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deux mots, que ce qu'il y a à considérer dans les scolastiques et dans saint Thomas, est, ou le fond, ou la méthode. Le fond, qui sont les décrets, les dogmes, et les maximes constantes de l'Ecole, ne sont autre chose que le pur esprit de la tradition et des Pères : la méthode, qui consiste dans cette manière contentieuse et dialectique de traiter les questions, aura son utilité, pourvu qu'on la donne, non comme le but de la science, mais comme un moyen pour y avancer ceux qui commencent; ce qui est aussi le dessein de saint Thomas dès le commencement de sa Somme, et ce qui doit être celui de ceux qui suivent sa méthode. On voit aussi par expérience que ceux qui n'ont pas commencé parlà, et qui ont mis tout leur fort dans la critique, sont sujets à s'égarer beaucoup, lorsqu'ils se jettent sur les matières théologiques. Erasme dans le siècle passé, Grotius et M. Simon dans le nôtre, en sont un grand exemple. Pour ce qui regarde les Pères, loin d'avoir méprisé la dialectique, un saint Basile, un saint Cyrille d'Alexandrie, un saint Augustin, dont je ne cesserai point d'opposer l'autorité à M. Simon et aux critiques, quoi qu'ils puissent dire, pour ne point parler de saint Jean de Damas et des autres Pères grecs et latins, se sont servis souvent et utilement de ses définitions, de ses divisions, de ses syllogismes, et pour tout dire en un mot, de sa méthode, qui n'est autre que la scolastique dans le fond. Que le critique se taise donc, et qu'il ne se jette plus sur les matières théologiques, où jamais il n'entendra que l'écorce.

CHAPITRE XXI.

Louanges excessives de Grotius, encore qu'il favorise les ariens, les sociniens, et une infinité d'autres erreurs.

pour

J'AI réservé à Grotius un chapitre à part (1) ne le pas confondre avec les sociniens, dont il s'est pourtant laissé imprimer d'une manière dont M. Simon n'a pu se taire. Car il remarque (2) qu'il a fait l'éloge de Crellius et des sociniens, et que le socinien Volzogue a emprunté beaucoup de choses de Grotius. Grotius, de son côté, est redevable d'unc partie de ses notes à Socin et à Crellius. A vrai dire, l'affinité qui est entre eux est extrême, et afin de comprendre jusqu'où elle va, il ne faut qu'écouter Grotius lui-même, qui fait des vœux, dit M. Simon (5), pour la conservation de Crellius et des frères Polonais (on entend bien que c'est-à-dire les sociniens), afin qu'ils puissent continuer à travailler avec succès sur l'Ecriture.

Mais comme on pouvoit croire que cette prévention de Grotius pour les sociniens n'iroit pas à ce qui regarde la divinité de Jésus-Christ, M. Simon demeure d'accord (4) qu'il favorise quelquefois (il falloit dire très-souvent) l'ancien arianisme, ayant trop élevé le Père au-dessus du Fils, comme s'il n'y avoit que le Père qui fút Dieu souverain, et que le Fils lui fút inférieur même à l'égard de la divinité. Il me semble que c'est assez évidemment être

(1) Voy. Dissert. sur Grotius, ci-dessus, tom. 1v.— (2) Sim. p. 803. - (3) P. 804. — (4) P. 805.

arien que d'enseigner de telles choses. Mais Grotius passe encore plus avant, et, continue M. Simon, il a détourné et affoibli, par ses interprétations, le sens de quelques passages (il devoit dire de presque tous, et des principaux et des plus clairs) qui établissent la divinité de Jésus-Christ. Il falloit encore ajouter, qu'il affoiblit la préexistence, puisqu'il détourne jusqu'au passage où Jésus-Christ dit qu'il est avant qu'Abraham eút été fait, qui est celui que M. Simon, quand il veut parler en catholique, regarde comme le plus clair de tous.

Voilà ce que dit M. Simon touchant Grotius; et ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'incontinent après avoir rapporté toutes ces erreurs, il continue en cette sorte (1): nonobstant ces défauts, comme si c'étoient des fautes de rien, on doit lui rendre cette justice, que pour ce qui est de l'érudition et du bon sens, il surpasse tous les autres commentateurs qui

ont écrit avant lui sur le nouveau Testament. S'il ne louoit en lui que l'érudition, cette louange ne tireroit pas à conséquence, et feroit voir seulement que personne n'a plus cité de passages des auteurs sacrés et profanes que Grotius, puisqu'il en est chargé jusqu'à l'excès; mais donner la préférence du bon sens à un homme qui préfère en tant d'endroits et dans les plus essentiels les interprétations ariennes et sociniennes aux catholiques, c'est insinuer trop ouvertement que le bon sens se trouve dans ses interprétations. M. Simon ajoute à tout cela (2) qu'encore que Grotius ne soit pas controversiste, il éclaircit en plusieurs endroits la théolo(1) P. 805. (2) Ibid.

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gie des anciens par de petites dissertations qu'il fait entrer de temps en temps dans ses notes (1). Ces petites dissertations peuvent être, par exemple, si l'on veut, celles où il anéantit le précepte contre l'usure et la doctrine de l'immortalité de l'ame. On pourroit encore remarquer celles où il a si bien éclairci la théologie des anciens, qu'on ne sait plus quel Verbe il a reconnu, si c'est celui de saint Jean et des chrétiens, ou celui des platoniciens et d'un Philon juif. Par ces curieuses dissertations de Grotius, on pourroit douter si le Verbe et le SaintEsprit sont deux personnes distinguées, et en particulier, si le Saint-Esprit est quelque chose de subsistant et de coéternel à Dieu. On y pourroit apprendre aussi que les endroits où Jésus-Christ est appelé Dieu, sont plutôt des manières de parler inventées pour relever Jésus-Christ, que des paroles qu'on doive prendre littéralement. Grotius n'oublie du moins aucun endroit des anciens par où l'on puisse embrouiller cette matière, sans qu'on y puisse trouver une claire résolution de cette question. C'est ce qu'on pourroit démontrer si c'en étoit ici le lieu. Ainsi, louer ces dissertations dans un auteur en qui on fait indéfiniment prédominer le bon sens, et à qui on donne la gloire d'avoir éclairci la théologie des anciens, c'est, non-seulement induire les simples en erreur, mais encore tendre des piéges aux demi

savans.

(1) Grot. in Luc. vi. 36. In Gen. 11. 7. Job. xxxiv. 14. In Eccles. XII. 7. In Sap. x1. 2. In Luc. xx. 38. In Marc. xxviii. In Joan. 1.

CHAPITRE XXII.

L'auteur entre dans les sentimens impies de Socin, d'Episcopius et de Grotius, pour anéantir la preuve de la religion par les prophéties.

PARMI Ces dissertations de Grotius (1), qui ont mérité la louange et l'approbation de M. Simon, il faut compter celle, où parlant des passages de l'ancien Testament dont se servent les évangélistes et les écrivains sacrés, il prétend, comme le récite M. Simon (2), que les apôtres n'ont point eu dessein de convaincre les Juifs par ces seules autorités que Jésus fût le véritable Messie. Car il y en a peu, dit Grotius, qu'ils rapportent à cette fin, et ils se contentent, pour prouver la mission de Jésus-Christ, de sa résurrection et de ses miracles. Voilà en effet le premier sentiment de Grotius, à qui Calovius, dit M. Simon (3), a objecté qu'il rend douteux par cet artifice ce qu'il y a de plus clair dans l'ancien Testament en faveur du Messie.

Il n'y a rien de plus juste que cette censure de Calovius. Cependant après l'avoir considérée, M. Simon passe par-dessus, en approuvant le sentiment de Grotius, qui prétend que ces passages sont allégoriques; c'est-à-dire, qu'ils ont un double sens, qui leur ôte la force de prouver, et ensuite qu'ils ne sont propres qu'à confirmer dans la foi ceux qui y

(1) Le fond de tout ce qui est dit dans ce chapitre se trouve dans la Dissert. sur Grotius, tom. iv. p. 472, et suiv.

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