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fermeté parfaitement concevable, vis-à-vis du Cabinet de Londres. Dans une dépêche en date du 20 janvier, le comte Walewski, ministre des affaires étrangères de la France, affirmait purement et simplement qu'ainsi que ceux qui l'avaient précédé, le dernier attentat avait été connu en Angleterre; que c'était dans ce pays que Pianori avait projeté de frapper l'Empereur; que c'était de Londres... que Mazzini, Ledru-Rollin et Campanella dirigeaient les assassins qu'ils avaient armés ; que c'était là aussi que les auteurs du dernier complot avaient pu préparer à loisir leurs moyens d'action... Le Gouvernement de l'Empereur ne doutait pas de la réprobation que des faits de cette nature soulevaient en Angleterre; mais il était tout aussi convaincu qu'en présence de pareilles preuves de l'abus de l'hospitalité, on comprenait à Londres combien il avait sujet de s'en préoccuper. Cette pratique du droit d'asile qui avait toujours caractérisé l'Angleterre, le Gouvernement français la comprenait d'autant mieux que lui-même regardait comme un devoir d'humanité de laisser ouverte sa frontière à toute infortune honorable. Il ne se plaignait donc pas que ses adversaires pussent trouver un refuge sur le sol anglais et y vivre paisiblement en restant fidèles à leurs opinions, leurs passions même, sous la protection des lois britanniques. Mais combien était différente l'attitude des adeptes de la démagogie établis en Angleterre! Ce n'était plus l'hospitalité de partis égarés se manifestant par tous les excès de la presse et toutes les violences du langage... c'était a l'assassinat érigé en doctrine, prêché ouvertement, pratiqué dans des tentatives répétées » dont la plus récente venait de frapper l'Europe de stupeur. Le droit d'asile, se demandait l'organe officiel du Cabinet des Tuileries, doit-il protéger un tel état de choses? l'hospitalité est-elle due à des assassins? Enfin, la législation anglaise doit-elle servir à favoriser leurs desseins et leurs manoeuvres, et peut-elle continuer de couvrir des gens qui se mettent eux-mêmes par des actes flagrants en dehors du droit commun et au ban de l'humanité ?... Il y avait donc là pour la France un danger permanent que le gouvernement britannique pouvait l'aider à conjurer en lui donnant une garantie de sécurité « qu'aucun État ne saurait re

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fuser à un État voisin » et qu'il était autorisé lui (Gouvernement français) à attendre d'un allié. Toutefois il se reposait sur le Cab inet, quant aux mesures à prendre pour satisfaire à ce vœu, ou quant au soin d'apprécier les décisions les plus propres à atteindre le but. Cette dépêche reçut bon accueil en Angleterre. Lord Palmerston d'ailleurs, si susceptible en ce qui concernait la dignité nationale, ne trouva rien à redire à ce langage d'un puissant allié. Bien plus, les jurisconsultes de la Couronne une fois consultés, il présenta au Parlement un projet de Bill dont la première lecture passa à une imposante majorité. Malheureusement, un incident qui n'avait pourtant rien d'officiel, des paroles menaçantes à l'adresse des pays où des assassins politiques pouvaient trouver asile, paroles insérées parmi les assurances de dévouement et de fidélité à l'Empereur par des officiers français, venait de réveiller les susceptibilités endormies. En vain, le Gouvernement des Tuileries annonça-t-il encore par l'organe du comte Walewski, dans une dépêche adressée à l'Ambassadeur de France à Londres, que l'insertion au Moniteur, des adresses dont on se plaignait, était le résultat d'une erreur. L'impression était produite, et les adversaires du Bill en profitèrent pour dénaturer jusqu'à l'esprit de la dépêche, assurément modérée, du 20 janvier. On alla (ce qui ne pouvait même pas être sérieusement avancé) jusqu'à soutenir que ce document diplomatique accusait la nation anglaise de sympathiser avec les assassins ou de leur donner protection. « Je crois de mon devoir, dit lord Palmerston (Communes, 5 février) en répondant à un violent discours de M. Roebuck, de repousser l'accusation portée contre l'ambassadeur français; il n'a jamais accusé la nation anglaise d'une sympathie de ce genre. Le comte de Persigny a dit souvent qu'à l'égard des sentiments manifestés dans son pays, nous devions faire la part de l'irritation occasionnée par l'attentat, et que les peuples du continent, ignorant la nature de nos lois, et nous appliquant les principes d'après lesquels ils sont eux-mêmes gouvernés, conçoivent des idées et des espérances qui ne peuvent se réaliser, comme le savent tous ceux qui connaissent notre constitution. Le chef du Foreign-Office déclarait ensuite qu'il ne suivrait pas l'hono

rable M. Roebuck, sur le terrain où il prétendait s'arrêter. En parlant de certaines adresses publiées en France, M. Roebuck prétendait que le Parlement devait pour ce motif s'interdire de prendre des mesures que sans cela il eût pu convenablement adopter. « Quis tulerit Gracchos de seditione querentes? répondait assez finement lord Palmerston; car s'il est un homme qui plus que tout autre a recours aux personnalités et aux violences à l'égard des pays étrangers et du sien propre, c'est l'honorable et savant membre... » Puis, cette autre déclaration toujours consolante à entendre et d'ailleurs si conforme à la vérité: « s'il est quelque chose dont nous soyons fiers chez nous, c'est la liberté absolue de la parole, et ce sentiment doit nous engager à supporter les emportements du savant gentleman. Parce qu'il y a eu en France des adresses peu mesurées, il sera... indigne et puéril de la part du peuple anglais de se laisser emporter là-dessus au point de refuser de faire ce qui peut être utile. » Rétorquant ensuite l'argument: « Prenons l'inverse, disait le noble Lord, voyons quels sentiments nous éprouverions nous-mêmes si de pareilles atrocités étaient tramées en France contre notre souveraine, par des individus réfugiés en France. Le peuple anglais ne s'indignerait-il pas ?... » On eût pu croire que repoussée avec cette habileté, l'opposition devait avoir peu d'espoir de triompher. Enfin, le Bill proposé n'avait rien d'excessif, il faisait passer du caractère de simple délit à celui de crime (Felony) les complots des sujets anglais ou étrangers, et devant recevoir exécution en Angleterre ou au dehors.

Dans le cas où le complot aurait pour conséquence le meurtre, le conspirateur serait passible de la même peine que le meurtrier son complice.

Ce n'est pas au Bill lui-même, à son esprit ou à sa teneur, que l'opposition s'attaqua, ce qu'elle s'attacha à faire ressortir c'est que le Cabinet n'avait pas suffisamment couvert la dignité du pays vis-à-vis de la France. Et cette tactique devait réussir. En déposant sur le bureau la première dépêche du comte Walewski, lord Palmerston avait été invité à faire connaître la réponse du Gouvernement à ce document, à quoi il avait répondu qu'il n'y en avait pas eu. Dans ces circonstances, et le 16 février,

M. Milner Gibson donna avis qu'à la seconde lecture du Bill, il proposerait l'amendement suivant: La Chambre a appris avec un vif regret que le projet de récent attentat contre la vie de l'Empereur des Français a été conçu en Angleterre, et elle exprime son horreur contre ces criminelles tentatives; mais tout en étant disposée à remédier aux vices de notre législation criminelle, si ces vices sont démontrés après une mûre investigation, elle regrette cependant que le Gouvernement de la Reine, avant d'inviter la Chambre à modifier la loi, n'ait pas cru devoir faire une réponse à la dépêche du Gouvernement français en date du 20 janvier 1858.

Ce blâme à l'adresse du ministère, soutenu par MM. Gladstone et Disraeli passa à la majorité de 234 voix contre 215. C'était la retraite du Cabinet qui, depuis quatre ans, tenait les rênes du Gouvernement. Le 22 février, lord Palmerston annonça aux Communes la dissolution du Cabinet; même communication à la Chambre haute, par lord Granville. Le 26, jour où le Parlement reprit ses séances, annonce d'un ministère dont lord Derby était le chef. Avec lui rentraient aux affaires des hommes, dont les noms disaient les opinions: M. Disraeli, à l'échiquier; lord Malmesbury, aux affaires étrangères; le fils de lord Derby, lord Stanley, aux colonies; le général Peel, à la guerre; lord Ellenborough, au bureau du contrôle, et quelques autres d'une moins grande notoriété, mais dont la couleur politique était la même.

Le 1er mars, le premier Lord de la Trésorerie motiva à la Chambre haute son avénement aux affaires. Naturellement, la politique extérieure avait la plus grande part dans ces explications. « Nous maintiendrons, dit lord Derby, les relations amicales avec toutes les nations étrangères. Nous ne prendrons pas un ton de hauteur ni d'arrogance, mais un ton de nature à entretenir les meilleurs sentiments réciproques. Toutes les alliances ont leur importance; mais s'il en est une qui, plus que toute autre, doive être cultivée et entretenue par nous, c'est celle du grand Empire français... Si la France venait à perdre, dans les circonstances actuelles, le grand homme qui la gouverne, la tranquillité de ce pays serait compromise, et il en ré

sulterait des maux incalculables qui affaibliraient les liens qui existent si heureusement aujourd'hui entre les deux nations. » Appréciant ensuite les adresses insérées au Moniteur, et dont il avait été tant et si diversement parlé, le chef du nouveau Cabinet faisait judicieusement remarquer, qu'elles ne représentaient pas les véritables sentiments de la nation française. Et il ajoutait : « Parmi les réfugiés que les révolutions ont jetés sur nos rivages, un grand nombre remplissent les devoirs de citoyens paisibles; mais il en est d'autres qui abusent évidemment des droits de l'hospitalité en se servant d'un langage inconvenant, et que les lois de ce pays sont suffisantes pour punir, dès que ce délit est suffisamment prouvé. » Lord Derby reproduisait ici le sentiment de deux jurisconsultes éminents, lord Brougham et lord Campbell, qui, lors des dernières discussions à ce sujet, avaient exprimé l'opinion qu'il n'était pas nécessaire d'innover dans la législation pour ce cas particulier. Après avoir rappelé ce qui avait motivé la retraite de ses prédécesseurs, l'impression produite par la dépêche du comte Walewski, laissée sans réponse par eux, lord Derby déclara que « la première question qu'eut à examiner le nouveau Cabinet fut l'état des affaires par suite de la retraite de la dernière administration. Il se décida, pour sc conformer au vote de la Chambre, à demander, dans les termes les plus amicaux, à l'Empereur des Français, une explication de nature à soulager l'esprit du peuple anglais; et je crois pouvoir dire que, d'après la manière amicale dont cette demande a été faite, j'ai la ferme confiance qu'il sera répondu de telle manière que l'opinion publique, en Angleterre, sera satisfaite. Tout en ajoutant ensuite que la politique du Gouvernement de Sa Majesté dépendrait nécessairement beaucoup de la réponse qu'il recevrait, lord Derby annonçait son intention de mettre la loi à exécution, « afin, disait-il, d'empêcher ici le retour des conspirations. D

Quant aux affaires intérieures, appelé d'une façon si imprévue au Pouvoir, le premier Lord de la Trésorerie ne pouvait pas être aussi explicite. Toutefois il annonça un nouveau projet relatif à l'administration des Indes. Le ministère donnerait aussi toute son attention, sans en admettre précisément l'urgence, à la

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