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L'année précédente s'était fermée sur la question du Cagliari. Elle se rouvrit, avec le procès instruit devant la cour de Salerne sur cette même et grave affaire. Il y avait 285 accusés, y compris les passagers du navire sarde, parmi lesquels, incident embarrassant, deux Anglais, les mécaniciens Park et Watt. Comme leurs co-prévenus, ils comparurent (29 janvier) devant les juges napolitains. Le président de la Cour avait conseillé de les mettre purement et simplement hors de cause. Mais le Roi persista à les laisser juger; en quoi il faisait bien s'il les supposait en effet incriminables comme les autres. Ces deux accusés comparurent donc, mais dans un état de trouble tel (surtout Watt), qu'on put croire à un dérangement d'esprit. A peine interpellé, Watt, qui ne comprenait rien à la langue des juges, se leva et s'exprima en anglais, avec une telle véhémence, qu'il fallut le faire sortir de l'audience et le remettre aux soins d'un médecin,chargé en même temps de constater son état mental. Vers la même époque, une révolution ministérielle avait lieu en Angleterre, et un Cabinet tory, présidé par lord Malmesbury, succédait au ministère whig. On sait (voy. France) que ce changement, dû en partie aux négociations suivies entre la France et le Grande-Bretagne, à la suite de l'attentat du 14 janvier et à propos des réfugiés, avait quelque peu affaibli l'alliance entre les deux pays. On a vu ci-dessus (Etats-Sardes), que le Roi de Naples jugea le moment favorable pour paraitre céder, dans l'affaire du Cagliari, au Gouvernement anglais plutôt qu'à l'insistance du Piémont. En conséquence, ordre fut donné de renvoyer Watt dans son pays, et un peu après on procéda de même pour Park, sauf à revenir ensuite aux autres accusés. Ce qui eut lieu. Cette satisfaction allait-elle suffire au Gouvernement anglais ? Peut-être le Cabinet Malmesbury n'eût-il pas demandé mieux; mais dans un pays de libre discussion, il fallait compter avec l'opinion.

D'abord, on jugea que ce n'était pas assez de renvoyer les deux sujets britanniques, pour lesquels, dès le principe et suivant la coutume anglaise, on avait témoigné une vive sollicitude.

C'est ainsi que M. Hudson avait été les visiter dans leur prison, et que M. Lyons avait été chargé de les protéger à Salerne. Maintenant on demandait pour eux, en raison du tort qu'ils avaient éprouvé, une indemnité convenable. Lord Malmesbury réclamait 4,000 livres sterling. Le Roi des Deux-Siciles estima que ce chiffre était excessif.

« Il est de mon devoir, écrivit alors lord Malmesbury (lettre au commandeur Carafa, 25 mai), d'informer V. E. que le Gouvernement de Sa Majesté continuant à voir du même œil que par le passé l'obligation contractée par le Gouvernement napolitain, d'accorder une indemnité à ses sujets anglais si gravement maltraités, persiste dans sa demande, et que le Gouvernement napolitain refusant de prendre lui-même l'initiative d'offrir une somme équitable, il ne reste au Gouvernement de Sa Majesté qu'à la fixer lui-même. »

C'est aussi ce qu'il fit en la fixant une fois pour toutes à 3,000 livres sterling (75,000 fr.). Répondant au surplus à divers arguments du commandeur Carafa et aux insinuations par lesquelles ce ministre donnait à entendre que les mécaniciens anglais pouvaient être coupables, le chef du Cabinet britannique établissait, avec une grande apparence de raison, qu'ils remplissaient l'emploi régulier de la Compagnie propriétaire du vaisseau; qu'ils ignoraient le langage italien, et ne pouvaient être soupçonnés d'aucune sympathie pour les projets et les complots italiens, spécialement avec Naples, avec laquelle chacun d'eux ne paraît avoir aucune sorte de correspondance ou de relation. » A cet argument tiré de la non-complicité, lord Malmesbury ajoutait, pour justifier la demande d'indemnité, les traitements subis par ses nationaux dans les prisons de Naples. M. Carafa avait cbjecté que « si ces infortunés sujets anglais avaient été sujets napolitains, ils auraient été aussi maltraités. » L'organe du Gouvernement britannique répondait, avec raison, qu'une telle excuse ne pouvait être admise.

Le même jour, lord Malmesbury, embrassant dans une même dépêche la question de l'indemnité due aux deux sujets anglais et des légitimes réclamations de la Sardaigne, proposait au Gouvernement napolitain de s'en référer à la médiation d'une puis

sance tierce (et naturellement désintéressée), par exemple, la Suède. Cette Note était plus pressante encore que la précédente. Quant à l'indemnité réclamée, le chef du Foreign-Office ne se gênait pas pour dire «que si le Gouvernement napolitain croyait devoir persister dans le refus de cette réparation, le Gouvernement de Sa Majesté, fort de la conviction de son droit, s'estimerait pleinement autorisé à prendre la chose à cœur, et à obtenir par la force l'accomplissement de sa demande. »

Et quant à la demande que faisait la Sardaigne en restitution du Cagliari, et au sujet de laquelle lord Malmesbury reconnaissait cette fois que le Cabinet britannique avait promis « d'employer ses bons offices,» il déclarait (un peu tardivement) que la conviction du Gouvernement de Sa Majesté, que la Sardaigne faisait une juste demande pour la restitution, était « fondée et appuyée par les opinions répétées des jurisconsultes de la Cou

ronne. »

Cependant le Conseil des prises, présidé par M. Caracciolo, se réunissait (31 mai) précisément pour prononcer sur cette dernière question, quand le président annonça le renvoi de la cause au 8 juin suivant. Quel pouvait être le motif de cet ajournement? C'est que la menace (c'en était une, on n'en pouvait douter) du Cabinet anglais avait décidé le Gouvernement des Deux-Siciles. Dès le reçu de la dépêche du chef duForeign-Office, ordre avait été donné au Conseil des prises de surseoir aux débats; et le 8 juin, le roi de Naples faisait répondre à lord Malmesbury par le commandeur Carafa, de la manière suivante :

a

Milord, en réponse à la lettre que Son Excellence me fait l'honneur de m'écrire, en date du 25 mai dernier, je m'empresse de lui annoncer que le Gouvernement du Roi, mon auguste maître, n'a jamais imaginé ni pu imaginer, avoir le moyen de s'opposer aux forces dont peut disposer le Gouvernement de Sa Majesté britannique. Et comme il ressort de la teneur de la susdite lettre que l'affaire du Cagliari, ainsi que Votre Excellence l'énonce clairement, ne peut être à personne de plus grande importance qu'à la Grande-Bretagne (To none can this be of greater importance than to Great-Britain), il ne reste au Gou

vernement napolitain aucun autre raisonnement à exposer, ni aucune autre opposition à faire.

» Aussi j'ai l'honneur de prévenir Votre Excellence qu'à partir de ce moment se trouve versée dans la caisse de commerce Pook, à la disposition du Gouvernement anglais, la somme de 3,000 livres sterling.

>> Pour ce qui concerne les individus composant l'équipage du Cagliari, justiciables de la grand'cour criminelle de Salerne et le Cagliari lui-même, je suis en mesure de lui annoncer qu'ils sont les uns et les autres à la disposition de M. Lyons, pour la consignation tant du pyroscaphe que des susdits justiciables, dont le départ dépendra de M. Lyons. Des ordres ont été donnés aux autorités compétentes. »

D'après ce qui précède, le Gouvernement de Sa Majesté Sicilienne n'a pas besoin d'accepter de médiation, remettant tout à la volonté du Gouvernement britannique.

A peine était-ce déguisé: le roi cédait à une pression diplomatique, voilà pour l'indemnité; et quant à la restitution des hommes et de l'équipage, elle était faite sous la même pression; mais dans la personne pour ainsi dire du Gouvernement anglais et non au Cabinet sarde directement. Le 22 juin, rentrée du Cagliari dans le port de Gênes sous la conduite du consul anglais M. Barber, et réception de ce navire par la compagnie Rubattino qui en était propriétaire, mais sous toutes réserves de ses droits à une indemnité à cause des dommages causés par suite de la capture : inaction; mauvais état, etc.

Pour la forme, le procès continua à Naples devant le Conseil des prises, qui débouta la compagnie de sa demande en restitution. Continuait aussi devant la cour criminelle de Salerne le procès des accusés napolitains impliqués dans l'insurrection de Sapri 13 juillet, arrêt qui condamne à la peine capitale, Nicotera, Santandrea, Gogliani, Giordano, Valletta, Martino et Lasala; et aux galères 205 autres accusés; 56 sont mis en liberté provisoire.

Toutefois, les sept condamnations capitales furent commuées (30 juillet), pour Nicotera et deux autres, en galères à perpétuité et en 25 ans de fers pour les quatre derniers. On sait que le prin

cipal de ces accusés, Nicotera, se défendit dans un récit publié non à Naples, mais dans les journaux étrangers, d'avoir fait aucune révélation pouvant inculper ses co-accusés. Il soutint au contraire que l'équipage du Cagliari était pur de toute complicité dans la conspiration de Pisacane. Un autre accusé se plaignit durant ces débats si émouvants, qu'en dépit de quelques adoucissements qui leur étaient ménagés en public, on les laissât en proie à toutes sortes de souffrances. Presque à la même époque, on jugeait des individus parmi lesquels le nommé Louis Pellegrini, accusés d'avoir tenté, avec des bandes armées à cet effet, le vol des propriétés privées et publiques, des églises et des finances locales en particulier, enfin d'avoir voulu renverser le Gouvernement. Quoique ces projets criminels n'eussent pas été réalisés, les accusés furent condamnés à des peines temporaires graduées suivant l'énormité des chefs d'accusation.

Le 18 août, sur le bruit répandu d'une prochaine introduction de bombes venant d'Angleterre, défense de laisser entrer tous objets pouvant ressembler aux moyens de destruction que l'on redoutait. Ce système outré de suspicion se faisait sentir d'une manière fâcheuse dans l'armée, où des officiers entraînés par un excès de zèle frappaient jusqu'à entraîner la mort, les infractions à la discipline. Le Gouvernement sévit nécessairement ; mais ces rigueurs impitoyables donnaient lieu à des vengeances meurtrières. Ce qui n'était pas non plus d'une bonne politique, c'était de donner aux gardes ruraux ou urbains les biens des condamnés cette sorte de prime devait produire sur des hommes incultes un effet d'aveugle dévouement. Peut-être (on l'espérait du moins) qu'un événement dynastique considérable, le prochain mariage du duc de Calabre, héritier présomptif de la Couronne, avec une princesse de Bavière, amènerait un adoucissement dans une politique qui ne laissait pas un accès suffisant à des mesures de clémence dont on devait cependant sentir le besoin!

A ces calamités du fait de l'homme, venaient se joindre par intervalles les fléaux naturels: éruptions volcaniques et tremblements de terre. Cette dernière sorte de phénomène n'avait pas cessé depuis cinq mois, à partir de ceux qui l'année précédente avaient fait tant de ravages, de troubler le sol et de terrifier les

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