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l'idée d'une amnistie générale et celle d'un châtiment à outrance et universel. Il était d'avis qu'il fallait procéder suivant les règles applicables aux pays conquis: Désarmer et amnistier avec des exceptions pour les crimes particuliers. C'est dans ee sens que des instructions avaient été données au Gouverneur général. Le Comité l'exhortait à s'y conformer en dépit de toutes les dispositions hostiles de ceux « dont les derniers événements avaient troublé la raison et qui voulaient substituer leur politique à celle du Gouvernement. » Les derniers événements étaient en effet de nature à troubler l'intelligence de ceux qui voyaient cette grande puissance anglaise dans l'Inde menacée si subitement et si inopinément (tout le mal était là) par une levée de boucliers presque sans exemple dans l'histoire.

Cependant l'incident de la prise de Luknow loin d'avoir pour effet d'arrêter le cours des résolutions législatives, au sujet du gouvernement de l'Inde, devait au contraire le précipiter, puisque l'insurrection une fois obligée de céder, il fallait songer à rendre impossible le retour de cette explosion de tout un peuple contre ses conquérants. Ainsi qu'il l'avait annoncé, M. Disraeli déposa, le 19 avril, sur le bureau des Communes, le texte des résolutions à substituer au bill proposé par le Cabinet. Mais en même temps il demanda l'ajournement de la seconde lecture de ce projet. M. Horsman ayant conseillé alors au chancelier de l'Échiquier de le retirer purement et simplement, M. Disraeli déclara qu'il le ferait si les auteurs du précédent bill (lord Palmerston et ses amis) en faisaient autant. Refus de l'ancien chef du Cabinet, motivé sur ce que le mode de procéder par voie de résolutions pouvait ne pas être le meilleur, et il laissa entendre qu'un vote dans ce sens interviendrait peut-être. M. Disraeli prévint cette tactique en retirant son bill (23 avril). Lord Derby eût pu s'inquiéter de l'annonce que l'on fit ensuite que lord Palmerston redemanderait la mise à l'ordre du jour de son projet; mais il acquit bientôt la conviction que l'ancien premier Lord de la Trésorerie ne serait pas suffisamment appuyé en cette circonstance. En conséquence (26 avril), proposition par M. Disraeli de la priorité de la discussion en faveur de ses résolutions, relatives au Gouvernement de l'Inde. Après une réplique

de lord Palmerston qui critiqua ce projet sans s'opposer à la mise à l'ordre du jour, M. Gregory présenta un amendement tendant à déclarer qu'il y avait inopportunité, quant à présent, à modifier le gouvernement des Indes. Présentée incidemment cette proposition ne pouvait être acceptée. Le 30 avril, à l'occasion de la première résolution ayant pour objet de substituer la souveraineté de la Couronne à celle de la Compagnie des Indes, autre amendement, présenté par lord Vane, et qui tendait à faire renvoyer le débat à la prochaine session. L'auteur de cette proposition se fondait sur l'état encore incertain de l'opinion publique. Cette thèse fut combattue par lord Palmerston et d'autres membres, qui représentèrent à la Chambre qu'elle était engagée par ses décisions antérieures, et qu'ajourner ce serait se déjuger. Loin de retarder, disaient-ils, les résolutions de la Chambre, l'incertitude de l'opinion devait l'inviter à y mettre un terme, et l'on ne pouvait laisser la Compagnie debout après l'avoir si fortement ébranlée. 447 voix contre 57 donnèrent raison à cette argumentation.

Le débat s'étant ensuite engagé sur la première résolution, décidant en principe la translation du gouvernement de l'Inde à la Couronne, M. Mangles, membre de la Cour des Directeurs, la combattit en rappelant le glorieux passé de la Compagnie. M. Gladstone présenta une autre objection. On s'occupe, disaitil, de porter une loi qui touche aux valeurs sur lesquelles la Compagnie de l'Inde Orientale a levé des emprunts jusqu'à concurrence de 50 millions de livres sterling, et l'on n'a pas consulté, au préalable, les créanciers, qui auraient, dit-on, le droit de se plaindre. L'État peut-il, sans leur consentement, se substituer à l'emprunteur primitif? - Réponse de M. Disraeli : Les créanciers du gouvernement indien auront toujours pour gage les revenus et le territoire de l'Inde. Toutefois la première résolution proposée par le Cabinet fut adoptée.

Les mai, la Chambre eut à s'occuper de la résolution n°2, relative à l'Inde; elle était ainsi conçue : « Il est avantageux que, dans la personne d'un de ses principaux secrétaires d'État, S. M. soit revêtue de tous les pouvoirs relatifs au gouvernement de l'Inde, qui sont maintenant exercés par la Compagnie de l'Inde Orientale.» 1858

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Amendement de M. Ayrton: Tous les pouvoirs dont se trouvait actuellement revêtue la Compagnie seraient exercés par un ministre de la Couronne en Conseil. C'était, sous une forme concise, la reproduction du bill proposé par lord Palmerston. L'amendement fut rejeté par 351 voix contre 100. On pouvait croire que le ministère n'avait plus qu'à soumettre ainsi aux Communes toutes les résolutions de nature à servir de base à un bill définitif, quand ce grave débat fut encore traversé par des incidents où l'on vit d'une part figurer des ambitions trop impatientes, et de l'autre, poser ces questions d'éternelle justice qui, si souvent, dans l'histoire des peuples, se trouvent en regard de ce qui n'est pas un droit, la force. Comme il ne s'agissait pas seulement de réorganiser ou plutôt d'administrer l'Inde Orientale, ce dont s'occupait actuellement le Parlement, mais qu'il fallait encore consolider un édifice ébranlé, rien de plus conséquent avec ce dessein que les instructions contenues dans une lettre adressée, le 24 mars, au Gouverneur général de l'Inde par le comité secret de la Cour des directeurs, et publiée par suite d'une motion adoptée par la Chambre des Lords. « Si, disait le Comité, en parlant de l'éventualité de la prise de Lucknow, cet heureux résultat est obtenu, nous espérons apprendre que vous vous sentez assez fort pour agir envers la population avec la justice et la générosité qui appartiennent au caractère anglais... »

« Il nous semble, continuaient les organes des Directeurs de la Compagnie, qu'aussitôt que la résistance ouverte aura cessé, il sera sage, en infligeant des peines, de suivre la coutume pratiquée après la conquête dans un pays qui s'est défendu, dans une guerre désespérée, plutôt que d'agir comme nous serions en droit de le faire légalement après avoir étouffé une rébellion; toujours en exceptant de toute amnistie ou de tout adoucissement de peine les actes qui ont dépassé une hostilité légitime.»

Tout en n'oubliant pas ce qui s'était passé, il convenait, disait le Comité, de se conduire envers les insurgés de manière à dissiper leurs illusions et leurs craintes, et à rétablir, s'il se pouvait, « la confiance qui pendant si longtemps avait été (c'est le Comité qui parle) la base de notre pouvoir. Le surplus des ins

tructions portait sur certains détails : A moins de circonstances qui feraient supposer un dessein criminel, la possession d'armes n'entraînerait pas la mort; mais les Anglais « pourraient avoir desarmes. >> On appliquerait aussi moins fréquemment la peine capitale. Frappant indistinctement et trop souvent, le Comité remarquait judicieusement que cette peine n'inspirait plus autant de terreur qu'elle le pourrait faire : « Dans l'Inde, d'ailleurs, il ne règne pas une grande terreur de la mort, bien qu'il doive certainement y régner une terreur de la peine. >> Mais voici venir un paragraphe significatif: Dans tout district amnistié, l'administration de la loi ordinaire devra être rétablie aussitôt que cela sera possible. Cette sage disposition excluait évidemment toute idée d'un régime éternellement exceptionnel, moins encore d'un régime de confiscation et de spoliation. Le Comité des Directeurs était donc bien avisé en adoptant et recommandant cette prudente ligue de conduite. Mais le Gouverneur général de l'Inde, lord Canning, ne l'entendit d'abord pas ainsi ; car, en même temps que l'on apprenait dans la métropole la reddition de Lucknow, on y prenait connaissance d'un acte d'une violence extrême, d'une proclamation émanée de ce haut fonctionnaire et à l'adresse des habitants de l'Oude. Il y était dit que, sauf les propriétés de six personnes, tout droit de propriété sur le sol de la province serait confisqué au profit du gouvernement britannique, qui disposera de ces propriétés comme bon lui semblera (sic). » Voilà pour les biens; quant aux personnes, le vainqueur, ou plutôt l'organe du vainqueur annonçait, qu'il serait clément dans de certaines conditions, si, par exemple, on se mettait, armes et personnes, à la discrétion du commissaire en chef d'Oude. Cette pièce causa un grand émoi. Après la surprise, et même après les représailles des premiers temps de l'insurrection, elle se justifiait dans une certaine mesure. Mais aujourd'hui que tout devait tendre au rétablissement de l'ordre et d'une situation normale et régulière, on ne se rendait pas compte de cette proscription systématique et en masse, de cette confiscation appliquée surtout à une province dont les habitants ne pouvaient être assimilés aux autres rebelles, aux cipayes, notamment, qui, tout en mangeant, suivant

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l'expression de lord Derby, le pain des Anglais, s'étaient révoltés contre eux, tandis que l'Oude ne faisait que combattre pour son indépendance. La proclamation, plus violente encore dans sa rédaction primitive, émanait autre cause de surprise — d'un personnage qui d'abord s'était résolûment mis en travers des illégalités que ses compatriotes étaient trop portés à commettre. Au moment où l'on songeait à faire cesser cette longue et vio– lente commotion de l'Inde, c'était quelque chose de plus dangereux que la violence, c'était une imprudence sur laquelle le Cabinet fut accusé de renchérir par le blâme public que lui infligeait (M. Disraeli le déclara) une dépêche ministérielle. La Chambre des Communes approuva le blâme; mais tel ne fut pas le sentiment de plusieurs membres influents de la Chambre haute. Il n'y avait pas de loyauté, selon lord Granville, à laisser lord Canning dans ses fonctions, puis à venir le réprimander publiquement. C'était une insulte, selon le duc d'Argyle,— un excès de pouvoir, selon lord Grey. Le 10 mai, lord Shaftesbury annonça qu'il proposerait une résolution désapprobative de la publication de la dépêche relative au Gouverneur général de l'Inde.

Quelle fut en cette occasion l'attitude du Cabinet? Il eut le courage, par l'organe de son chef, lord Derby, et du Directeur du bureau du Contrôle, lord Ellenborough, de se mettre audessus d'un mesquin désir de se maintenir au pouvoir, en se faisant le défenseur du droit éternel, en he légitimant point l'expropriation prononcée contre les habitants de l'Oude par lord Canning.

Assez mal inspirés en cette occasion, ceux que l'on appelait les Peelites amis ou parents de lord Canning, songèrent à relever le gant, dans l'espoir qu'ils attireraient à leur opposition un nombre notable de whigs, en particulier lord John Russell. Le plan d'attaque partit de chez lord Palmerston, et le 10 mai, M. Cardwell, organe des coalisés, proposa une motion ainsi conçue: « Tout en s'abstenant d'exprimer une opinion relativement à la politique énoncée dans une certaine proclamation du Gouverneur général de l'Inde, la Chambre a vu avec regret et une sérieuse appréhension que le Gouvernement a adressé au Gouverneur général de l'Inde, par l'entremise du comité secret de la Compagnie de l'Inde Orientale, une dépêche condamnant

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