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changement, en particulier sur ce qu'au Gouvernement seul appartenait la solution des questions à résoudre. En somme, et cette dernière décision même le prouvait, le Cabinet cherchait en tout à fortifier le pouvoir central, en même temps qu'à laisser faire au progrès les concessions dont il jugeait que le moment était venu. On ne pouvait, par exemple, qu'applaudir au décret du 22 octobre, naturellement rendu sur sa proposition, et relatif aux crédits supplémentaires. La pensée de ce décret se trouvait dans l'article 1er portant que « toute concession de crédits supplémentaires et de crédits extraordinaires, comprendrait les moyens avec lesquels en serait couvert le montant. » L'article 2 ajoutait que, pour les concessions de crédits supplémentaires et extraordinaires, dans le cas de non-réunion des Cortès, le Conseil d'Etat serait consulté au préalable sur l'urgence et la nécessité de ces concessions. Aux termes de l'article 3, en cas de nécessité de concession d'un supplément de crédit ou d'un crédit extraordinaire, « l'instruction sera faite par le ministère demandeur de la concession, et l'on y démontrera avec des raisons plausibles l'urgence et la rigoureuse nécessité de faire droit à la demande. Enfin l'article 5 disposait que les décrets autorisant des suppléments de crédit ou des crédits extraordinaires, seraient libellés par le ministère des finances, et contresignés par le président du Conseil. Inutile de faire observer toute la portée de cette sérieuse résolution de la Royauté. Précédemment (20 septembre), le ministère faisait décréter une autre mesure également importante, quoique dans un autre domaine : nous voulons parler de la levée de l'état de siége dans les provinces de Barcelone, Girone, Tarragone, Lérida et Malaga, enfin dans le territoire de Maestrazgo. Cette décision était fondée sur ce que la ferme volonté des ministres « était de rétablir sur tout le territoire l'intégrité des principes constitutionnels et la fidèle et exacte observation des lois. » Un autre acte, louable dans le grand nombre de ceux qu'adopta le Cabinet, ce fut la circulaire (19 novembre), par laquelle M. Posada Herrera recommandait aux gouverneurs de provinces de rendre tutélaire et non tracassière l'intervention de la police. « Ses agents, disait-il, en parlant de cette branche du service public en Espagne,

oubliant l'objet de l'institution, ont l'habitude de s'immiscer plus ou moins directement dans les affaires publiques, ils perdent ainsi devant les administrés le prestige dont ils doivent être en. tourés, si l'on veut qu'ils rendent les services attendus d'eux. Et le ministre ajoutait judicieusement, que la tolérance vis-à-vis de ceux qui discutent paisiblement leurs idées ou cherchent, par des moyens légaux, à les faire prévaloir dans le gouvernement de l'Etat, ne s'opposait pas à la répression rigoureuse de ceux qui altéreraient la tranquillité des populations. » Les instructions ministérielles étaient conséquentes avec ces observations.

. Pendant que le pays se préparait aux élections et plus tard, la Reine se reprit à voyager dans ses Etats.

Cette souveraine aimait, ce qui était louable, à présider à l'accomplissement des travaux qui devaient changer et surtout améliorer la face du pays.

Quelques jours après avoir inauguré la ligne ferrée qui conduisait de Madrid à Alicante, elle inaugura (24 juin) le canal qui porte son nom. Cette entreprise, commencée en juillet 1851, avait coûté 126,272,238 réaux. Elle avait pour objet de conduire à Madrid les eaux du Lozoya, et fut menée à bonne fin nonobstant toutes les vicissitudes politiques. Quant aux nouveaux voyages de la Reine, ils n'eurent rien de remarquable que l'ardeur avec laquelle elle les entreprit et l'empressement des populations. C'est ainsi qu'elle visita certaines provinces, la Galice, Léon, le Ferrol. Dans les environs de San-Juan se trouve une mine de charbon où l'on descend dans un chemin de fer par un puits perpendiculaire de 80 mètres de hauteur. La souveraine de l'Espagne voulut aller, et alla en effet, jusqu'aux extrêmes limites de l'exploitation, malgré les observations de son président du Conseil (8 août). La Reine parcourut une galerie en grande partie sous-marine de 250 mètres; arrivée au bout elle traça sur le charbon, avec le suif d'une chandelle, son nom ainsi que celui du Roi qui était descendu avec elle. Elle était, disait le directeur, la première femme qui eût osé descendre si avant dans ces profondeurs.

Les élections se firent avec une certaine animation : le Cabi

net se trouvait placé entre deux extrêmes, les progressistes et les conservateurs purs, qui avaient également abandonné la partie, mais qui, suivant l'usage, aspiraient à la reprendre. Les uns et les autres, en conséquence, firent tous leurs efforts pour l'emporter dans la lice électorale. Toutefois, attendu que les oppositions de toutes les nuances n'avaient pu réussir à se rendre compactes, et d'ailleurs, parce qu'en tous pays le gouvernement se présente avec de plus puissants arguments que ses adversaires, la lutte parut tourner au profit du Cabinet. Le 1er décembre les Cortès étaient ouvertes par la Reine. Elle lut un discours où elle parlait d'abord de ses voyages dans le royaume, où elle avait constaté maints progrès. Venait la situation extérieure. Désireuse de mettre fin aux difficultés existantes encore entre le Saint-Siége et le Gouvernement de Madrid, la Reine avait donné des instructions à l'effet de combiner, de concert avec le Vatican, de la manière la plus avantageuse aux intérêts de l'Eglise et de l'Etat, la solution de toutes les questions pendantes.

Autre question pendante au dehors, mais dans les rapports avec un prince musulman, le roi de Maroc. Il avait reconnu, suivant le discours royal, un principe consigné dans les traités, en accordant une indemnité pour le navire pris par les Maures du Riff, il y avait plus de deux ans.

Annonce du concours de l'Espagne à l'expédition militaire de Cochinchine.

Quant aux colonies, la Reine s'applaudissait des réformes que l'on y avait introduites; en particulier, des mesures efficaces adoptées pour faire atteindre aux possessions naguère abandonnées du golfe de Guinée, le degré d'importance commerciale auquel les destine leur position géographique. « Les nations dotées par la nature d'un sol aussi fécond que celui de l'Espagne, ne doivent pas confier l'alimentation de leurs habitants aux spéculations du commerce, mais bien aider la production en facilitant les irrigations, et écarter les obstacles qui, dans le système des hypothèques, dans les moyens de crédit et dans le mode des bornages, peuvent s'opposer à son développement et à sa prospérité. » Et la Reine annonçait qu'il serait présenté, sur cha

cune de ces matières, des projets « conformes aux progrès de la science morale et économique, et aux besoins sociaux. >> Annonce aussi de la levée de l'état de siége de toutes les provinces assujetties à ce régime. Autres réformes intérieures à introduire une loi de la presse qui permette, sous la protection du jury, « la libre discussion des intérêts publics et des actes ministériels, tout en maintenant intacts les droits et prérogatives du Trône, les pouvoirs des Cortès, la religion catholique et l'honneur des citoyens; des lois municipales et provinciales qui permettent aux populations d'intervenir dans leurs intérêts immédiats, sans entraver l'action du Gouvernement, et d'acquérir les ressources indispensables pour faire face à leurs besoins « sans paralyser la perception des contributions et des recettes du Trésor. »

Annonce de la présentation immédiate du budget et de lois spéciales ayant pour objet l'amélioration des églises, les travaux publics, le matériel de guerre et de marine, et les établissements pénitentiaires et de charité. Quant à la vente décrétée par des lois antérieures des biens des villes et d'autres corporations civiles, on proposerait à la législature, et dans leur intérêt, de nouvelles bases pour le rachat des redevances et un emploi plus sûr des capitaux des ventes. On s'occuperait aussi de l'importation des céréales de manière à concilier les intérêts de l'agriculteur avec ceux du commerce et à assurer la subsistance des classes nécessiteuses. La Reine se disait heureuse d'un autre progrès prochain, celui qui assurerait à la nation les avantages de la communication la plus accélérée. On proposait à cet effet les mesures nécessaires en vue de l'achèvement des lignes les plus importantes, afin de relier par un système général tous les points producteurs du territoire. Enfin on soumettrait aux représentants du pays des projets relatifs aux mines, aux sociétés minières.

Ce programme royal était vaste et ne méritait que des éloges. Il y avait lieu seulement de se demander si les partis, si mouvants dans la Péninsule, laisseraient au ministère le temps de réaliser au moins quelques-unes des améliorations annoncées. Presque simultanément avec l'ouverture de la session, un inci

dent mit en question le savant édifice du Cabinet dit désormais de l'union libérale. A l'occasion de l'anniversaire de la naissance du prince des Asturies, le ministre de la marine, M. Quesada, avait proposé à la Reine deux décrets, l'un nommant maréchal de camp un brave de Trafalgar; l'autre conférant à un vieux marin le titre de lieutenant général. La Reine, croyant ces nominations arrêtées en Conseil, avait signé.— Mécontentement du maréchal O'Donnell : il se rend auprès de la Reine et offre sa démission. Mais la souveraine refuse après avoir expliqué comment les choses s'étaient passées. Et l'incident aboutit au maintien du comte de Lucena et à la démission du ministre de la marine. Ce qui était plus sérieux, c'est que des les premiers jours de la réunion des Cortès, on vit se dessiner au Sénat comme au Congrès une opposition assez vive. Un sénateur, M. Sanz, proposa de censurer le ministère, et, dans la Chambre élective, ce fut la vérification des pouvoirs qui fournit le prétexte de l'attaque dirigée par M. Olozaga, coalisé cette fois avec certains libéraux. Toutefois, le général Sanz retira sa proposition, qui avait au moins l'inconvénient d'être inopportune, présentée qu'elle était avant l'adresse à la Reine; ainsi que le fit d'ailleurs observer avec raison le Président du Conseil (Sénat, 7 décembre).

Autre attaque tentée contre le Cabinet par le général Prim, comte de Reus, à l'occasion de la discussion de l'adresse, et au sujet du Mexique. Le général eût voulu faire déclarer que l'Espagne n'avait aucun motif de faire la guerre au Mexique. Mais, malgré les efforts de ce sénateur, la haute Chambre approuva la résolution de la Reine, d'éviter autant que faire se pourrait une rupture avec le Gouvernement de ce pays, toutefois en soutenant énergiquement, au cas échéant, les droits de l'Espagne. Le Sénat exprimait l'espoir que l'escadre espagnole réunie dans les eaux du Mexique amènerait la solution pacifique du différend. D'autre part, tout en se montrant satisfait de l'annonce de la réparation des excès commis par les Maures du Riff, le Sénat applaudissait à la résolution prise par le Gouvernement de réprimer par la force toutes nouvelles atteintes de ce genre. Enfin la noble assemblée félicitait la Reine au sujet

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