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Malakoff, dont la dignité disait les hauts faits. Arrivé en Angleterre au mois d'août, l'illustre maréchal y fut accueilli d'une manière qui honorait nos voisins autant que lui-même. C'était précisément au moment de l'acquittement de Simon Bernard, à la suite d'une sorte de défi de son défenseur, Edwin James, qui avait osé se faire l'apologiste du crime dont son client était accusé.

Cette difficulté diplomatique issue de l'attentat du 14 janvier, une fois écartée au prix d'un changement de ministère et d'explications habilement accordées d'une part, et d'une concession faite au principe de l'autre, restaient les autres questions léguées au cabinet Derby par le cabinet Palmerston. Et d'abord l'affaire du Cagliari dont on a vu ci-dessus (Etats Sardes) les diverses péripéties et le dénoûment, et dont il ne sera plus parlé ici qu'au point de vue de l'histoire parlementaire de la Grande-Bretagne. La capture de ce bâtiment sur les côtes napolitaines ayant été jugée légale par les jurisconsultes de la Couronne, le chef du précédent Cabinet, saisi de l'affaire parce que les deux mécaniciens anglais du Cagliari avaient réclamé sa protection, s'était contenté d'encourager la Sardaigne dans la réclamation du bâtiment capturé. Une motion de M. Kinglake ayant évoqué ce sujet au sein des communes, M. Disraeli annonça que la question était soumise aux jurisconsultes de la Couronne. Le 5 avril, les représentants du pays apprirent que le 18 mars, M. Lyons avait obtenu la mise en liberté de Watt; que le 24 mars Park avait été confié aux soins d'un hospice anglais de Naples. Le 16 avril, annonce, encore par l'organe de M. Disraeli, que l'on exigeait du roi de Naples une indemnité. Nous avons exposé ci-dessus (Etats Sardes) le résultat de cette demande. Le ministère expliqua que les ouvertures à cet égard étaient directes et absolues, tandis qu'il ne se portait qu'intermédiaire en ce qui concernait les réclamations du Piémont. Naples eût voulu riposter. Mais que faire? Le Cabinet britannique exigeait, il fallut se résigner. L'indemnité fut accordée, en termes néanmoins qui témoignaient que l'on ne se rendait que contraint au moins moralement. Le précédent Cabinet avait laissé pendante une autre grosse question, la réorganisation du Gouvernement de l'Inde. Il eût pu continuer à son tour de la

laisser en suspens jusqu'à l'entier rétablissement de la domination anglaise dans ces parages, ainsi que l'avait conseillé d'ailleurs M. Disraeli alors qu'il figurait au premier rang dans l'opposition, au ministère Palmerston. Et voici que le même M. Disraeli se trouvait chargé de soutenir, dans la chambre des Communes, le plan du Cabinet dont il faisait partie, sur cette matière si ardue surtout dans l'état présent des choses.

Pour bien saisir la pensée des successeurs de lord Palmerston, il convient de rappeler ce que cet homme d'Etat se proposait de mettre à la place de la Compagnie des Indes. C'était fort simple à la manière habituelle du noble Lord. Substitution du gouvernement dans l'autorité qu'exerçait la Compagnie des Indes; administration par un ministre spécial ayant entrée dans le Cabinet et assisté de huit conseillers à la nomination de la Reine; enfin, disposition facultative pour ce ministre des emplois jusque-là dépendant de la cour des Directeurs. Cette dernière disposition était jugée dangereuse: trop d'omnipotence pour le ministre et trop de dépendance de la part de ses conseillers. Le projet actuel supprimait le foyer même des abus possibles ou d'un régime trop indépendant, la Cour des directeurs, il lui substituait un Conseil que devait présider un ministre de la Couronne. Ce Conseil se composerait de dix-huit membres dont la moitié à la nomination du Gouverneur, et sur les neuf autres, cinq seraient choisis par les électeurs de Londres, de Liverpool, de Manchester, de Glascow et de Belfast, c'est-à-dire des grands centres commerciaux du pays; enfin, quant aux quatre derniers conseillers, ils seraient les représentants des actionnaires de la Compagnie des Indes. Élus pour six ans et rééligibles, les conseillers auraient voix consultative, sans que leur adhésion fût indispensable aux mesures du Gouvernement. Pour être apte à la nomination ou à l'élection de conseiller, il y aurait à prouver une résidence de quinze années aux Indes, ou de dix années de service sous le gouvernement indien. Il n'était pas difficile de voir qu'en principe c'était le projet primitif, c'est-à-dire le retour à la Couronne du gouvernement de l'Inde. La manière dont se devait recruter le Conseil témoignait aussi qu'on voulait laisser pénétrer enfin le jour de l'opinion publique dans cette immense

administration. Tout d'abord, la chambre élective en vota la première lecture, mais on sait que ce vote n'est guère qu'un acte de déférence vis-à-vis du Gouvernement ou de tel membre ayant proposé un bill. Le débat sérieux devait commencer à l'oc casion de la seconde lecture. Cependant dès le premier jour la proposition ministérielle fut attaquée par MM. Bright et Roebuck. Mais dans ce pays l'opinion publique est bien officiellement représentée dans le parlement, et elle ne se produit pas avec une moindre autorité dans les meetings, qui ont lieu en dehors de l'enceinte parlementaire. En attendant que ce grave débat se produisit dans les chambres, le chef du Cabinet, lord Derby, s'expliqua clairement à ce sujet, dans le banquet offert le 5 avril par le lord-maire aux ministres de la Reine. Abordant catégoriquement la question, « c'est une opinion, ce semble généralement accréditée, dit lord Derby, que la mission de la Compagnie orientale de l'Inde est en grande partie terminée, et que, suivant la marche naturelle et nécessaire des choses, elle doit être transférée à l'autorité directe de la Couronne, sous laquelle pendant un grand nombre d'années, elle a été indirectement, mais réellement exercée. La transmission de l'autorité nominale n'est donc qu'un faible changement dans l'exercice du pouvoir politique. » Seulement, aux yeux du premier conseiller de la Reine, la chose offrait des difficultés à vaincre, de grands intérêts à consulter, enfin le problème de la responsabilité nécessaire et complète d'un ministre de la Couronne, en l'entourant des lumières et de l'expérience que réclamaient les intérêts immenses et divers de ce grand Empire. Il y aurait audace à un ministre de se flatter de résoudre à lui seul un tel problème, ou de pouvoir, même avec le concours de ses collègues, enfanter en quelques jours un plan qui ne laissât point place aux objections, et qui, dans le cours de son exécution, n'exigeât point de sérieuses modifications. Nouvellement arrivé au pouvoir, le premier Lord de la Trésorerie n'avait pas cette prétention. Il avait voulu au contraire (le Bill ayant été présenté un peu avant les vacances de Pâques) que l'opinion publique pût s'en préoccuper et l'examiner à fond. Il voulait donc, il appelait là-dessus la discussion, « mais ce que nous repoussons, dit-il fort éloquem

ment, c'est que l'immense question des grands intérêts de l'Inde soit le jouet des partis politiques ou le champ de bataille d'intérêts rivaux. » Toutefois ces nobles paroles étaient bien à l'adresse de ceux qui, comme lord Palmerston et d'autres, se disposaient, disait-on, à combattre le plan ministériel, quoique par une courtoisie parlementaire lord Derby ajoutât, qu'il avait la confiance que dans l'intérêt de ce pays et dans celui de l'Inde, ceux qui combattaient et ceux qui approuvaient la mesure à un point de vue particulier montreraient envers le Cabinet, non un esprit de controverse politique, mais un esprit de franche et loyale discussion, n'ayant qu'un seul objet en vue, c'està-dire de rendre ce grand changement aussi efficace que possible. Préparé par la parole éloquente de lord Derby, comme il l'avait été par la parole séduisante de M. Disraeli, qui avait déclaré que ce qui faisait tomber la Compagnie des Indes c'était moins le poids de ses erreurs ou de ses fantes, que l'action irrésistible du temps et des choses humaines, ce grand débat ne pouvait pas manquer, surtout pendant que la conflagration durait encore dans l'Inde, d'impressionner ou de passionner le public. Le plan de lord Derby, pas plus que celui de lord Palmerston, n'avait, par exemple, l'approbation du principal organe de la publicité, le Times, qui l'estimait purement et simplement une chimère.

Il y avait cela de vrai que l'un et l'autre donnaient trop de place à la théorie, à la bureaucratie, toujours faible, ici comme ailleurs, devant les faits. L'appel que faisait lord Derby à la concorde trouva la presse peu sensible, attendu que le chef du Cabinet n'avait guère prêché d'exemple. Il se trouvait done assez sérieusement menacé, et comme il arrive souvent en pays parlementaire, une transition fut ménagée au ministère par celui-là même qui aspirait à le remplacer, lord Russell; seulement le moment n'étant pas précisément venu, et craignant de rendre le pouvoir à la précédente administration, il ouvrit au Cabinet une issue dont il ne manqua pas de profiter. Car l'opposition provoquée par son projet grossissait d'une manière inquiétante. La discussion devait se rouvrir le 12 avril. Ce jourlà, lord Russell vint proposer au Gouvernement de retirer ou d'ajourrer son projet et de le remplacer par des résolutious sé

parées sur les principales questions soulevées par le bill. Et M. Disraeli de saisir avec empressement la planche de salut que lui tendait lord John; il poussa l'empressement jusqu'à inviter cet homme politique à présenter lui-même les résolutions qu'il conseillait au Cabinet d'adopter. Les membres du dernier ministère ne prirent point le change. Ils demandèrent (lord Palmerston en particulier) si l'administration de lord Derby entendait se démettre de ses fonctions entre les mains de lord Russell. Le chancelier de l'Echiquier répondit qu'il ne s'agissait que de laisser, sur une question si ardue, aux opinions le temps de se prononcer; il annonça que des résolutions seraient en effet présentées. Cette tactique réussit, mais elle n'était pas de nature à fortifier le Cabinet. La présentation des résolutions annoncées fut fixée au 19 avril. Il restait clair que le Gouvernement de lord Derby voulait éviter à tout prix de faire de la question indienne une question de Cabinet. Le 13 avril, le premier Lord de la Trésorerie put faire aux communes une communication importante, celle de la prise de Lucknow par les troupes britanniques et la dispersion de la garnison de cette place. Une vive acclamation accueillit cette grande nouvelle. Lucknow était au pouvoir des Anglais depuis le 25 mars. Le 26 mars, le gros de l'armée de Lucknow put se mettre en marche vers le nord contre Bareilly sous le commandement du brigadier Walpole. D'autre part, le 22, sir Henri Rose était arrivé devant Djami.- Il investit la place. Le 25, bombardement. Les rebelles, au nombre de vingt-cinq mille hommes, en perdirent ce jour là quinze cents. Le 2 avril cette ville était également prise. Les assiégés désormais en fuite laissaient derrière eux cent quarante-sept canons. Quant à la prise si importante de Lucknow, elle fut assez imprévue et marquée par des incidents mémorables. Ce jour-là, le thermomètre Fahrenheit avait quatre-vingt-seize degrés à l'ombre et cent dix au soleil. C'était le boulevard du royaume d'Oude qui venait de tomber. Il était désormais au pouvoir des Anglais. Il ne s'agissait plus que de l'organisation. Dans une dépêche du comité secret de la Cour des directeurs de la Compagnie des Indes, et déposée sur le bureau de la Chambre des Lords, le Comité éloignait également, en ce qui concernait les rebelles,

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