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question de la réforme parlementaire. Il est impossible de n'être pas frappé du langage de tout point réservé que tenaient les organes du Cabinet. Ceux d'entre eux qui avaient à subir l'épreuve de la réélection ne s'écartèrent point de cette tactique. Cette remarque s'applique particulièrement au discours adresse aux électeurs de Lynn par le ministre des colonies, lord Stanley, fils de lord Derby. Allant droit à la question du moment, si le précédent Gouvernement avait agi sagement ou non en ne répondant pas à la dépêche de M. Walewski: « La question étant ainsi posée, dit le ministre, il n'y avait qu'une seule réponse possible. Voilà l'histoire de la chute du ministère. Quant à ce que ferait le Cabinet à l'occasion du bill présenté par lord Palmerston, lord Stanley répondait que la difficulté, d'ailleurs fort controversée, ne pouvant pas manquer d'être tranchée durant le cours de certaines procédures pendantes (allusion aux poursuites entamées contre les individus présumés complices en Angleterre de l'attentat commis en France), il n'était pas possible de dire avec précision ce que l'on ferait... Mais, disait fièrement l'orateur: «S'il est nécessaire de préparer une mesure pour réprimer les tentatives d'assassinat... cette mesure sera fondée, non pas sur les demandes d'une puissance alliée, mais uniquement sur la conviction que toutes les personnes qui résident en Angleterre doivent être également responsables devant la loi anglaise, devant cette loi qui leur accorde la protection et les droits de citoyen, et qui leur demande l'obéissance et l'accomplissement des devoirs de citoyen; surtout, messieurs, ne pensez pas que jamais, et sous aucun ministère, il puisse être question d'abroger ou même de modifier le moins du monde ce droit d'asile qui a été toujours notre glorieuse prérogative.» Tout en faisant droit aux justes inquiétudes d'un puissant voisin et allié, il fallait reconnaître que c'était parler comme il convenait à l'organe d'un grand peuple. Lord Stanley terminait comme avait fait son père en espérant une réponse amicale et modérée de la part du Gouvernement français.

Même langage ferme, quoique conciliant, de la part du ministre de la guerre, général Peel (discours aux électeurs du district de Huntington): Le Gouvernement ne pouvait vouloir por

ter atteinte à l'alliance entre l'Angleterre et la France, si nécessaire à la conservation de la paix des deux Etats et du monde entier. Toutefois, en ce qui concernait les étrangers, il fallait pour les condamner des preuves catégoriques et concluantes. Le système du Cabinet, en cette délicate occurrence, était donc assez net: on s'en tiendra à la loi faite ou à faire, non pas parce que la modification en serait demandée, mais quoique elle pût être demandée.

Quelle allait être l'attitude officielle du nouveau ministère vis-à-vis de la France ? Dans une dépêche adressée le 4 mars à lord Cowley, ambassadeur d'Angleterre à Paris, lord Malmesbury, chef du Foreign-Office, annonçait « qu'il avait retiré avec satisfaction d'une dépêche de cet ambassadeur, en date du 23 février, l'assurance que le ministre des affaires étrangères de France avait été fort surpris de l'interprétation qu'on avait donnée à certaines phrases de sa dépêche au comte de Persigny du 20 janvier, de ce qu'on avait mal compris ce qu'il avait voulu dire, et de ce qu'on avait pu le croire capable, avec la connaissance qu'il avait de l'Angleterre, d'avoir voulu donner une portée générale à une accusation qui ne pouvait s'appliquer, comme le sens de la dépêche devait le prouver, qu'à une certaine classe d'étrangers. Toutefois, le Gouvernement de la Reine désirait appeler l'attention du comte Walewski sur des expressions qui ont réellement produit une impression défavo rable sur l'opinion publique de ce pays. Lorsque, en effet, le comte Walewski disait que l'attentat qui venait d'échouer providentiellement, « comme d'autres qui l'avaient précédé, avait été tramé en Angleterre; » ou lorsqu'il représentait, en parlant des adeptes de la démagogie établis en Angleterre, « l'assassinat érigé en doctrine, prêché ouvertement, mis en pratique dans des tentatives répétées, D et enfin qu'il demandait << si le droit d'asile devait protéger un tel état de choses ou contribuer à favoriser ses plans,» on pouvait avoir assez naturellement compris « que Son Excellence donnait à entendre, non-seulement que les délits cités n'étaient pas considérés comme tels par la loi anglaise, et qu'ils pouvaient être commis impunément, mais aussi que l'esprit de la législation anglaise était de

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nature à protéger sciemment le coupable et à le dérober au châtiment. Nul doute que si le comte Walewski eût pu prévoir que tel serait le sens que l'on attacherait à sa dépêche, il n'eût fait aucune difficulté pour ajouter que « rien n'avait été plus loin de son intention que d'avoir exprimé un soupçon égalelement injurieux pour la moralité et l'honneur de la nation anglaise.» Et lord Malmesbury faisait observer que tous les délits énumérés par Son Excellence, prouvés devant un jury, entraînaient des condamnations plus ou moins sévères... qu'en conséquence du dernier et atroce attentat, « on avait intenté des poursuites dans deux cas, pour complicité dans le dernier attentat, et pour une publication « érigeant l'assassinat en doctrine (allusion aux expressions de M. Walewski), et, qu'enfin, un cas semblable était soumis à l'examen des avocats de la Couronne. On espérait donc que le comte Walewski regarderait comme prouvé, que ses expressions ont été mal comprises, ou qu'elles sont le résultat d'une appréciation erronée des lois « de ce pays, » et, qu'en conséquence, il n'hésiterait pas à donner une explication de nature à écarter tout malentendu existant. » Le 11 mars, réponse du ministre des affaires étrangères de la France (dépêche adressée à M. de Persigny) :

Le Gouvernement impérial se félicitait des assurances amicales du nouveau Cabinet et de ce que les ministres actuels ne s'étaient pas plus mépris que leurs prédécesseurs sur ses dispositions ni sur la gravité des faits par lui signalés au Gouvernement de S. M. Britannique. Sa conduite depuis six ans excluait le soupçon de vouloir, en aucune manière, blesser la dignité de la nation anglaise. L'Empereur avait toujours eu cette conviction profonde que la réconciliation de deux grandes nations après des siècles d'antagonisme ne pouvait être sincère et durable qu'à une condition: « C'est que l'honneur de l'une ne fût jamais sacrifié à l'honneur de l'autre. »

C'en était assez pour répondre aux appréciations erronées au sujet de la communication du 20 janvier. Seulement, à l'époque de cette dépêche, aucune mesure répressive n'ayant été prise à Londres, a l'opinion publique de France, sans se rendre compte de la nature des institutions de l'Angleterre, ni des motifs de

réserve (discretion) auxquels la communication du comte de Malmesbury fait allusion, s'étonnait que tant d'audace (de la part de la secte qui érigeait l'assassinat en doctrine, et qui n'avait pas envoyé, en six années, moins de six assassins pour tuer l'empereur) fût restée impunie. >>

La dépêche du 20 janvier, continuait M. Walewski, n'avait qu'un but, de signaler un état de choses regrettables, mais sans exprimer d'opinion sur les mesures à prendre pour y porter remède. « Je n'ai pas besoin de dire, d'ailleurs, que je n'ai jamais eu la pensée de considérer la législation anglaise, comme protégeant sciemment le coupable, et comme le dérobant au châtiment. >>

Il n'y avait donc plus de discussion possible sans porter atteinte à la dignité et à la bonne intelligence des deux pays, le Gouvernement de l'Empereur « s'en rapportant purement et simplement à la loyauté du peuple anglais. »

Ce langage si digne et en même temps si modéré ne pouvait manquer de mettre fin à un débat qui touchait de près à une dispute de mots. Cela fut si bien compris que M. Disraeli, qui déjà, dans une allocution aux électeurs du comté de Buckingham, avait considéré l'alliance entre les deux peuples « comme la pierre angulaire de la civilisation moderne, » annonça avec empressement, dans la séance des Communes du 12 mars, que le Gouvernement avait reçu la dépêche du comte de Walewski en réponse à celle de lord Malmesbury, et qu'il « était heureux de pouvoir dire que ces regrettables malentendus, qui par malheur avaient existé quelque temps, s'étaient terminés d'une manière honorable et dans un esprit de bienveillance et d'amitié. » A cette pacifique déclaration, il convient d'ajouter qu'en France une brochure intitulée Napoléon III et l'Angleterre, publiée le jour même où était expédiée la dernière dépêche du comte Walewski, et qui fit grande sensation, tout en faisant ressortir les avantages réciproques d'une alliance durable entre les deux pays, rappelait néanmoins que l'on avait plus d'une fois abusé en Angleterre du droit d'asile. Témoin la condamnation de 1802, par le Gouvernement anglais lui-même, de Jean Pelletier, auteur d'un libelle dirigé

contre le Premier Consul. On pouvait donc faire appel à une puissance alliée dans l'intérêt social tout entier. En puisant à l'appui de sa thèse d'utiles arguments dans l'histoire, l'auteur de cette brochure ne s'écartait pas de l'esprit des explications de M. Walewski. Il devait donc produire le même effet sur l'opinion dans les deux pays. Le Cabinet nouveau eut même la chance d'échapper, par le verdict du jury qui acquittait Bernard, supposé complice d'Orsini, à la position de la question de savoir si la loi était applicable aux étrangers aussi bien qu'aux Anglais. Mais cela était constant, que des poursuites pouvaient être intentées contre les uns par la même raison que contre les autres. Cela étant, le Gouvernement français pouvait être sûr que le législateur d'au delà du détroit n'était pas désarmé vis-à-vis des conspirateurs étrangers. Aussi bien ne fitil pas d'objection au refus de livrer au Gouvernement sarde l'Anglais Hodges, également présumé impliqué dans l'attentat du 14 janvier, et dont, en vertu d'un traité entre la France et la Sardaigne, l'extradition était demandée. C'est qu'il ne résultait pas, aux yeux de lord Malmesbury, de l'examen des pièces concernant cette affaire, que la présomption à la charge de l'accusé fût suffisamment établie. De la part du chef du ForeignOffice, cette décision ne pouvait plus ressembler à un déni de justice, si l'on considère que nul obstacle n'avait été porté aux poursuites dirigées contre Bernard. Il en avait été de même de celles qu'avait entraînées la publication d'ouvrages qui faisaient l'apologie du régicide, et dont l'un était l'œuvre d'un Français réfugié en Angleterre, Félix Pyat. Seulement, elles n'eurent point de suite, les éditeurs ayant protesté de leurs bonnes intentions, et annoncé qu'ils retireraient de la circulation les œuvres incriminées. Le principe était sauf; mais, sans aucun doute, la législation sur cette matière présentait de fâcheuses lacunes.

Le Gouvernement français ayant réussi à mettre de son côté le droit naturel, sur lequel repose toute société, il pouvait sans inconvénient donner un gage expressif à son désir de maintenir l'alliance entre les deux pays en envoyant pour le représenter à Londres, en remplacement de M. de Persigny, le guerrier qui venait de personnifier glorieusement cette alliance, le duc de

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