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>> reconnoissant que la bonne volonté nous est » donnée divinement », c'est-à-dire, de Dieu même. Voilà comment saint Augustin disputoit contre les pélagiens voilà comment il avoit disputé si long-temps auparavant contre les manichéens; et il a eu raison de nous dire qu'il avoit dès-lors aussi vigoureusement soutenu la grâce de Dieu, que s'il eût eu à la soutenir contre Pélage présent.

Et il remarque très-bien dans ses Rétractations, que la grâce qu'il soutenoit dans les trois livres du libre arbitre, étoit la véritable grâce; c'est-à-dire, celle qui n'est pas donnée selon les mérites (1); par où il marque toujours et contre les pélagiens et contre les semi-pélagiens la notion de la grâce, par laquelle les uns et les autres sont également confondus. Il dit donc de cette grâce dans ses Rétractations, que s'il n'en a pas parlé davantage dans ses livres du libre arbitre, c'est qu'il n'en étoit pas question alors (2); et néanmoins il ajoute, non-seulement qu'il ne l'y a pas entièrement oubliée, NON OMNINO RETICUIMUS (3); mais encore, qu'il l'a défendue comme il eût pu faire contre Pélage.

Il dit dans les mêmes livres des Rétractations (4), que c'est en vain que les pélagiens lui vouloient faire accroire qu'il étoit pour eux; et pour montrer combien il est ferme dans ce jugement qu'il porte sur ses livres du libre arbitre, il dit encore dans le livre de la Nature et de la Grâce, que dans ces livres du libre arbitre, il n'a point anéanti

(1) Vid. Lib. de don. persev. c. VI, XII. et tot. L. Retract 1. c. IX. n. 3, 4. -- (2) Ibid. n. 2. --- (3) Ibid. n. 6. - (4) Ibid. n. 3, 4.

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la grace de Dieu, NON EVACUAVI GRATIAM DEI (1): ce qu'on fait toujours selon lui, lorsqu'on n'en reconnoît pas la prévention, et qu'on croit qu'elle est donnée selon les propres mérites, ou des œuvres, ou de la foi même.

CHAPITRE XIII.

Réflexions sur ce premier état de saint Augustin: passage au second, qui fut celui où il commença à examiner, mais encore imparfaitement, la question de la gráce: erreur de saint Augustin dans cet état, et en quoi elle consistoit.

CETTE discussion est plus importante qu'on ne le pourroit penser d'abord, puisqu'elle sert non-seulement à éclaircir un fait particulier sur les progrès de saint Augustin, mais encore à condamner la fausse critique de Grotius et de M. Simon, qui en tirent un argument contre l'Eglise, en insinuant que les sentimens dont ce Père s'est corrigé, comme d'une erreur, sont ceux que l'on prend naturellement dans l'Eglise même, comme les plus anciens et les plus droits. On voit au contraire par l'exemple de saint Augustin, que les premiers sentimens qu'on prend dans l'Eglise, et qu'on exprime principalement par la prière, sont ceux de la prévention de la grâce qui nous convertit.

Tel a été le langage de saint Augustin, lorsque plein de l'esprit de grâce qu'il avoit reçu dans sa (1) Cap. LXVII.

conversion

conversion et dans le baptême, et des premières impressions de la foi, ce n'étoit pas tant lui qui parloit, que, pour ainsi dire, la foi de l'Eglise, et l'esprit de la tradition qui parloit en lui, conformément à cette parole: CREDIDI PROPTER QUOD LOCUTUS SUM, j'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé, comme l'interprète saint Paul (1); j'ai parlé selon l'esprit de la foi, qui est le même dans toute l'Eglise j'ai parlé naturellement comme je croyois. C'étoit donc là le premier état, qui précède toutes les recherches, et qui est celui du simple fidèle plutôt que celui du docteur; ou si l'on veut dire que saint Augustin parloit de la grâce en grand docteur, comme en effet ce qu'on vient d'entendre lui méritoit dès-lors un des premiers rangs dans cet ordre, il faut dire que ce docteur voyoit plutôt le fond du mystère qu'il n'entroit dans le détail des difficultés; en sorte que ses connoissances, quoique pures, n'étoient pourtant pas encore assez affermies pour soutenir le choc des objections.

De cet état il alla au second, où il commença, mais encore imparfaitement, à examiner la matière; ce qu'il fit à l'occasion de ses premières expositions sur l'épître aux Romains et aux Galates. Ce fut alors qu'il tomba premièrement dans l'embarras, et ensuite, comme il arrive naturellement, dans l'erreur. Car n'ayant pu démêler d'abord ce qu'il falloit croire du profond mystère de la prédestination, dont la source est une bonté toute gratuite, comme l'enseigne constamment la foi catholique, il tomba, mais comme en passant, dans cette erreur, que la

(1) II. Cor. IV. 13.

BOSSUET. V.

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foi par laquelle nous impétrons les autres dons, n'étoit pas elle-même un don de Dieu, mais nous venoit comme de nous-mêmes (1); et cela, dit-il (2), c'étoit avouer que la grâce étoit donnée selon les mérites; puisque le reste des dons de Dieu étoit accordé au mérite de la foi que nous avions de nous-mêmes; ce qui étoit manifestement nier la gráce, parce qu'elle n'est plus grâce, si elle n'est pas donnée gratuitement (3), comme le même saint Augustin ne cesse de le répéter.

CHAPITRE XIV.

Saint Augustin ne tomba dans cette erreur, que dans le temps où il commença à étudier cette question, sans l'avoir encore bien approfondie.

On voit donc en quoi consistoit l'erreur que ce Père a rétractée, et il en marque la source par ces paroles (4): Je n'avois point, dit-il, assez considéré ni encore trouvé, NONDUM DILIGENTIUS QUÆSIVERAM NEC ADHUC INVENERAM, quelle est cette élection de la grâce dont saint Paul a dit: LES RESTES SERONT SAUVÉS PAR L'ÉLECTION DE LA GRACE, ni quelle est cette miséricorde que nous obtenons avec le même apôtre, non parce que nous sommes fidèles, mais afin que nous le soyons, ni quelle est cette vocation selon le décret de Dieu, SECUNDUM PROPOSITUM, que le même apôtre nous enseigne: Sentiment, poursuit ce saint docteur (5), où je vois encore nos frères

. (2) Ibid. c. 11. —

(1) I. Retract. c. xxш. n. 2. de præd. SS. c. 111. — (3) De don. pers. l. xx. · (4) Loc. jam cit. — (5) De præd. SS. c. 1v.

(ce sont les semi-pélagiens), parce qu'en lisant mes livres, ils n'ont pas pris soin de profiter avec moi.

Nous apprenons de saint Prosper (1) que ses adversaires, c'est-à-dire, les marseillois et les semipélagiens, prirent avantage de ce changement; et encore aujourd'hui de mauvais critiques en tirent un argument contre sa doctrine. Mais les papes et toute l'Eglise a été édifiée de cette humilité de saint Augustin, qui sans chercher de détours, ni penser à s'excuser lui-même, ce qu'il auroit bien pu faire, s'il s'étoit abandonné à cet esprit qui explique et excuse tout, a confessé si franchement son erreur; et, ce qu'il ne faut pas oublier, l'a confessée comme une erreur et un sentiment condamnable : DAMNABILEM SENTENTIAM; et encore, j'étois, dit-il (2), cette erreur; et enfin, j'errois comme eux.

dans

CHAPITRE XV.

d'at

Saint Augustin sort bientôt de son erreur par le peu tachement qu'il avoit à son propre sens, et par les consultations qui l'obligèrent à rechercher plus exactement la vérité: réponse à Simplicien : progrès naturel de l'esprit de ce Père, et le troisième état de ses connois

sances.

Un homme si humble ne demeura pas long-temps dans l'erreur, et s'il erroit, comme il n'en faut pas douter, puisqu'il l'avoue, c'étoit sans attachement à son sentiment, puisqu'il s'en désabusa de lui-même, en lisant persévéramment l'Ecriture sainte et en

(1) Epist. ad Aug. — (2) De præd..SS. cap. 11, 11.

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