Images de page
PDF
ePub

autres ouvrages qui demandent de la grandeur; et en particulier ses cinq oraisons, ou comme les appellent les anciens, ses cinq livres contre les ariens, surtout le troisième, sont des chefs-d'œuvre d'éloquence aussi bien que de savoir. Enfin, soit qu'il traite des dogmes, comme dans ces cinq oraisons, soit qu'il s'étende sur les faits, tels que sont dans ses apologies, la violence d'un Syrien, la sourde persécution de Constance, les tragédies des ariens sur le calice rompu, la profanation des autels, le bannissement du pape Libère, d'Hosius et de tant d'autres saints, le sien propre et les calomnies dont on se servoit pour rendre sa personne odieuse, on le trouve toujours le même. Un des plus grands critiques qui fut jamais, c'est Photius (1), qui admire partout non-seulement la grandeur des pensées et la netteté de l'élocution que M. Simon ne conteste pas; mais encore dans l'expression et dans le style, l'élégance avec la grandeur, la noblesse, la dignité, la beauté, la force, toutes les grâces du discours, la fécondité ou l'abondance, mais sans excès, to yóvipov, τὸ ἀπέριττον, la simplicité avec la véhémence et la pro`fondeur, c'est-à-dire, tout ce qui compose le sublime et le merveilleux; à quoi il faut ajouter dans les matières épineuses et dialectiques, l'habileté de ce Père à laisser les termes de l'art pour prendre en vrai philosophe poops, la pureté des pensées avec tous les ornemens et la magnificence convenable μεγαλοπρε Ts, voilà ce qu'on trouvera dans Photius. Mais ces beautés ne se prouvent pas par témoins, à qui n'a pas le sentiment pour les goûter; et je soutiens à

(1) Phot. Bibl. cod. CXL.

BOSSUET. v.

15

M. Simon, le prince des critiques de nos jours, que, qui que ce soit qu'il ait copié dans l'endroit où il a jugé de saint Athanase, il faut non-seulement être insensible à toutes les beautés du style, mais encore avoir ignoré le fond de la langue grecque, pour ne sentir pas dans ce grand homme, avec la force et la richesse de l'expression, cette noble simplicité qui fait les Démosthènes. Voilà donc sans contestation, et du commun consentement des connoisseurs, le vrai caractère de saint Athanase, à qui on voudroit donner en partage un style qui n'a rien de grand ni d'élevé, et la netteté tout au plus.

J'avoue que ce n'est pas un fort grand malheur de ne pas discerner les styles, ou même de ne pas savoir beaucoup le grec, quand on ne se pique pas d'y être maître, et qu'on ne prétend pas au premier rang de ceux qui savent les langues et la critique; mais lorsqu'on se fait valoir par une science d'un si bas ordre, jusqu'à croire par son moyen acquérir le droit de prononcer sur la foi et de mépriser les saints Pères, c'est aux prélats de l'Eglise à rabattre cet orgueil, et à montrer combien la critique est inhabile à pénétrer la théologie, puisqu'elle se trompe si grossièrement sur son propre sujet, qui est la finesse des langues et la connoissance des styles.

A CHAPITRE XIII.

M. Simon avilit saint Chrysostome, et le loue en haine de saint Augustin.

LA louange des homélies et du style de saint Chrysostôme (1) feroit honneur à M. Simon, si on n'y trouvoit trop visiblement une affectation d'élever ce Père pour déprimer saint Augustin, que sa doctrine sur la grâce de Jésus-Christ lui rend odieux. C'est un éloge assez surprenant des homélies de saint Chrysostôme, d'avoir mis la principale partie de l'effet qu'elles produisirent sur l'esprit de ses auditeurs, en ce qu'il ne leur parloit point de gråce efficace, comme si c'étoit une erreur de prêcher, cette grâce qui tourne les cœurs où elle veut, et comme si saint Paul eût affoibli sa prédication en exhortant si souvent les fidèles à la demander. Quelle grâce ce grand apôtre demandoit-il pour les Corinthiens, lorsqu'il disoit ces paroles: Nous prions Dieu que vous ne fassiez aucun mal (2), sinon celle qui les empêchoit effectivement de commettre le péché, et qui les délivroit avec un effet très-certain d'un si grand mal? Saint Chrysostôme n'avoit pas besoin d'une louange, où sous prétexte de lancer un trait contre saint Augustin, on le fait lui-même contraire à saint Paul.

C'est encore dans le même esprit que le même M. Simon parle en ces termes (3) : Si l'on compare

(1) P. 155. — (2) II. Cor. XIII. 7. — (3) P. a5o.

les homélies de saint Chrysostome avec ces discours de saint Augustin (sur saint Jean), on remarquera une très-grande différence entre ces deux savans évéques. Le premier évite toujours les allégories, et les pensées trop subtiles: saint Augustin, au contraire, les affecte presque partout, et l'on ne voit pas même quelquefois où il veut aller. Je ne veux ici remarquer que le faux zèle du critique pour saint Chrysostôme. Il évite toujours, dit-il, les allégories. Si c'est en cela qu'on le préfère à saint Augustin, rien n'empêche qu'on ne le fasse en même temps plus sage que saint Paul. Pour ce qui est des subtilités, lorsqu'il les fait toutes éviter à saint Chrysostôme, il oublie ce qu'il dit lui-même (1), que les réflexions de saint Chrysostôme sur un passage de saint Paul sont fort subtiles; que s'il se sauve par le trop, c'étoit à lui à montrer par quelque chose d'un peu d'importance dans saint Augustin, en quoi étoit ce trop de subtilité, qui fait qu'on ne voit pas quelquefois où il veut aller. Autrement nous condamnerons la témérité d'un censeur qui parle sans preuves comme s'il disoit des oracles, et nous prendrons l'aveu qu'il nous fait de ne pouvoir suivre saint Augustin, pour un témoignage de son ignorance.

Au reste, quelque favorable qu'il semble être à saint Chrysostôme, il a son coup comme les autres, et l'ongle de notre critique ne l'épargne pas. En parlant de ses homélies sur saint Matthieu, qui sont son chef-d'œuvre Si, dit-il (2), on n'y apprend pas le sens littéral du texte de saint Matthieu, l'on voit au moins quelle étoit la doctrine de son temps. (1) P. 189. (2) P. 151.

[ocr errors]
[ocr errors]

Voilà une belle ressource à qui veut qu'on lui explique la lettre, qui est pourtant ce qu'on cherche dans saint Chrysostôme. Quand il excuse un peu après ses digressions morales, sur la nature des discours qu'on fait au peuple, il ne le rend pas pour cela plus foncièrement littéral; et quand il ajoute encore, qu'il n'y a aucun écrivain ecclésiastique qui se soit attaché autant dans ses homélies à expliquer la lettre de l'Ecriture, ce n'est pas dire qu'il s'y attachât beaucoup; mais que les autres écrivains ecclésiastiques ne s'y attachoient guère, et qu'en tout cas, en s'y attachant, ils réussissoient fort peu à la faire entendre; puisqu'avec saint Chrysostôme, qui s'y attachoit le plus, on ne l'entend pas. Voilà comme la dent venimeuse de notre critique répand le mépris sur tous les Pères, en commençant par les grecs qu'il fait semblant d'estimer.

CHAPITRE XIV.

Hilaire diacre et Pelage l'hérésiarque préférés à tous les anciens commentateurs, et élevés sur les ruines de saint Ambroise et de saint Jérôme.

POUR venir aux interprètes latins, M. Simon est de si bon goût, qu'il ne paroît estimer véritablement que le diacre Hilaire, schismatique luciférien, et Pélage l'hérésiarque. Voici ce qu'il dit d'Hilaire (1): Sixte de Sienne a donné en peu de mots la véritable idée de ses Commentaires sur saint Paul, quand il dit, qu'ils sont à la vérité courts pour ce qui est des

(1) P. 134.

« PrécédentContinuer »