ne répondait plus à son attente. On lui reprochait de subir l'influence du Consul général d'Autriche qui le berçait de l'espoir de l'hérédité du pouvoir; et, en second lieu, le népotisme qui l'entraînait vis-à-vis des membres de la famille de sa femme.

Le Congrès de Paris (voy. Ann. 1856), tout en reconnaissant, en ce qui concernait la Servie, la suzeraineté de la Porte, avait placé sous la garantie des puissances signataires du traité du 30 mars, les priviléges et immunités qu'elle tenait des divers hatts émanés du Gouvernement du Sultan. On ne voyait pas que les puissances eussent de longtemps l'occasion de s'enquérir de l'état de ce pays, quand la face des choses y changea complétement et soudainement.

Karageorgiévitch avait cessé d'être populaire parce que, au dehors, c'était l'influence de deux puissances considérées comme peu libérales, la Porte et l'Autriche, qui l'entraînaient, et, au dedans, il ne s'accordait plus avec les pouvoirs que la Constitution du pays lui adjoignait. On espérait qu'il ferait appel au pays en convoquant la Skuptchina annuelle: il s'y refusait absolument; et depuis 1848 cette représentation nationale avait cessé de se produire. Il ne s'entendait pas mieux avec le Sénat,

dont plusieurs membres, le président en tête, avaient pris part (octobre 1857) à un complot tramé contre lui.

De son côté, il avait cru l'occasion bonne pour en finir avec ce grand corps de l'Etat, dont les membres impliqués dans l'affaire, obligés de se démettre de leurs fonctions, avaient été individuellement en butte aux plus mauvais traitements durant l'instruetion du procès. Il avait fallu l'intervention des puissances garantes, et un ordre formel de sursis émané du Gouvernement du Sultan, pour empêcher l'exécution de condamnations prononcées à la suite d'une instruction dirigée secrètement à Belgrade.

Une commutation de peine qui substituait à la mort les travaux forcés à perpétuité, contre des personnages naguère éminents, n'était pas de nature à diminuer l'irritation qui régnait dans le pays. C'est dans ces circonstances, et pour prévenir une explosion imminente, que la Porte envoya à Belgrade, en qualité de Commissaires, Ethem-Pacha et Kabouli-Effendi. Ils ne descendirent pas chez le Prince, mais dans la citadelle, et furent accueillis avec un empressement ostensible par les adversaires de Karageorgiévitch.

Leur présence eut pour résultat, examen fait par eux des pièces du procès, une nouvelle commutation de peine: l'exil, au lieu des travaux forcés à perpétuité, et presque immédiatement, un changement de Ministère. Celui qui était en fonctions donna sa démission collective. Deux hommes considérables se rapprochèrent alors du prince Vutschitch qui avait contribué à faire tomber Milosch et Elie Garaschanine. Le premier fut nommé Président du Sénat, et l'autre fut appelé au Ministère de l'intérieur. Le pouvoir ainsi modifié se mit à l'œuvre. Et d'abord, il s'agissait de définir d'une manière précise les rapports du Prince et du Sénat. Le projet actuel étendait les prérogatives de cette assemblée. Adoption d'une loi dans ce sens. Vue d'un mauvais œil à Vienne, elle obtint néanmoins la sanction du pouvoir suzerain. Il y avait toutefois entre celui-ci et le parti national serbe une grande question pendante. Il s'agissait du mode d'existence des Musulmans en Servie. Aux termes des hatts de 1830 et de 1833, ils devaient se tenir dans les forte

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resses, telles que Belgrade et autres. Cette prescription fut bientôt éludée. Puis des conflits de juridiction. Tout en descendant dans la partie serbe du territoire, ils prétendaient ne relever que du commandant des forteresses. Ici, comme ailleurs, les questions de races suscitaient d'incessantes prétentions, partant, des querelles, souvent enfin des attentats plus graves.

Quand, cette année (7 juin), le Consul général d'Angleterre, M. de Fontblanque fut gravement insulté, presque assassiné par un soldat turc, cette situation anormale se trouva manifeste. Qui jugerait cet acte sauvage, corroboré ensuite par d'autres insultes? En effet, le pavillon anglais étant resté hissé ensuite sur la maison consulaire, d'autres fanatiques ottomans s'y précipitèrent pour aller l'abattre. Des Serbes furent préposés à la garde du Consul, qui représentait une trop grande nation pour que l'attentat demeurât impuni ou non réparé. Le 29 juin, vingt-un coups de canon se firent entendre dans la forteresse, et le représentant de la Sublime Porte, en grand uniforme, et suivi d'un détachement de troupes, vint rendre visite au Consul. Le poste serbe quitta la maison de cet agent, puis Turcs et troupes indigènes se mirent en parade pour recevoir l'Ambassadeur d'Angleterre à Constantinople, qui arriva le soir même à Belgrade, où il avait été précédé par M. Colgqoun, Consul général à Bucharest, et qui, au nom de son Gouvernement, s'était contenté de la promesse d'un changement de garnison et de la condamnation des coupables.

Ces questions, ces antagonismes, à l'occasion desquels on accusait Karageorgiévitch de colluder avec l'étranger, rendaient nécessaire, urgente même, la convocation depuis longtemps réclamée de la Skuptchina (Assemblée générale). Saisi de la question par le Ministre de l'intérieur, M. Garaschanine, le Sénat vota la réunion, le Prince donna sa sanction, puis une commission élabora une loi électorale en harmonie avec l'état actuel de la civilisation; car il ne pouvait plus s'agir de ces Assemblées nationales primitives, qui délibéraient en plaine et sous les armes. Décidé cette fois qu'on serait électeur à 25 ans et éligible à 30; que l'élection serait directe dans les campagnes, à deux degrés dans les villes. Il y aurait un député pour

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