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les fait remarquer que je dois avoir été bien convaincu que termes de la proclamation, sans le commentaire qui la concerne (on y avait fait allusion lors de la discussion dans le Parlement), doivent avoir amené la croyance que la dépossession serait appliquée d'une manière plus générale qu'il ne conviendrait pour se conformer aux besoins de l'équité et de la politique. a Cela n'est pas douteux, répondait le noble Lord, »mais en même temps il expliquait assez habilement que s'il ne s'était pas servi d'expressions positives, péremptoires et pour ainsi dire absolues, déclarant que le droit de propriété du sol de la province était confisqué au profit du Gouvernement, qui disposait de ce droit de la manière qui lui paraissait la plus convenable, l'impression eût été moins profonde sur des populations qui s'inquiétaient fort peu des menaces, tandis qu'elles avaient un grand respect pour les ordres précis de l'autorité supérieure. Sans doute, pouvait-on objecter à lord Canning; mais ce respect serait-il bien durable une fois qu'il serait manifeste que la confiscation devait être purement comminatoire? Quelles que fussent les intentions du Gouverneur général, il faisait nécessairement halte dans une mesure imprudente et impolitique. Néanmoins, tout l'esprit de sa réponse aux Directeurs de la Compagnie se trouvait dans cette observation fondée sur le caractère indigène. Il ajoutait cette atténuation, que sa proclamation s'adressait à une province en armes, dans laquelle le Gouvernement n'avait alors aucun ami, aucun intérêt survivant à défendre, et que, par conséquent, on n'avait nullement à redouter le danger de provoquer une révolte ou une résistance capable de rendre sa position plus mauvaise. Ces raisons avaient quelque valeur, sans doute, mais le Gouverneur général devait tenir compte du retentissement qu'aurait dans l'Inde tout entière une menace d'universelle spoliation.

En présence de cet acte, sinon irréfléchi, au moins peu habile, il s'agit de placer la situation que devait faire à l'Inde le nouveau bill. Le changement était profond, considérable, presque une révolution. A la place de cette Compagnie puissante, qui à elle seule était un gouvernement avec tous ses rouages: tribunaux, armée, comptables et tout le reste, on allait avoir un ministère

responsable chargé d'administrer cet empire de 180 millions d'habitants. Grave innovation, et dont on ne pouvait mesurer toute la portée, administrer de loin et avec les traditions habituelles n'étant pas chose aisée. Naturellement aussi cette administration elle-même se ressentirait des fluctuations ministérielles, aujourd'hui déterminées par tel parti, une autre fois par tel autre. Si l'on examinait ensuite les conséquences en quelque sorte morales de la centralisation, on pouvait trouver que cette inégalité sociale qui se rencontrait dans la Grande-Bretagne, et qui partout opposait dans les emplois publics l'élément aristocratique à l'élément bourgeois, perdait singulièrement de sa force dans l'Inde, où ce dernier élément, acceptant les conditions d'aptitude imposées aux candidatures administratives par la Compagnie, n'avait presque pas à redouter de concurrence de la part des classes aristocratiques, dédaigneuses des épreuves qu'il fallait subir. Cette différence était surtout frappante dans l'armée particulière et indigène de la Compagnie (indépendante de l'armée royale). L'avancement ne s'obtenait plus ici à prix d'argent et de recommandations puissantes, il fallait un mérite réel, constaté par de sérieuses épreuves. Cet état de choses, auquel cependant on avait dû de glorieux capitaines : les Havelock, les Outram et nombre d'autres, allait nécessairement cesser en présence d'une armée royale proprement dite. C'est à cet endroit, comme à d'autres que l'expérience ferait connaître, que devaient commencer les doutes, et même les appréhensions au sujet du système qu'allaient introduire les résolutions ou plutôt le bill voté par le Parlement. Ce que l'on appelait les influences, le népotisme, cette plaie invétérée des administrations à rouages compliqués, allait donc faire invasion dans le gouvernement de l'Inde! Cette crainte et d'autres marquèrent la discussion du bill actuel. De là nombre de correctifs proposés durant la discussion. M. Bright demandait, par exemple, la division de l'Inde en plusieurs districts, qui pourraient arriver à s'administrer eux-mêmes; ce qui était bien un peu prématuré. Un autre homme politique, lord Stanley, eût voulu tout d'abord introduire l'élément électif dans le conseil qui devait éclairer le Gouvernement. «Encore trop tôt, faisait observer sir Graham : vous supprimez la Cour des Direc

teurs, prenez au moins ce qui s'en rapproche le plus. » Ainsi raisonnait cet orateur, et cette manière de voir, assez plausible, entra dans l'esprit et les termes du bill; ce qui valait mieux que l'idée émise par lord John Russell, d'attribuer au ministre ou secrétaire pour l'Inde, le droit de nomination, et, partant, de révocation des membres du Conseil. Celui-ci eût été de la sorte à l'entière dévotion du ministère. Mais, où le débat devait être le plus animé, ce fut à l'occasion des concours pour les emplois civils et militaires. Les maintiendrait-on dans l'un et l'autre cas? Lord Stanley demandait à introduire dans le bill une disposition de ce genre. Lord Derby, appuyé par lord Ellenborough, qui était opposé en principe aux concours, après en avoir pris son parti quant aux fonctions civiles, réussit cependant à faire insérer dans le bill la condition que, pour les corps spéciaux de l'armée, il n'y aurait concours que sur un ordre en Conseil, ce qui équivalait à dire qu'il n'y en aurait plus du tout. Toutefois, il fallait renoncer à tout prévoir. Le chef du Cabinet avait une trop grande expérience politique pour ne pas comprendre, et ses propres expressions en témoignent, que c'est dans l'Inde que l'Inde doit être gouvernée, c'est-à-dire que c'est au cœur du pays qu'il faut puiser les éléments du gouvernement et de l'administration. De là la sage pensée de maintenir les autorités locales existantes: Gouverneur général et Conseil, Gouverneurs de Madras et de Bombay. Seulement il n'y avait plus une Compagnie des Indes égale en puissance à la métropole. Ce n'était rien, selon les radicaux; c'était beaucoup, si l'on considérait l'importance des formules politiques et légales qui presque toujours entraînent les faits à leur suite. En effet, dès qu'il y avait un ministre, même assisté d'un conseil mi - partie nommé directement, il y avait responsabilité, et c'était jouer sur les mots que de soutenir que c'était au fond la résurrection de la Cour des Directeurs. Un gouvernement aussi pratique que celui de la vieille Angleterre (old England) ne s'y pouvait tromper. D'ailleurs, et c'était la disposition vitale du bill, le Conseil de l'Inde n'était plus que consultatif. Or, en matière de gouvernement, délibérer est tout, consulter ou donner des conseils n'est qu'un moyen de produire la lumière. Sous le régime de la

Cour des Directeurs, à elle l'initiative; au Gouvernement, ce qui est d'ordinaire insuffisant, le contrôle. Sous le régime du dernier bill, au contraire, une sorte de centralisation manifestée par l'initiative de l'action attribuée au secrétaire d'Etat pour les Indes. Il demandera au Conseil un avis qui ne l'enchaînera pas, il nommera le Gouverneur général, les Gouverneurs des présidences, en un mot, les plus hauts fonctionnaires. Il dirigera dès lors les affaires, c'est-à-dire que la royauté rentrera en possession d'une conquête dévolue jusque-là aux mains d'une oligarchie, souvent heureuse, souvent habile, mais parfois tyrannique. Et l'on peut dire que si cette formidable insurrection de l'Inde a menacé de ravir à la Couronne son joyau le plus riche, en revanche, une fois vaincue, sinon anéantie, elle l'a fait rentrer dans la plénitude de la possession d'une contrée immense et d'une richesse incalculable.

Pendant que l'on posait les bases du futur Gouvernement, les opérations, dans les contrées insurgées, se poursuivaient avec des succès divers, mêlés, mais en fin de compte, surtout depuis la chute de Lucknow, au profit des armes britanniques. Presque au moment où l'on venait à bout de ce point important, les forces de sir H. Rose se trouvaient réunies devant Jhansi. Le 28 mars, elles assiégeaient les rebelles retirés dans le fort au nombre de 12,000, y compris 1,500 Cipayes, et le 6 avril la place tombait au pouvoir des assiégeants, malgré une tentative d'un parent de Nana-Sahib, Tantea-Togi, pour la délivrer.

Dans le Rajpoutana, une attaque des rebelles contre le palais du Rajah de Kotah fut repoussée. Le général Roberts emporta d'assaut leur position (30 avril).

Dans la partie méridionale du pays des Mahrattes les Dessayis insurgés furent rejetés sur le territoire de Goa. Malheureusement l'intensité des chaleurs de cette époque de l'année entravait infiniment les opérations stratégiques des Anglais, et naturellement aussi éloignait la compression définitive de cette vaste insurrection. Néanmoins les généraux du Gouvernement persévéraient dans leurs héroïques efforts. Sir Hope Grant dispersait un corps d'insurgés commandé par le Rajah

Jaijal-Singh à Karée. On désarmait tout le nord-ouest. La révolte se concentrait dans le district de Rohilcund, situé de telle manière que les insurgés pouvaient de ce point attaquer simultanément les postes les plus importants avoisinant le pays. Des mesures énergiques étaient prises par les autorités anglaises pour réorganiser l'Oude, et c'est à cette réorganisation que se rapportait la proclamation désormais mémorable de lord Canning. Mais si les troupes anglaises remportaient d'incontestables et décisifs avantages, il est trop vrai que, par intervalles, elles subissaient de sanglants échecs. Il est certain, par exemple, qu'à Azimghur il y eut une défaite dans l'attaque qu'elles firent d'un corps d'armée commandé par Koer Sing. Dans le courant d'avril (15), le général Walpole dirigea sans succès une attaque contre le fort Rowas. Cet échec peut compter parmi les plus considérables: perte d'hommes, parmi lesquels un brave officier, le général Adrien Hope, et effet noral des plus fâcheux. Quand le commandant de l'expédition eut donné à ses troupes l'ordre de battre en retraite, les rebelles les poursuivirent à grands cris, et néanmoins, le lendemain ils évacuèrent le fort. Dans le nord-ouest sir Lugard forçait le passage du pont de l'ennemi à Azimghur. Toutes ces opérations s'accomplissaient par un vent brûlant et une chaleur de 102 degrés Fahrenheit. Le 7 mai, les troupes du Gouvernement occupaient Bareilly. Le 23 du même mois, prise de Calpée, par sir Hugh Rose, après deux attaques infructueuses de la part des insurgés. Ilopéra sa jonction avec le colonel Maxwell, qui occupait une position sur la rive gauche de la Jumna, ce qui permit de bombarder la ville et le fort. Le 26, sir Colin Campbell après avoir dégagé le brigadier Jones, entouré par l'ennemi à Shahjehanpour, occupait Jellahabad, sur la route de Futteghur. Presque en même temps des troubles sérieux éclataient à Gudduck, dans le Dharwar (Présidence de Bombay). Les rebelles étaient dirigés par Bleme Rao et Lessaye. Ils s'emparèrent par trahison du port de Fœval. L'agent politique Manson, suivi de quelques cavaliers, s'étant porté rapidement sur le district de Newgound, dont le chef était soupçonné de complicité dans l'affaire, il fut attaqué par 800 hommes et tué. Le 1er juin, prise d'assaut du fort de

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