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que l'on commence à pouvoir ce que l'on ne pouvoit pas, parce que l'on commence par la grâce à vouloir fortement ce que l'on ne vouloit que foiblement auparavant.

Il ne faut pas prendre ces sentimens de saint Augustin comme des réflexions qui lui soient venues long-temps après, lorsqu'il écrivit ses confessions, mais comme l'expression de ce qu'il sentoit, lorsqu'il étoit encore sous la main d'un Dieu convertissant. C'est pourquoi il raconte que dès-lors attiré à la continence, il se disoit à lui-même devant Dieu (1) : Quoi, tu ne pourras pas ce qu'ont pu ceux-ci et celleslà? Est-ce que ceux-ci et celles-là le peuvent par eux-mêmes, et non pas par le Seigneur leur Dieu ? Le Seigneur leur Dieu m'a donné à eux ( et veut que je sois de leur nombre); pourquoi est-ce que tu t'appuies sur toi-même, et que par-là tu demeures sans appui? Jettes-toi entre les bras de Dieu : ne crains rien, il ne se retirera pas afin que tu tombes : jettestoi sur lui avec confiance, il le recevra el te guérira. Tout cela, qu'étoit - ce autre chose qu'une pleine confession de la grâce de Jésus-Christ? C'est pourquoi, en reconnoissant d'où lui venoit cette liberté qui l'affranchissoit tout à coup de tous les liens de la chair et du sang, il s'étonnoit, dit-il (2), de voir sortir son libre arbitre comme d'un abime; non qu'il n'en eût le fond en lui-même, mais parce que celibre arbitre n'étoit parfaitement et véritablement libre, que depuis qu'affranchi par la grâce à laquelle il s'étoit abandonné, il avoit commencé à baisser la tête sous le joug de Jésus-Christ.

(1) Lib. VIII. c. XII. n. 27. · - (2) Lib. Ix. c. I. n. 1.

Dieu lui fit donc expérimenter, comme à un autre Paul, la puissance de sa grâce, parce qu'il en devoit être, après cet apôtre, le second prédicateur; et afin qu'on ne doute pas qu'il n'en eût dès-lors compris tout le fond, il dit lui-même (1) qu'en lisant alors l'Ecriture sainte, il commença à y remarquer une parfaite uniformité, en sorte que les vérités qu'il y avoit lues d'un côté, de l'autre lui paroissoient dites à la recommandation de la grâce, afin, dit-il, ổ Seigneur, que celui qui les voit ne se glorifie pas en lui-même, comme si c'étoit un bien qu'il n'eût pas reçu; mais qu'il entende au contraire qu'il a reçu non-seulement le bien qu'il voit, mais encore le don de le voir, qui est le fruit consommé de la doctrine de la grâce.

CHAPITRE XII.

Saint Augustin dans ses premières lettres et dans ses premiers écrits a tout donné à la grâce : passages de ce Père dans les trois livres du libre arbitre : passage conforme à ceux-là dans le livre des Mérites et de la Remission des péchés. Reconnoissance que la doctrine des livres du libre arbitre étoit pure par un passage des Rétractations, et un du livre de la Nature et de la Gráce.

Ce qui paroît dans ses premiers livres, paroît par la même raison dans ses premières lettres, puisque dès les commencemens on lui voit demander à Dieu pour la famille d'Antonin, non- seulement le progrès des bonnes œuvres, mais, ce qu'il y a d'essen

(1) Lib. vii. c. XXI.

tiel dans cette matière, la vraie foi, la vraie dévotion, qui ne peut être que la catholique (1).

Saint Augustin remarque souvent que l'action de grâces qu'on rend à Dieu pour avoir bien fait, est, avec la prière, la preuve complète de la grâce prévenante de Jésus-Christ; puisque, comme ce seroit une moquerie de demander à Dieu ce qu'il ne donneroit pas, c'en seroit une autre de lui rendre grâces de ce qu'il n'auroit pas donné (2). Mais saint Augustin ne connoît pas moins l'action de grâces, qui répond à la prière, qu'il a connu la prière même, lorsqu'avant que d'être élevé à la prêtrise il écrit à Licentius (3): Allez et apprenez de Paulin combien abondant est le sacrifice de louange et d'actions de graces qu'il rend à Dieu, en lui rapportant tout le bien qu'il en a reçu, de peur de tout perdre, s'il ne le rendoit à celui de qui il le tient.

Il ne faut donc pas s'étonner, si dans ses trois livres du libre arbitre, qu'il composa aussitôt après sa conversion, étant encore laïque, ce grand homme, en soutenant contre les manichéens la liberté naturelle à l'homme, ne laisse pas de parler correctement de la grâce, comme il le remarque lui-même dans la rétractation de cet ouvrage. Car dit-il (4), j'ai expliqué dans le second livre, que non-seulement les plus grands biens, mais encore les plus petits, ne pouvoient venir que de Dieu, qui est l'auteur de tout bien; ce qu'en effet il a enseigné au chap. xix de ce livre ; et il rapporte

(1) Epist. xx. al. cxxvI.—(2) De don. persev. cap. 11. n. 3. (3) Ep. XXVI. al. XXXIX. n. 5.. (4) Lib. 11. c. XIX, XX. Retract. l. 1. c. 1x. n. 4.

comme un

tout au long les passages de ce chapitre et du xx.", où après avoir fait la distinction des grands biens, des moyens et des petits qui se trouvent dans l'homme, et avoir établi que les plus grands ne pouvant être ni ceux du corps, qui sont au-dessous de l'ame, ni dans l'ame le libre arbitre, dont nous pouvons bien et mal user, mais uniquement la vertu, c'est-à-dire, comme il l'explique, le bon usage du libre arbitre dont personne n'use mal, il conclut que ce dernier genre de bien, c'està-dire le bon usage du libre arbitre, est d'autant plus de Dieu, qu'il est le plus excellent de tous, et qu'il participe plus de la nature du bien que les deux autres d'où il infère encore, : corollaire d'une si belle doctrine, qu'il ne peut se présenter aucun bien, ni à nos sens, ni à notre intelligence, ni en quelque manière que ce soit à notre pensée, qui ne nous vienne de Dieu. Voilà les paroles que saint Augustin dans son premier livre des Rétractations (1) cite de son second livre du libre arbitre, et après avoir encore tiré du troisième, chap. xviii et xix, un passage qui n'est pas moins beau, il finit ainsi la rétractation de cet ouvrage Vous voyez, dit-il (2), que long-temps devant les pélagiens, nous avons traité cette matière comme si nous eussions dès-lors disputé contre eux, puisque nous avons établi que le bon usage du libre arbitre, qui n'est autre chose que la vertu, étant du nombre des grands biens, il ne pouvoit par conséquent venir que de Dieu seul.

C'est donc lui-même qui nous dit que dès-lors

(1) I. Retract. c 1x. n. 5. — (2) Ibid. n. 6.

que

il avoit pleinement connu le don de la grâce, puismême il l'établissoit sur le principe le plus général qu'on pût prendre pour l'établir, en le fondant sur le titre même de la création, par lequel Dieu est la cause de tout bien en l'homme, à même raison qu'il l'est de tout l'être, selon les divers degrés avec lesquels on le peut participer.

Et c'est si bien là un des grands principes dont saint Augustin se sert contre les pélagiens, qu'il le répète sans cesse, et en particulier très-amplement dans le second livre des Mérites et de la Rémission des péchés (1), comme il paroît par ces paroles « Si l'on dit que la bonne volonté vient » de Dieu, à cause que c'est Dieu qui a fait l'homme, » sans lequel il n'y auroit point de bonne volonté, » on pourra par la même raison attribuer à Dieu » la mauvaise volonté, qui ne seroit pas non plus » que la bonne, si Dieu n'avoit pas fait l'homme; » et ainsi, à moins que d'avouer que non-seulement » le libre arbitre, dont on peut bien et mal user, » mais encore la bonne volonté, dont on n'use » jamais mal, ne peut venir que de Dieu, je ne >> vois pas qu'on puisse soutenir ce que dit l'apôtre : » Qu'AVEZ-VOUS que vous n'ayez point reçu? que si >> notre libre arbitre, par lequel nous pouvons » faire le bien et le mal, ne laisse pas de venir » de Dieu, parce que c'est un bien, et que notre >> bonne volonté vienne de nous-mêmes, il s'en» suivra que ce qu'on a de soi-même vaudra mieux » que ce qu'on a de Dieu, ce qui est le comble » de l'absurdité, que l'on ne peut éviter qu'en (1) Lib. 11. de pecc. mer. et rem. c. XVIII.

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