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portée. Des arrestations eurent lieu; au premier moment elles purent être nombreuses, mais bientôt elles durent se circonscrire, et se borner aux individus présumés auteurs ou complices de l'acte effroyable du 14 janvier. On ne nommait que des étrangers. Quant aux victimes, l'Empereur ordonna une enquête sur leur état afin de leur venir en aide; puis il alla dans les hôpitaux leur porter personnellement des consolations. Mais, comme il arrive presque sans exception en ces jours où pays et Gouvernement cherchent à découvrir les vrais coupables, une mesure rigoureuse vint atteindre deux organes de la publicité, la Revue de Paris et le Spectateur (ancienne Assemblée nationale). Le rapport annexé au décret suppressif de ces journaux et contre-signé Billault, puisait naturellement ses motifs dans le sanglant épisode qui venait d'avoir lieu. « Il ne fallait plus tolérer, disait le Ministre, que certains journaux fussent, entre les mains de quelques meneurs, peu nombreux, mais infatigables, les instruments quotidiens du travail démagogique, les organes presque officiels de toutes leurs excitations directes ou indirectes. Il ne fallait pas non plus que, d'un autre côté, attaquant sans relâche, sous des formes habilement déguisées, la nouvelle dynastie, et la constitution que s'est donnée le pays, on s'obstinât à montrer en espérance... des prétentions tombées désormais sans retour dans le néant du passé. » M. Billault argumentait ensuite de l'exemple de l'Angleterre. Tant qu'elle avait eu à redouter pour la famille aujourd'hui régnante, les attaques et les intrigues des amis d'un prétendant, cette liberté dont elle était si fière s'était effacée derrière des rigueurs énergiques. « Votre Gouvernement, ajoutait le chef du département de l'intérieur, est aujourd'hui comme celui d'Angleterre le fut longtemps encore après Guillaume III, dans le cas évident de légitime défense. L'attentat du 14 janvier ne le prouve que trop. » Suivaient les griefs relevés contre les journaux dont la suppression était demandée : la Revue de Paris aurait cherché à se faire le centre d'une sorte d'agitation par correspondances, dont le Gouvernement venait de trouver les traces dans plusieurs départements; elle continuait d'ailleurs avec constance son œuvre de propagande, et son deruier numéro contenait

encore la glorification des souvenirs et des espérances de la pensée républicaine. Plusieurs fois avertie depuis deux ans, puis suspendue, elle ne pouvait désormais qu'être supprimée.

Quant au Spectateur (ancienne Assemblée nationale), il avait, au milieu des paroles d'horreur que lui inspirait l'attentat du 14 janvier, trouvé l'occasion de protester de nouveau en faveur des principes qu'il défendait, et sans tenir compte de l'histoire, oubliant l'assassinat d'Henri III, d'Henri IV et du duc de Berry, il ajoutait : « qu'autrefois ces détestables passions trouvaient un frein dans cette loi salutaire de la monarchie qui, en plaçant au-dessus de tous les changements et de toutes les ambitions le principe d'hérédité, rendait ces crimes inutiles, et leur ôtait en quelque sorte toute raison de se produire... » C'est par trop oublier, reprenait le Ministre, que l'hérédité de la couronne, dans la Famille impériale, est le principe fondamental écrit par huit millions de suffrages dans notre constitution. « Cinq fois averti, deux fois suspendu, ce journal ne pouvait plus encourir qu'une peine, la suppression. « Ces mesures de sévérité sont légitimes. Le Gouvernement d'une grande nation ne doit pas plus se laisser miner sourdement par les habiletés de la plume, qu'attaquer violemment par les brutalités sauvages des conspirations. » Ainsi concluait M. Billault.

C'est parmi ces graves préoccupations du moment que, le 18 janvier, la Session législative fut ouverte par l'Empereur. On comprend que le discours impérial devait s'en ressentir à certains degrés. Rarement, cependant, la parole de Napoléon III avait été plus ferme et plus imposante.

Après avoir constaté que depuis l'année dernière, le Gouvernement avait suivi sa marche progressive et régulière, « exempte de toute vaine ostentation, » l'Empereur faisait une observation d'une haute portée : « On a souvent prétendu, disait S. M., que, pour gouverner la France, il fallait sans cesse donner comme aliment à l'esprit public quelque grand incident théâtral; je crois, au contraire, qu'il suffit de chercher exclusivement à faire le bien pour mériter la confiance du pays. » Venait l'examen de l'action du Gouvernement, dans les branches diverses de l'administration :

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Agriculture. L'exportation et la distillation des grains autorisées de nouveau dans son intérêt, et le Crédit foncier devenu plus fort par l'appui de la Banque. Les landes commençaient à se défricher.

Travaux publics: 1,330 kilomètres de chemins de fer livrés, en 1857, à la circulation; concession de 2,600 autres kilomètres ; création de routes nouvelles; ouverture à la navigation, du bassin à flot de Saint-Nazaire et du canal de Caen à la mer; achèvement des études en vue de prévenir les inondations; amélioration des ports, entre autres, du Havre, de Marseille, de Toulon, de Bayonne; exploitation de nouvelles richesses houillères; à Paris, inauguration du Louvre et de l'Asile de Vincennes; enfin, à Paris encore, comme à Lyon : « des quartiers ouverts, pour la première fois depuis des siècles, à l'air et à la lumière; et sur toute la France, les édifices religieux se construisant à nouveau ou se relevant de leurs ruines. »

Instruction publique. — Développement de celle que donne l'Etat à côté de l'enseignement libre, loyalement protégé. Accroissement du nombre des élèves des lycées. « L'enseignement, redevenu plus religieux et plus moral, se relève avec une tendance vers les saines humanités et les sciences utiles. » Réorganisation du collége de France; extension de l'instruction primaire.

CULTES.—« La volonté du Gouvernement, continuait le chef de l'Etat, est que le principe de la liberté des cultes soit sincèrement appliqué, sans oublier que la religion catholique est celle de la grande majorité des Français. » Constatation que cette religion n'avait jamais été ni plus respectée, ni plus libre; que les conciles provinciaux s'assemblaient sans entraves, et que les évêques jouissaient en toute plénitude de l'exercice de leur saint ministère. Luthériens et réformés, ainsi que les israélites, participaient dans une juste proportion aux subventions de l'Etat, et en étaient également protégés.

Fonctionnaires publics.-Augmentation des appointements des moins rétribués; de même, quant aux traitements des desservants, des professeurs, des instituteurs; amélioration de l'ordinaire du soldat et augmentation de solde en faveur des officiers de grade inférieur.

Mesures d'assistance. Propagation des secours mutuels ; institution de médecins cantonaux ; établissement de fourneaux x; économiques dans les villes. Enfin, distribution d'un million pour venir en aide aux populations le plus gravement atteintes par l'interruption accidentelle du travail.

Budget et ressources financières. Le budget de 1859 se sol- . derait par un excédant de recettes; l'action de l'amortissement pourrait être rétablie, le grand-livre fermé, la réduction de la dette flottante assurée.

« Le commerce, disait S. M., a éprouvé en dernier lieu des souffrances et un temps d'arrêt; mais la fermeté de son attitude au milieu d'une crise pour ainsi dire universelle, est, aux yeux de tous, un honneur pour la France, et justifie les principes économiques conseillés par le Gouvernement en matière de commerce, de finances et de crédit. »

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- Accroissement de 30 millions

Revenus directs et indirects. pendant l'année qui venait de finir.

Projets d'intérêt général, nouveaux.-Une loi sur les patentes, en vue de dégrèvement des petits contribuables; un nouveau code militaire de la marine, et l'affectation de vingt millions restant sur les emprunts, à l'achèvement des travaux destinés à mettre les villes à l'abri des inondations. Telles seraient les propositions qui seraient soumises aux chambres.

Algérie. « Reliée à la France par le fil électrique, elle a vu, c'est l'Empereur qui le rappelait, nos troupes » se couvrir d'une nouvelle gloire par la soumission de la Kabylie. Cette expédition, habilement conduite et vigoureusement exécutée, a complété notre domination. N'ayant plus d'ennemis à combattre, l'armée aurait, difficultés nouvelles, des voies ferrées à ouvrir. En France, elle trouverait, dans le camp de Châlons, une grande école qui maintiendrait à leur hauteur actuelle l'esprit et l'instruction militaire.

Anciens soldats; la médaille de Sainte-Hélène. « Plus de trois cent mille hommes, en France et à l'étranger, ont demandé cette médaille, souvenir de l'Epopée impériale, et en la recevant, ils ont pu se dire avec fierté : « Et moi aussi je faisais partie de la grande armée, » paroles, ajoutait Napoléon III, que l'Empe

reur, à Austerlitz, avait raison de leur montrer dans l'avenir comme un titre de noblesse.

Marine. Maintien par elle, sur toutes les mers, de l'honneur du drapeau français. En Chine, elle luttait de concert avec la flotte anglaise pour l'obtention du redressement de griefs communs, et pour venger le sang des missionnaires « cruellement massacrés. »

Relations avec les puissances étrangères. Jamais elles n'avaient été meilleures; même confiance de la part des anciens alliés, a fidèles aux sentiments d'une cause commune, » et les nouveaux, « par leurs bons procédés, par leur concours loyal dans toutes les grandes questions, nous feraient presque regretter de les avoir combattus. » « J'ai pu me convaincre, à Osborne, comme à Stuttgard, remarquait l'Empereur, que mon désir de conserver l'intimité des anciens liens, comme celui d'en former de nouveaux, était partagé également par les chefs de deux grands empires.

Pourquoi la politique de la France était-elle appréciée comme elle le méritait en Europe? « Parce que, répondait Napoléon III, nous avons le bon esprit de ne nous mêler que des questions qui nous intéressent directement, soit comme nation, soit comme grande puissance européenne. » Aussi bien le Gouvernement impérial s'était-il gardé de s'immiscer dans la question des Duchés, et s'il s'était occupé de l'affaire de Neuchâtel, c'est que le roi de Prusse avait réclamé ses bons offices, et l'Empereur avait été heureux, dans cette occasion, de contribuer à la conclusion définitive d'un différend qui aurait pu devenir dangereux pour le repos de l'Europe. » Quant aux Principautés, si la France avait été en désaccord avec plusieurs de ses alliés, c'est que, dans sa politique désintéressée, elle avait toujours protégé, autant que les traités le permettaient, les vœux des populations qui avaient tourné les regards vers elle. Néanmoins, S. M. annonçait que dans les Conférences qui allaient s'ouvrir à Paris, son Gouvernement apporterait un esprit de conciliation « de nature à atténuer les difficultés inséparables de la divergence des opinions. »

L'Empereur eût pu, il le faisait observer, terminer à cet en

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