Images de page
PDF
ePub

Royaume-Uni à l'exécution du grand projet qui doit relier deux mers et rapprocher deux mondes est assez connue. On a pu voir (Egypte) qu'elle était loin de se ralentir. Si la Turquie n'ose s'opposer à la réalisation de cette grande entreprise, parce qu'un puissant gouvernement pèse sur elle, ne peut-on pas considérer sa résolution de faire dépendre de l'évacuation de Périm l'autorisation de laisser percer l'isthme comme un moyen dilatoire assez commode pour se mettre hors de cause, la Grande-Bretagne ayant l'habitude de ne point se retirer des possessions qu'elles a prises? - On a vu (France, Turquie) qu'une autre question intéressant la Sublime-Porte, celle du gouvernement définitif des Principautés, avait reçu cette année même une solution. Nous n'avons donc qu'à rappeler ici qu'un membre distingué de la Chambre des Communes, M. Gladstone, fit une motion dont la conclusion appelait un vote en faveur de l'union des provinces moldo-valaques. Elle fut énergiquement et spirituellement combattue par lord Palmerston et par M. Disraeli. << L'union, disait le premier de ces orateurs, ne ferait que démembrer la Turquie; et les Principautés trop faibles pour être unics, ne le seraient évidemment qu'au profit de la Russie. »> Aux yeux de M. Disraeli, le succès de cette motion ne devait être qu'un embarras de plus pour la France et l'Angleterre actuellement et diplomatiquement d'accord relativement à l'organisation des Principautés. Cette argumentation entraîna sans doute le vote de la Chambre, car la motion de M. Gladstone fut rejetée par 292 voix contre 114 (4 mai). Constitutionnellement, on ne pouvait qu'applaudir à ce résultat, car adopter la proposition de M. Gladstone, c'eût été (et M. Disraeli le faisait observer) laisser la Chambre des Communes s'immiscer, durant les négociations, dans la conduite des affaires extérieures. Jusque-là les deux gouvernements français et anglais marchaient d'accord, malgré de légers mais passagers nuages que leur sagesse mutuelle parvenait toujours à dissiper. Les ennemis de l'alliance ne manquaient pas de tirer parti de tous les incidents que le hasard ou la préméditation pouvait faire surgir. Témoin l'affaire du Regina Cæli.

Il résulte d'un rapport adressé le 18 juin parl'amiral Hamelin au

comte Walewski, que le Regina Cæli, envoyé sur la côte occidentale d'Afrique, sous le commandement du capitaine Simon, poury recruter des travailleurs libres pour les colonies françaises, arriva au cap de Monte, le 29 octobre précédent; que le chef de cette place demanda au capitaine Simon de choisir pour ses opérations cette partie de la côte. Ainsi, d'accord et fort de l'approbation du président de la république de Libéria, le capitaine recruta en effet, suivant les conseils même de ce haut personnage, 400 travailleurs libres qui devaient lui être livrés dans les quarante jours: 271 de ces émigrants étaient déjà arrivés dans la rade pour s'y embarquer, quand une querelle s'éleva à bord entre un cuisinier nègre et un émigrant; de là une lutte, puis une mêlée générale. Obligé de sauter dans un canot et de retourner à terre, son embarcation ayant chaviré, le capitaine Simon revint avec de la milice locale et des Américains, qu'il avait loués à cet effet, pour reprendre son bâtiment. Arrive (15 avril) l'Ethiopie, steamer marchand, commandé par le capitaine anglais Croft qui offrit son concours au capitaine du Regina Cæli, mais à la manière d'autrefois, usitée en Angleterre, en s'efforçant de prendre possession du bâtiment que le commandant français n'avait pas cessé de surveiller, le tout accompagné de procédés encore usités jadis. Le capitaine ayant voulu se rendre à bord du Regina Cæli, fut saisi et confié à la garde de deux marins anglais. Les insurgés ne manquèrent pas de profiter de la circonstance et pillèrent l'équipage, puis ils se dispersèrent.

Pourquoi le capitaine Croft agit-il de la sorte? s'agissait-il d'une traite des nègres déguisée, et qu'il eût voulu surprendre sur le fait? Nullement; mais il considérait le Regina Cali comme un vaisseau allant à la dérive et monté par des pirates, c'est-à-dire qu'il voulait avoir et maintenir son droit de prise. C'est ce qui résulte de son rapport; mais il reste avéré, d'après tous les renseignements recueillis, que le capitaine français n'avait jamais perdu de vue son bâtiment; qu'il le surveillait et qu'il avait protesté contre la saisie opérée par le capitaine an glais. Celui-ci, néanmoins, avait pris le bâtiment et avait réclamé son droit de prise. Sur ce, vinrent les vaisseaux de guerre français qui reprirent le navire et l'emmenèrent. Qui donnait ces

explications? lord Malmesbury lui-même (Chambre des Lords, 24 juin), et en concluant très-nettement, que puisque le capitaine français n'avait pas perdu de vue son bâtiment, qu'il avait réclamé et protesté contre sa saisie, quand bien même ce bâtiment eût été un négrier, personne ne le pouvait saisir. Tel était le droit international. Cet incident était donc encore vidé d'une manière qui témoignait, qu'à l'occasion, le Gouvernement savait se mettre au-dessus des passions politiques, pour n'écouter que la raison et la justice. Toutefois, il était difficile qu'il se passât une année parlementaire sans qu'il se déclarât quelque différend ou même quelque conflit avec l'Amérique. Aux Etats-Unis, on se plaignait vivement des procédés des croiseurs anglais chargés de surveiller une île suspecte quant à la traite, Cuba. Les journaux sollicitaient le gouvernement présidentiel de rendre procédés, tels qu'ils étaient qualifiés, pour procédés. Sur ce, interpellation dans la Chambre des Communes (4 juin) et dans la Chambre des Lords les 8 et 18 janvier. A cette dernière séance, et sur la demande de production des actes relatifs au commerce des esclaves, adressée au Cabinet par l'évêque d'Oxford, lord Malmesbury répondit que les Etats-Unis, ne voulant permettre ni visites ni perquisitions à bord de leurs vaisseaux, les croiseurs anglais avaient été invités à ne plus visiter désormais les bâtiments américains. Le chef du Foreign-Office espérait néanmoins que la police maritime pourrait être organisée de façon à empêcher que le pavillon des Etats-Unis ne fût arboré par des navires qui n'en auraient pas le droit. « Des représentations catégoriques avaient été faites, continuait lord Malmesbury, au gouvernement espagnol. » Le 12 juillet, reprise de cette question de la traite des noirs à l'occasion de la motion de M. Hutt, qui proposait de supprimer la croisière anglaise de la côte d'Afrique. Mais, comme il ressortait clairement de la discussion, qu'il s'agissait moins ici de la traite des noirs que de maintenir au commerce anglais en ces parages sa prédominance, la motion fut rejetée à une grande majorité. Si les noirs excitaient la sympathie de nombre d'hommes politiques, on pouvait s'étonner de voir un membre (M. Spooner) soulever d'une façon chronique ses doléances au sujet de la dotation du séminaire de

Maynooth. Cet honorable gentleman voulait absolument supprimer ce subside alloué à un établissement catholique. Heureusement que la majorité de ses collègues ne se laissait plus entraîner par des sentiments quelque peu fanatiques qui n'étaient plus qu'un anachronisme. Le séminaire catholique continuera donc de vivre.

L'éternel débat sur l'admission des Israélites au Parlement eut enfin une solution, toutefois ce ne fut pas sans combat. II faut suivre ici les dates: 22 mars, adoption en seconde lecture d'un bill proposé dès l'ouverture de la session par lord J. Russell. Il faisait disparaître de la formule du serment d'allégeance et de suprématie, ces mots, par trop gênants pour un Israélite : sur la vraie foi d'un chrétien. Mais il fallait compter avec la Chambre des Lords (20 avril), et sur la demande du lord-chancelier en personne, réintégration par la noble Chambre des mots biffés par les Communes. 10 mai, à son tour, la Chambre élective s'entête, et 263 voix contre 150 font rentrer dans la formule les termes condamnés par les lords; en même temps décision qu'une Commission s'en ira conférer avec la Chambre haute au sujet de ce grave litige. Il y a cela de piquant que celui qui était le plus intéressé dans la question, M. de Rothschild, fut appelé, quoique n'ayant pas prêté serment, à en faire partie. C'était un peu défier la première Chambre du Parlement. Mais il y avait bien autre chose de nature à inquiéter les Lords. En cas de persistance de leur part, on proposerait (c'est lord Russell et sir Bethell qui l'annonçaient) une résolution d'admission en faveur du membre israélite de cujus. C'est-à-dire que la Chambre pouvait autoriser M. de Rothschild à omettre une partie du serment ou même à le remplacer par une simple déclaration. Mais alors danger de conflit entre la Chambre et les Cours de justice, tout le monde pouvant poursuivre devant les tribunaux une personne qui aurait indûment siégé dans les Communes. Ajoutez, autre danger, que le lord-chancelier se trouvant au nombre des opposants, il en résultait un désaccord entre le Cabinet et les Communes. Comment sortir de là? La législation, si subtile d'ailleurs, ne fournissait aucun expédient. On en trouva un cependant, et c'est un général, lord Lucan, qui fit la décou

verte. Il n'y avait, disait ce brave militaire, qu'à autoriser les Communes, et en vertu d'une résolution spéciale, à déclarer que tout député israélite pourrait omettre les derniers mots de la formule du serment. C'était si simple, si aisé, qu'on en fit un bill spécial, et le 1er juillet, adoption, à la grande satisfaction de lord Derby, et en deuxième lecture, de la proposition en forme de loi de lord Lucan. La Chambre des Lords, elle aussi, avait contentement, puisqu'elle n'ouvrait pas aux Israélites les portes du Parlement; libre aux Communes de les admettre ou de les repousser. Ce ne serait plus là qu'une question de majorité. Les Israélites étaient enfin pleinement émancipés. Un épisode qui fit sensation, un procès intenté à un député, M. Glover, par ses créanciers, en vue de se faire désintéresser sur le cens qu'il était supposé payer, révéla et donna lieu de faire supprimer un abus invétéré: la déclaration d'un cens qui n'existait pas et dont, au moyen d'attestations complaisantes, on se prévalait pour entrer à la Chambre élective. Ce procès, qui se termina par un verdict de culpabilité, troubla maints députés. Un membre, M. Locke King, proposa et fit adopter un bill d'abolition du cens. Les tories s'y opposaient puisqu'on devait remanier en un bill complet tout le système; mais l'auteur de la proposition, appuyé d'ailleurs par le Cabinet, tint bon, et les Lords eux-mêmes finirent par se rallier à la suppression de ce qui était une source de scandale. Au surplus, la réforme électorale était à l'ordre du jour, ce qui ne veut pas dire que l'on procédât plus vite en cette matière. Naturellement l'élection de M. Bright comme député de Birmingham fournit une occasion de discourir sur ce sujet; naturellement encore on attendait beaucoup ce qu'il dirait comme organe de l'association pour la réforme parlementaire qui se réunit cette année. M. Bright fut éloquent comme il convenait, mais que fait l'éloquence quand l'heure n'est pas venue? En vain le député de Birmingham prouvait-il que la Chambre des Lords est une superfétation et les Communes une doublure de la Chambre haute, la question ne faisait pas un pas pour cela.

L'année ferma pour ainsi dire sur une autre et actuellement plus imminente agitation, nous voulons parler de ce qui se pas

« PrécédentContinuer »