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une dépêche par lui adressée le 11 février, au chargé d'affaires à Rome, comte della Minerva, il avait insisté sur les inconvénients de l'émigration, sur ses funestes conséquences : « Je faisais observer, dit le ministre, que des hommes qui sont forcés de passer sur la terre étrangère sans moyens de subsistance, étaient les instruments des fauteurs de révolutions; de là l'extraordinaire vitalité du parti de Mazzini! »

Si le Cabinet n'avait pas pu s'en tenir là, c'est que les circonstances avaient changé depuis l'acquittement de La Ragione; de là la présentation du projet actuel. Une autre considération l'avait déterminé : la nécessité de protester contre la théorie de l'assassinat politique, professée en Italie depuis 1849, par un certain parti qui ne craignait pas de laisser entendre qu'il ne s'agissait plus uniquement de l'Empereur des Français, mais du roi Victor-Emmanuel lui-même. Vis-à-vis de tels périls, se borner aux précautions de police, ne pas chercher à empêcher les assassinats par des moyens matériels et moraux, c'eût été de la part du Gouvernement une conduite très-coupable. S'il y avait eu pression, c'était la pression de la conscience. « De la question qui vous est soumise, dit le président du Conseil en terminant, dépend le sort du ministère, et cela non pas par un effet d'un caprice de notre part... mais par la force même des choses. Si vous partagez l'opinion de la majorité de la Commission, que le ministère n'a pas su sauvegarder l'honneur national, vous ne devez pas souffrir que ce ministère se présente encore devant vous, ni qu'il continue de représenter le Gouvernement.

Nous accueillerons avec respect votre verdict; mais s'il nous est contraire, nous déclarons franchement que notre conscience ne pourra pas ratifier votre arrêt. Notre conduite peut n'avoir pas été exempte de toute erreur; il est possible que je me sois fait illusion sur les progrès du pays; mes forces peut-être ont trahi mon zèle, mais mes collègues et moi nous sommes au moins assurés d'une chose, c'est qu'en ce qui touche les relations extérieures, notre conscience ne nous reproche ni un acte ni une parole qui n'aient été inspirés par l'amour ardent de la patrie, par un vif désir de servir ses intérêts en élevant sa dignité par la ferme résolution de maintenir intact l'honneur na

tional et de conserver pur de toute tache sur le champ de bataille et dans l'arène diplomatique, le drapeau tricolore confié à notre garde depuis tant d'années. » Après ce discours empreint d'une élévation qu'il est juste de reconnaître, d'autres orateurs se firent entendre. M. Robecchi, qui en votant la loi sacrifiait, disait-il spirituellement, diis superis, ut juvent, diis inferis ne noceant; puis M. Depretis (de la gauche), qui convenait que son parti ne pouvait pas, quant à présent, en raison du caractère des élections, trop se porter en avant; quelques autres enfin, tels que M. Menabrea de la droite; puis on posa la question de savoir si l'on passerait à la discussion des articles. Il y allait du sort de la loi: 128 députés sur 157 se prononcèrent pour l'affirmative et 29 pour la négative. Majorité 79 pour passer outre. La minorité de la Commission, représentée par MM. Buffa et Miglietta, proposa tout d'abord d'amender l'article 1 de la manière suivante : « La conspiration contre la vie du chef d'un gouvernement étranger, manifestée par un acte tendant à préparer l'exécution du crime, est punie de la réclusion. Les coupables peuvent être, en outre, placés sous la surveillance spéciale de la police pendant cinq ans. « Cet amendement différait de l'article primitif en ce que la réclusion édictée par celui-ci pouvait être convertie en dix années de travaux forcés, et même, suivant les cas, en des peines plus fortes. La Chambre se rallia à cette modification. On eût voulu aussi que la loi ne fut adoptée que sous condition de réciprocité ; les représentants du pays comprirent, en la repoussant, l'inconvénient de cette proposition, malgré les efforts de l'organe habituel de la droite, M. Solaro della Margarita.

L'article 2, relatif à l'apologie de l'assassinat politique par la voie de la presse, ou tout autre moyen prévu par l'article 1er de la loi du 26 mars 1848, fut adopté dans les termes proposés par la minorité de la Commission, c'est-à-dire que, jugé par e 1jury, ce délit serait passible de peines correctionnelles, mais jamais (proposition du ministère) de simples peines de police. Mais où le projet se trouvait profondément modifié, c'est dans la disposition de l'article 3, limitant au 31 décembre 1862, les articles modificatifs de la loi du 26 mars

1848 sur la composition du jury. Ces articles, qui portaient sur la composition du jury, faisaient corps avec la loi nouvelle. Ils appelaient à être « juges du fait » tous les individus inscrits sur la liste des électeurs politiques des villes où siége une cour d'appel. Ils réglaient le mode de formation de ces listes, et l'exercice du droit de récusation « des juges du fait » par le ministère public et le prévenu.

Ces dispositions témoignaient que la législature, tout en suivant M. de Cavour dans sa politique, savait cependant prendre les précautions qu'exigeait le sentiment de la dignité nationale.

On vient de voir comment le Gouvernement se tira de la position délicate où le plaçait, vis-à-vis d'un puissant voisin, l'attentat du 14 janvier; il ne sera pas sans intérêt de rechercher quelle fut l'issue, en ce qui le concernait, d'une autre difficulté extérieure, quoique d'une nature toute différente, l'affaire du Cagliari (voyez Annuaire 1857). Comme il y avait sur ce bâtiment des sujets anglais, l'affaire concernait aussi le Gouvernement britannique. On a vu que lord Clarendon paraissait assez disposé à s'associer aux réclamations que, de son côté, le Cabinet de Turin faisait au roi de Naples au sujet de la capture du Cagliari par les vaisseaux napolitains. Mais voici que le Cabinet Palmerston fit place, en Angleterre, à un ministère Derby-Malmesbury, c'est-à-dire tory. Autre ministère, autre droit. Le souverain des Deux-Siciles le comprit : il rendit les sujets anglais, mais retint prisonniers tous les autres. Et lord Malmesbury d'être sensible à cette courtoisie. Que fit-il pour la reconnaître? Il songea à abandonner doucement la cause piémontaise en cette affaire; et pour cela il eut recours, il faut le dire, à une subtilité de procureur. Dans une Note, remise le 5 janvier à M. de Cavour, sir James Hudson avait annoncé au ministre du roi Victor-Emmanuel que son Gouvernement prendrait fait et cause avec lui vis-à-vis de Naples. C'était une affirmation; mais le chef actuel du ministère anglais réussit à amener ses subordonnés (sir Hudson et son secrétaire M. Erskine) à reconnaître qu'il y avait eu erreur dans la copie de la Note, et que là où l'on affirmait, il fallait comprendre que l'on interrogeait, c'est-à-dire que l'on demandait au gouvernement piémontais quelles seraient, dans le

cas particulier, ses intentions. Et sir Hudson de s'exécuter, de déclarer qu'il avait mal lu sa copie; seulement il ne reconnaissait pas que des instructions confidentielles qu'il avait reçues donnaient la clef de l'énigme, en d'autres termes, de sa Note. Le ministre sarde à Londres réclama, et avec énergie, et l'on ne voit pas comment se serait terminée cette affaire, par suite de cette désertion du chef du Foreign-Office, si le roi de Naples, d'abord pressé confidentiellement, et plus tard ouvertement, tout en ne voulant paraître céder qu'à la Grande-Bretagne, n'eût enfin restitué à l'agent de cette puissance le Cagliari et l'équipage pris avec ce bâtiment.

Des explications furent demandées à ce sujet (Chambre des Députés, 16 juin) par M. Alfieri. Cet orateur espérait que, communication faite des pièces relatives à ce procès international, il n'y aurait encore qu'à donner des éloges au Cabinet. M. de Cavour répondit, que les pièces seraient sans doute communiquées au parlement par le ministère anglais, qui prendrait en cette occasion l'initiative. En ce qui le concernait personnellement, il se contenterait avant tout d'avoir la confiance du pays; il fit d'ailleurs entendre que l'affaire n'était pas finie. C'est que M. de Cavour voulait que ses nationaux lésés fussent indemnisés. Mais l'intention manifestée par la France et la GrandeBretagne de ne point pousser plus loin avec lui cette question, fit que les choses en restèrent là, quant à présent. Peut-être, en effet, était-il prudent à de grandes puissances de ne pas ouvrir le champ des hostilités, pour une simple demande d'indemnité. Toutefois vers la fin de l'année, et sous la pression de l'opinion publique, il fallut bien que l'on tînt parole au Piémont. En effet, comme on le verra aussi plus loin (Deux-Siciles), lord Malmesbury fit rendre enfin le navire en litige.

La politique intérieure avait aussi ses difficultés. Nous avons mentionné qu'une enquête avait dû être faite au sujet de certaines élections annulées par la Chambre. Une commission impartiale chargée de cette recherche délicate constata des faits de telle nature que cette annulation dut être maintenue. Au rapport de la délégation de la Chambre, des électeurs auraient été entraînés par la crainte « de souffrir dans ce monde et

dans l'autre. » D'aucuns auraient reculé devant une menace d'excommunication. La Chambre se montra sévère pour les élections notoirement entachées de ces influences, qui n'exprimaient certainement pas la pensée unanime du clergé. C'est ainsi que l'on invalida l'élection de deux membres organes d'un même journal, l'Armonia, à savoir MM. Birago et Margotti. Il fallait que la loi électorale recélât quelque vice pour que de pareils abus fussent possibles; c'est ce qui porta un député, M. Mamiani, à demander au chef du Cabinet s'il n'entendait pas présenter un projet destiné à en rendre impossible le retour. M. de Cavour répondit, que le ministère était décidé, avant la clôture de la session, à soumettre à la législature une proposition de loi ayant pour objet de réprimer à l'avenir les fraudes électorales de toute espèce.

Les questions de finance et de travaux publics eurent leur tour. Le ministère demandait à être autorisé à emprunter 40 millions pour mener à fin de grands travaux déjà votés : le percement du mont Cenis et l'établissement du port militaire de la Spezzia (voyez Annuaire, 1857). Un membre, M. Depretis, demandait une réduction du chiffre de l'emprunt. Combattue par les ministres Cavour et Lanza, cette motion fut rejetée. 97 voix contre 62 adoptèrent ensuite l'ensemble de la loi. Toutefois, à l'occasion du budget, on réduisit de deux millions seulement l'allocation pour les travaux du mont Cenis. Etait-ce bien aussi une raison d'économie que celle qui faisait que le Cabinet ne se complétait pas, que M. de Cavour continuait de diriger l'intérieur et les affaires étrangères, et M. Lanza les finances et l'instruction publique? Le président du conseil répondit par l'affirmative à un membre de la droite (M. de Revel) qui l'interrogeait à cet égard. Mais on peut supposer que M. de Cavour ne trouvait pas que le moment fût opportun pour lui de se dessaisir de la conduite des affaires extérieures; et, quant à l'intérieur, les luttes des partis étaient trop vives (témoin la dernière agitation électorale) pour qu'il ne songeât pas à rendre au pays le calme dont il avait besoin. C'est pourquoi il gardait en outre le portefeuille de l'intérieur. Quant à M. Lanza, ministre des finances depuis le

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