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Rouxel, qui, deux mois auparavant, avait quitté la Réunion pour aller recruter des noirs libres sur la côte orientale d'Afrique. Soit intérêt colonial, soit pure philanthropie, le Gouvernement portugais voyait avec peu de bienveillance cette immigration. Dans le cas particulier, le navire Charles-Georges, soupçonné d'ailleurs d'avoir à bord des indices de traite, fut conduit à Mozambique, où fut commencée en même temps une minutieuse instruction judiciaire, qui eut pour résultat (8 mars) la condamnation du capitaine du navire à deux ans de travaux publics, à 500 dollars (environ 3,000 francs) d'amende, et à la confiscation du navire.

Tout d'abord le Gouvernement français s'inscrivit contre cette condamnation. Outre qu'il ne reconnaissait ni le droit de capturer le navire, ni la légalité de la sentence, il soutenait que le navire était autorisé à engager des travailleurs libres, et, circonstance à noter, qu'il avait à son bord un délégué nommé par le gouverneur de la Réunion pour surveiller ces engagements. En conséquence, il demandait la restitution du navire et la mise en liberté du capitaine.

Le Gouvernement du roi dom Pedro n'avait pas jugé (voir le Diario do Governo du 24 octobre) « devoir s'ingérer dans une affaire qui relevait des tribunaux dont il ne pouvait violer l'indépendance sans porter atteinte à la loi fondamentale de l'Etat. >> Insistance de la part du Cabinet des Tuileries, et réplique du Cabinet portugais. Le 15 août, alors que le Charles-Georges entrait dans le Tage pour voir faire droit à son appel devant la Cour supérieure du royaume, demande par le représentant de la France, marquis de Siry, de la restitution du navire et de la mise en liberté du capitaine Rouxel. Résistance du Cabinet de Lisbonne. Le 14 septembre, nouvelle dépêche du ministre des affaires étrangères de France. Il y était dit que le Gouvernement français, tout en faisant ses réserves contre les auteurs de la capture du Charles-Georges, réclamerait quelque jour les indemnités auxquelles il croyait avoir droit; qu'en attendant, il exigeait de nouveau la restitution immédiate du bâtiment et la mise en liberté du capitaine. 2 et 6 octobre, le ministre du Roi à Lisbonne, se fondant sur le protocole 23

des Conférences de Paris (14 avril 1856, voir Annuaire), proposa au Gouvernement impérial de s'en référer à la médiation d'une tierce puissance, au choix de l'Empereur. — Refus du Cabinet des Tuileries. Toutefois, il laissait entendre que s'il pouvait accepter une médiation, ce pourrait être sur le règlement des indemnités, mais jamais sur le principe même de la capture. Cependant, M. de Paiva, ministre du Portugal à Paris, s'y trompa. Jugeant que tout serait terminé au moyen de la restitution du Charles-Georges et du retour du capitaine Rouxel à la liberté, il se rendit à sa Cour pour déterminer cette issue, sauf ensuite à soumettre à une puissance médiatrice la question de droit. C'était une erreur qu'une dépêche du ministre des affaires étrangères de France, en date du 13 octobre, vint dissiper. Le marquis de Lisle de Siry était chargé de notifier au Gouvernement portugais les chefs de demande suivants : 1° restitution du navire capturé, et mise en liberté du capitaine, vingtquatre heures après la sortie des vaisseaux français du Tage; 2o médiation du Roi des Pays-Bas pour la fixation de l'indemnité due aux intéressés, la France renonçant à toute idée de médiation sur la question de droit. Le rejet de ces propositions devait être suivi, aux termes de la dépêche, de la retraite du ministre de France et du Consulat de ce pays à Lisbonne. Dans ces circonstances, dit le journal officiel portugais, le Gouvernement du Roi, tout en persistant dans la conviction de son droit, mais reconnaissant l'impossibilité de le faire prévaloir, a cru devoir assumer devant le pays la responsabilité grave « de céder aux exigences de la France, en ordonnant la mise en liberté du capitaine Rouxel et la remise du navire capturé à la personne désignée à cet effet par le ministre de France. » Quant à la médiation relative au règlement de l'indemnité, le Cabinet de Lisbonne ne l'acceptait pas, après le rejet de la médiation sur le droit, la seule à laquelle il pût tenir. Il laissait en conséquence à la France le soin de régler cet objet à sa convenance, déclarant à l'avance qu'il s'y soumettrait par la même raison qui l'avait porté à céder aux autres exigences. Le Gouvernement se tirait ainsi, et non sans honneur, de cette grave affairc. Cependant, pour résumer tout le débat et se faire une opinion

à ce sujet, il convient de remarquer que la présence d'un délégué du Gouvernement français imprimait à cette affaire une physionomie internationale qui eût pu se résoudre diplomatiquement, et que, par cela même, les autorités portugaises auraient dû être plus circonspectes.

Presque en même temps que M. Walewski adressait au Cabinet de Lisbonne sa dernière dépêche, les Cortès (12 octobre) étaient dissoutes. Lors de la réouverture, le Roi, après avoir fait allusion à ce grand différend maintenant terminé, soumit aux représentants du pays les documents de nature à les éclairer à ce sujet. Ajoutons que les Chambres, mues par des raisons de patriotisme parfaitement convenables, donnèrent au pouvoir un bill d'indemnité pour la conduite qu'il avait tenue.

CHAPITRE XIII.

GRANDE-BRETAGNE.

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Situation que fait au Cabinet whig l'attentat du 14 janvier. Il se propose de présenter un bill ayant pour objet de combler les lacunes de la législation dans le cas de complot contre un souverain étranger. - Comment la dépêche du comte Walewski à M. de Persigny, à la date du 20 janvier, imprime aux choses une physionomie nouvelle. - Motion de M. Milner Gibson dirigée contre la conduite du Cabinet en cette occasion. Elle est adoptée. Démission de lord Palmerston et avénement d'un ministère tory (Derby-Disraeli et Malmesbury). Le premier Lord de la trésorerie annonce comment il entend gouverner.-Encore l'attentat du 14 janvier : nouvelles communications entre les Cabinets de Paris et de Londres. La brochure française intitulée Napoléon III et l'Angleterre. Les loyales et fermes explications du Gouvernement français mettent fin à l'incident.-Affaire du Cagliari : résumé des incidents qui marquèrent ce conflit; deux Anglais prévenus. Indemnité demandée en leur faveur; négociations entre lord Malmesbury et le commandeur Carafa, La Cour de Naples s'exécute et accorde l'indemnité. Les Indes orientales; leur administration. Projet de l'ancien ministère à ce sujet et desseins du Cabinet actuel. Il présente un bill de sa façon. Comment la nouvelle de la proclamation de lord Canning vint traverser les débats du bill ministériel. Lord Derby annonce qu'il a improuvé la déclaration de confiscation des biens des habitants que contenait ce document. Fausse position de l'opposition en cette occurrence; elle s'attaque à la forme et n'ose approuver le fond, c'est-à-dire la confiscation prononcée par le gouverneur de l'Inde. Triomphe du Cabinet, acheté, il est vrai, par la retraite volontaire de lord Ellenborough. Son successeur. Le bill primitif est converti en simples résolutions, puis on revient à la forme de bill. Esprit et dispositions de cette loi organisatrice de l'administration des Indes orientales. En somme, le gouvernement de la Compagnie est remplacé par celui de la Couronne représenté par le ministre statuant en conseil. - Derniers événements accomplis dans l'Inde prise de Lucknow, d'lhansi, de Calpee. Avantages et revers; situation actuelle. La Chine, Bombardement de Canton; succès des alliés. Victoire qu'ils remportent à l'embouchure du fleuve Pei-hỏ. Traités qui en sont la conséquence. Subtilités des négociateurs chinois; fermeté de lord Elgin. Triste fin de Keying, l'un d'eux : l'Empereur lui évite la décollation publique en l'invitant à se suicider.-Lord Elgin et le baron Gros à la cour de Jeddo: traités avantageux avec l'Empereur du Japon. Pourquoi un yacht, offert à ce souve

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rain par l'amirauté anglaise, était chose superflue pour lui.—L'ile de Périm: prétentions de la Grande-Bretagne à la propriété de cette ile.— Les principautés danubiennes; rejet de la motion de M. Gladstone.Compagnie de la baie de Hudson; son privilége. Opposition qu'il rencontre au sein du parlement; pourquoi. Lord Derby en demande le maintien. — Affaire du Regina-Cœli; détails. — Loyales explications données à ce sujet par le chef du Foreign-Office. I reconnait le droit du commandant du Regina-Cœli: il n'avait pas cessé de surveiller son navire; on ne pouvait donc le capturer. Encore la traite : les croiseurs anglais et les Etats-Unis. Explications de lord Malmesbury: on espère amener le Cabinet de Washington à s'entendre avec celui de Londres sur un système efficace de répression de la traite. — Irlande : le séminaire catholique de Maynooth et la motion Spooner. — Les Israélites; leur admission au parlement. Encore le serment d'abjuration. Persistance réciproque des Communes à voter l'admission et dės Lords à la refuser. Le Lord-Chancelier lui-même y est opposé. Propositions diverses à ce sujet au sein de la Chambre des Communes. Imminence d'une question de Cabinet ou d'un conflit avec les Cours de justice. Comment lord Lucan propose de tourner la difficulté. Le ministère se rallie à cette proposition, et l'aptitude des Israélites à siéger dans la Chambre des Communes est prononcée. Le cens d'éligibilité : comme quoi il est rarement réel. Abus et scandales: procès de M. Glover prévenu de fausse déclaration de cens et motion de M. Locke-King tendante à l'abolition de cette condition d'éligibilité. — M. Bright et la réforme électorale. Son éloquence, et aussi ses vains efforts pour passionner les esprits sur cette matière. M. Gladstone envoyé en qualité de haut-commissaire aux iles Ioniennes ovations dont il est l'objet. Les Ioniens croient que la Grande-Bretagne favorise leur désir de faire partie du royaume de Grèce. - Déclaration du Cabinet britannique à cet égard. Prorogation du parlement par CommisLa reine Victoria à Cherbourg accueil qui lui est fait; son escorte. De Cherbourg elle va visiter, en Prusse, sa fille devenue princesse royale. Elle revient en Angleterre et passe l'automne en Ecosse. Les finances du Royaume-Uni.

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Le ministère paraissait devoir poursuivre avec succès la campagne parlementaire quand un événement bien imprévu, l'attentat commis, le 14 janvier, à Paris contre la personne de l'Empereur et de l'Impératrice suscita au Cabinet des embarras non moins inattendus. On présumait en France, et avec une grande apparence de raison, que les fauteurs du complot avaient usé de la large hospitalité que la législation anglaise ouvre aux réfugiés de tous pays, pour perpétrer leurs homicides desseins. C'est pourquoi en même temps qu'il s'adressait pour faire cesser leurs menées, à d'autres Gouvernements limitrophes (voy. Suisse, ÉtatsSardes), le Gouvernement français s'ouvrit à ce sujet avec une

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