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ration contre les Souverains et les chefs des Gouvernements étrangers; 2o déterminer le minimum de la peine, et donner la définition légale du délit d'apologie de l'assassinat politique; 3o appliquer aux jurys chargés jusqu'ici de juger les délits de presse, l'organisation déjà proposée des juges du fait qui seront appelés à connaitre des délits ordinaires.

L'article 1er du projet tendait au premier de ces objets. L'article suivant avait en vue la deuxième prévision de la loi proposée. La question de la pénalité une fois résolue, M. de Foresta comprenait dans l'apologie de l'assassinat politique « tous les moyens plus ou moins directs par lesquels on a l'habitude d'approuver ou de défendre » cette sorte d'assassinat.

Enfin, en vertu des articles 3 et 4, on ne s'adresserait plus au sort pour la désignation des jurés; elle aurait lieu par une Commission qui les choisirait sur une liste de 200 noms destinée à être renouvelée tous les six mois. Le projet faisait aussi une part plus grande au droit de récusation.

« Messieurs, dit M. de Foresta en terminant, le projet actuel a pour but de prévenir l'assassinat politique. Il donne au Gouvernement du Roi le moyen de remplir des devoirs internationaux et d'exprimer fidèlement en même temps les sentiments d'horreur qu'éprouvent tous les peuples libres et civilisés, et le nôtre surtout, pour un crime aussi grave. Sans altérer l'économie de nos lois pénales, il se borne, en effet, à déterminer le minimum du délit d'apologie du crime en question, le définit nettement, et place la responsabilité des écrivains sous la garantie d'un jury impartial et éclairé.

» Le ministère a la confiance que ces raisons vous persuaderont sur l'opportunité de la présente proposition, et que vous l'approuverez, donnant par là une nouvelle preuve de ce sens politique qui vous distingue. »

Le Cabinet présidé par M. de Cavour donnait lui-même, par la présentation de ce projet, une preuve de ce sens politique dont parlait le Ministre de la justice, nonobstant les oppositions que soulevaient les dispositions qu'il s'agissait d'introduire dans la législation. La loi de Foresta, comme on disait, fut qualifiée de malheureuse par la gauche de la Chambre; même parmi les li

béraux réputés conservateurs, le projet n'était pas vu avec faveur. On voyait avec peine que l'on y suspectait le jury; que l'on accordait au Gouvernement un droit trop large de récusation. Cette fraction de la Chambre comptait le rejeter pour amener plus sûrement la chute du Cabinet. Toutefois, M. de Cavour persista: une alliance précieuse était au prix de l'adoption de la loi, et ce Ministre ne pouvait songer à compromettre, pour une question de légiste, les intérêts internationaux et peutêtre l'avenir de son pays.

Comme on devait s'y attendre, cette grave matière donna lieu dans le pays et au sein des Chambres aux appréciations et aux débats les plus ardents. Sept sur cinq membres de la Commission chargée de l'examen du projet, conclurent au rejet pur et simple. Le rapport de M. Valerio, organe de cette délégation de la Chambre élective, en démontrait l'illégalité. « Nulle part, disait-il, on n'a jugé nécessaire de recourir à des lois spéciales à l'effet de protéger la vie des Souverains étrangers. » Le rapport insistait ensuite sur ce qu'il y avait de peu libéral dans les dispositions proposées relativement au jury. Enfin, politiquement parlant, la loi n'atteindrait pas son but puisqu'elle inspirerait au Piémont de l'éloignement pour la France. C'était une exagération; mais, en fin de compte, ces conclusions de la Commission faisaient présager l'échec du Ministère en cette occasion. C'est le contraire qui arriva; voici comment: le côté droit qui, dans les bureaux, avait désigné pour être Commissaires des députés contraires au projet, changea de tactique lors de la discussion publique, parce qu'au fond il jugeait la loi nécessaire. Il en résulta que le côté gauche, qui voulait bien combattre la loi, mais laisser debout le ministère, put l'attaquer sans ménagement. C'est ce que M. Depretis fit entendre à ses collègues. On pouvait croire que M. Rattazzi serait contraire au projet; il le défendit. « La conspiration contre un Souverain, disait-il, mérite un châtiment, et je m'étonne en vérité que jusqu'ici, dans notre législation, on n'ait pas prévu le cas... aujourd'hui surtout, qu'à raison du vaste réseau de chemins de fer qui couvre l'Europe, il est moins aisé de surveiller les frontières. De là aussi la nécessité de donner aux Gouvernements voisins de plus grandes garanties. Nous avons

nous-mêmes intérêt à assurer la vie de notre Souverain. » Toutefois, l'orateur exprimait l'espérance que le ministère modifierait son projet en ce qui touchait la composition du jury. Mais la pression étrangère dont on parlait? M. Rattazzi ne supposait pas ceux qui dirigeaient les relations extérieures capables d'y céder. « Si l'acquiescement à une demande raisonnable est un déshonneur, je ne sais plus quelles concessions pourront être faites à un État voisin. C'est par les concessions que l'on cimente les alliances, que l'on resserre les amitiés. Si nous repoussons cette loi, qui peut prévoir les conséquences de notre rejet pour notre avenir, notre indépendance, notre liberté ? Quant à moi, je décline la responsabilité qui s'attacherait au rejet de la loi. »

Comme toutes les grandes discussions, celle-ci fut semée d'incidents qu'il serait superflu de rappeler; mais, en somme, d'importantes vérités en ressortirent. Un membre influent de la droite, le comte de Revel, qui tout en votant la loi la combattait dans certaines dispositions, trouvait tout naturel que la France voulût être secondée dans la répression des complots dirigés contre son Souverain, jugeait cependant « impolitique au suprême degré » un système gouvernemental tendant sans cesse selon lui à favoriser l'action du pays contre les gouvernements, et qui, à l'entendre, conduisait non pas à l'indépendance, mais à la ruine de l'Italie (15 avril). Le lendemain, ce fut le président du Conseil, M. de Cavour, qui prit la parole. Dans les circonstances actuelles elle devait être l'expression d'un système politique. « S'il y a eu pression, dit-il, et conséquemment offense à la dignité nationale, je m'étonne que la Commission n'ait pas rejeté cette proposition avant même de l'examiner : c'était son devoir.» Cet argument était péremptoire. Abordant ensuite la question politique, M. de Cavour traça un historique de la situation actuelle. Après l'échec de Novare, deux voies étaient ouvertes au Gouvernement: renoncer aux aspirations de CharlesAlbert, ne regarder ni par delà le Tessin ni par delà Macra, se livrer exclusivement aux améliorations matérielles intérieures ; ou bien respecter les traités, maintenir les conventions, mais sans renoncer au symbole de Charles-Albert, et continuer dans la sphère politique l'entreprise ébauchée sur le champ de ba

taille. « Le premier système était assurément plus facile, mais il fallait avec lui renoncer à toute idée d'avenir, abandonner les nobles traditions de la maison de Savoie, répudier la triste mais glorieuse hérédité de Charles-Albert. Entre ces deux systèmes, Victor-Emmanuel n'hésita pas: il choisit le deuxième; il s'empressa d'appeler à la direction des affaires des hommes dont le nom seul est un programme tout italien. » Et l'orateur rappelait que M. Massimo d'Azeglio s'efforça de prouver à l'Europe que les peuples italiens étaient mûrs pour la liberté, « susceptibles de se concilier ici avec les grands principes de l'ordre social, et de soutenir dans le champ de la diplomatie les intérêts des autres États de la Péninsule. Rappelant la part prise par la Sardaigne à la guerre de Crimée, M. de Cavour faisait observer, que si elle n'avait pas produit des avantages matériels, les avantages moraux avaient été immenses: « l'Europe avait vu, pour la première fois, la cause de l'Italie défendue dans le Congrès de Paris par une puissance italienne. » Il avait été proclamé à la face de l'Europe que la condition de l'Italie exigeait d'énergiques remèdes, si l'on voulait que la paix générale fût durable. Selon l'organe du Cabinet, à l'exception de la presse ultra-réactionnaire et autrichienne, toute la presse de l'Europe aurait été favorable à la politique du Gouvernement. L'Amérique et l'empire des Birmans lui auraient témoigné leurs sympathies. Toutefois, il était impossible de continuer les aspirations et le programme de Charles-Albert, sans s'attirer le courroux de quelque puissance voisine. Il fallait donc rechercher l'alliance d'États n'ayant pas d'intérêts opposés à ceux du Piémont. Ici un curieux passage où le ministre exposait d'une assez piquante façon à quelle sorte d'alliances il fallait recourir. « Le système des alliances, disait-il, est une des bases fondamentales de notre système politique; » mais il protestait contre les alliances avec les républiques; stériles en résultats, elles seraient fécondes en périls: témoin l'exemple des deux républiques françaises. La première belliqueuse, et la seconde pacifique, eurent toujours vis-à-vis de l'Italie une politique égoïste. « La première a chassé les Allemands, mais pour faire marché des provinces conquises. Elle a donné Venise pour s'assurer le Rhin; et la seconde? Au Gou

vernement étaient les champions de la révolution LedruRollin, Bastide, etc. Eh bien! ils refusèrent le subside d'hommes, d'argent, d'armes, et même ils refusèrent de nous prêter un général que nous avions eu le tort de leur demander (1). Et lorsque plus tard... nous demandions des secours au chef du gouvernement français, lui qui était disposé à donner une assistance efficace à Charles-Albert, fut empêché de le faire par les chefs de l'Assemblée nationale et par ses ministres, parmi lesquels figuraient des républicains anciens et contemporains. Je puis avancer ceci en toute confiance; je le tiens d'un célèbre écrivain qui eut le triste courage de se vanter auprès de moi de la part qu'il avait prise à cette résolution du Gouvernement.

Je le proclame hautement, insensé est l'homme qui croit qu'une révolution mettant en péril les principes sociaux serait favorable à la cause de la liberté en Europe; insensé qui ne sait pas, qui ne voit pas que son effet le plus sûr serait de faire disparaître toute liberté et de nous faire retourner au moyen âge; insensé qui préfère la révolution à l'Italie! Pour maintenir les alliances, il faut inspirer l'estime, chercher à favoriser les intérêts communs et faire preuve de bienveillance réciproque. Cette bienveillance, nous l'avons rencontrée auprès des gouvernements de France et d'Angleterre. Jamais les relations n'avaient été meilleures. La Prusse et la Russie avaient témoigné une sympathie sincère. Survint l'attentat du 14 janvier, qui s'était attaqué même à « une femme étrangère aux partis » et qui n'était connue que par ses bienfaits. Il n'était pas étonnant que le Gouvernement français se fût adressé aux États voisins pour prévenir le renouvellement de semblables actes. Le Gouvernement sarde avait déclaré être prêt « à faire ce qui serait en son pouvoir,» tout en croyant suffisante l'application des lois actuelles. Il ajoutait, qu'il importait surtout de mettre des entraves aux émigrations. » M. de Cavour rappelait ici que, dans

(1) Ce langage était assurément excessif; et l'on pouvait être surpris qu'il fut tenu par M. de Cavour. M. de Lamartine le réfuta dans une lettre publiée par les journaux français (21 avril). Ainsi fit (22 août) un autre ancien ministre, M. Bastide, à propos d'insinuations analogues de la part de M. de la Marmora.

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