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de notre critique sur Erasme. Cet auteur avoit expliqué ces paroles : Vous êtes Pierre, et les autres qui établissent la primauté de saint Pierre et de ses successeurs, d'une manière qui ne laissoit dans l'Ecriture aucun vestige de cette primauté. On le reprit avec raison d'une affectation si dangereuse. M. Simon observe (1) qu'il représentoit que ce qu'il avoit écrit de la primauté du pape, précédoit les disputes qui étoient depuis survenues là-dessus, et qu'il n'avoit méme rien dit qu'il n'eut en méme-temps prouvé par les témoignages des anciens Pères; mais on ne l'écoutoit point. Sur quoi notre auteur fait cette réflexion : il devoit avoir appris que depuis que la théologie avoit été réduite en art par les docteurs scolastiques, il falloit se soumettre à de certaines règles et à de certaines manières de parler : qu'il ne s'agissoit plus de savoir ce qu'on lisoit dans les anciens écrivains ecclésiastiques, puisqu'il demeuroit lui-même d'accord qu'ils ne convenoient point entre eux; outre qu'il n'avoit produit dans ses notes que de simples extraits de leurs ouvrages, qui ne découvroient pas toujours leurs véritables pensées. L'artifice avec lequel il mêle ici le bien et le mal, ne peut pas être plus dangereux. Il est vrai, c'est tromper le monde que de lui faire espérer une instruction suffisante de la pensée des saints Pères, lorsqu'on n'en produit que des extraits, et c'est une illusion que M. Simon fait souvent à ses lecteurs. Il falloit donc s'en tenir à cette réponse pour convaincre Erasme; mais ce n'est pas ce que vouloit notre critique, et il falloit que la scolastique reçût

() P. 535.

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une atteinte. Il la taxe donc premièrement d'avoir réduit la théologie en art, expression qui d'abord présente à l'esprit un sens odieux, comme si on avoit dégénéré de la simplicité primitive de la doctrine chrétienne. La théologie n'est pas un art. C'est la plus sublime des sciences; et pour s'être astreinte à une certaine méthode, elle ne perd ni son nom, ni sa dignité. Mais passons à M. Simon, un terme ambigu, quoique suspect dans sa bouche. Le reste de son discours enveloppe, dans sa confusion, tout ce qui se peut penser de plus malin. Car que veut dire, , que depuis la scolastique, il falloit se soumettre à de certaines règles et à de certaines manières de parler? Est-ce que la théologie n'avoit point de règle avant les docteurs scolastiques, et que les conciles et la tradition n'en prescrivoient point aux fidèles et aux docteurs? Pourquoi donc donner cette idée de la scolastique, comme si c'étoit elle qui eût commencé à devenir contraignante et à gêner les esprits? N'avoit-on pas auparavant des règles même pour les expressions? Tout le monde pouvoit-il parler comme il vouloit? Ne falloit-il pas accommoder son langage aux décrets que faisoit l'Eglise pour la condamnation des hérésies? M. Simon le pourroit nier, lui qui a blâmé, comme on a vu, les expositions où l'on ajoutoit quelques mots à la lettre de l'Ecriture, pour en fixer plus précisément le sens ; mais l'Eglise n'a jamais été de ce sentiment. Cette règle tant répétée par les scolastiques, par Gerson, par tous les autres docteurs, nobis ad certam regulam loqui fas est, n'étoit pas des scolastiques: elle étoit de saint Augustin, de Vincent de

Lerins, des autres Pères, et aussi ancienne que l'Eglise.

Ce qu'ajoute M. Simon, que depuis la scolastique il ne s'agissoit plus de savoir ce qu'on lisoit dans les anciens Pères, qui même ne s'accordoient pas entre eux, donne encore cette dangereuse idée: qu'on n'a plus d'égard aux discours des Pères, et qu'il n'est plus permis de parler comme eux; ce qui, prononcé indéfiniment, ainsi qu'a fait notre auteur, induit un changement dans la doctrine. Mais au contraire les scolastiques veulent qu'on parle toujours comme les Pères; et si l'on ajoute quelque chose au langage de ces saints docteurs, ce n'est que pour empêcher qu'on n'en abuse, et pour expliquer plus à fond ce qu'ils n'ont dit qu'en passant, et alors ce qu'on ajoute contre les hérésies venues depuis eux, est non-seulement de même parure, mais encore de même force et de même sens que ce qu'ils ont dit. Mais la dernière remarque, par laquelle M. Simon prétend établir qu'il ne s'agit plus de savoir ce qu'on lisoit dans les Pères, à cause qu'ils ne convenoient point entre eux, est l'endroit où il y a le plus de venin; puisque c'est insinuer, c'est définir en général qu'il n'y a rien de certain à tirer de la doctrine des Pères, et en particulier que par rapport à la primauté de saint Pierre, dont il s'agit en ce lieu, les Pères ne conviennent pas qu'elle soit dans l'Ecriture.

On voit donc que tous les traits de M. Simon contre la théologie scolastique portent plus loin, et que le contre-coup en retombe sur la théologie des Pères. En effet selon ses maximes, il ne faut

plus de théologie : tout sera réduit à la critique : c'est elle seule qui donne le sens littéral; parce que sans rien ajouter aux termes de l'Ecriture pour en faire connoître l'esprit, elle s'attache seulement à peser les mots : tout le reste est théologique, c'està-dire peu littéral et peu recevable.

CHAPITRE XX.

Audacieuse critique d'Erasme sur saint Augustin, soutenue par M. Simon: suite du mépris de ce critique pour saint Thomas: présomption que lui inspirent, comme à Erasme, les lettres humaines : il ignore profondément ce que c'est que la scolastique, et la bláme sans être capable d'en connoître l'utilité.

C'EST aussi pour cette raison que M. Simon, après avoir rapporté (1) ce que dit Erasme, pour montrer que saint Augustin n'a pu acquérir une connoissance solide des choses sacrées, SOLIDAM COGNITIONEM RERUM SACRARUM, et qu'il est bien inférieur à saint Jérôme, conclut en cette manière : En effet, avant que l'étude des belles-lettres et de la critique fút rétablie en Europe, il n'y avoit presque que saint Augustin qui fút entre les mains des théologiens. Il est même encore présentement leur oracle, parce qu'il y en a trèspeu qui sachent d'autre langue que la latine, et que la plupart suivent saint Thomas, sans prendre garde qu'il a vécu dans un siècle barbare.

Il n'y a personne en vérité à qui l'envie de rire ne prenne d'abord, lorsqu'on voit un Erasme et un

(1) P. 531.

Simon, qui, sous prétexte de quelqu'avantage qu'ils auront dans les belles-lettres et dans les langues, se mêlent de prononcer entre saint Jérôme et saint Augustin, et d'adjuger à qui il leur plaît le prix de la connoissance solide des choses sacrées. Vous diriez que tout consiste à savoir du grec; et que pour se désabuser de saint Thomas, ce soit assez d'observer qu'il a vécu dans un siècle barbare; comme si le style des apôtres avoit été fort poli, ou que pour parler un beau latin, on avançât davantage dans la connoissance des choses sacrées.

Parmi les Pères, saint Augustin est un de ceux qui a le mieux reconnu les avantages qu'on peut tirer de la connoissance des langues, et qui a donné les plus belles leçons pour en profiter. Mais il ne laisse pas de déplorer avec raison la foiblesse et la vanité de ceux qui ont tant d'horreur de l'inélégance ou de l'irrégularité du langage (1), et il faut que M. Simon, malgré qu'il en ait, cède à la vérité,

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qui dit par la bouche de ce Père, que les ames sont d'autant plus foibles et d'autant plus ignorantes qu'elles sont plus frappées de ce défaut (2).

Je me réjouis donc, aussi bien que M. Simon, de la politesse que l'étude des belles-lettres et des langues a ramenée dans le monde, et je souhaite que notre siècle ait soin de la cultiver. Mais il y a trop de vanité et trop d'ignorance à faire dépendre de là le fond de la science, et surtout de la science des choses sacrées. Et pour ce qui est de la scolastique et de saint Thomas, que M. Simon voudroit décrier à cause du siècle barbare où il a vécu, je lui dirai en

(1) De Doct. Christ. lib. 11. 6. XII, XIII. — (2) Ibid. c. XIII. n. 20.

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