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ses mains un ouvrage où manquât l'honnêteté. Quel-
ques interprètes, par une sorte de honte, avoient
adouci ce mot de saint Paul, et Julien se servoit de
leur timide interprétation, pour affoiblir la pensée
de cet apôtre, et cacher à l'homme pécheur l'inévi-
table déshonnêteté de sa nature corrompue; mais
saint Augustin ne craint point, dans une occasion
si pressante, de lui mettre devant les yeux toute la
force du mot grec άoxμova, qu'il faut traduire avec
la Vulgate INHONESTA, déshonnête, ce qu'il prouve
par ce que l'apôtre oppose à ce mot ce qu'il ap-
pelle vanocny, HONESTATEM, l'honnêteté : et en-
core ivexμova, HONESTA, honnétes; et après avoir
ευσχήμονα,
tiré tous ces avantages du texte grec, il fait voir en-
core à Julien que même, sans considérer la force
du

grec, NULLA GRÆCORUM CONSIDERATIONE VERBOKUM, la seule suite du discours de saint Paul eût dû lui faire sentir combien l'homme devoit rougir du désordre que le péché a mis dans son corps. Il procède avec la même méthode dans le dernier ouvrage contre Julien (1), où après avoir établi le sens véritable de saint Paul par le texte grec, il prouve par la nature de la chose même, qu'en effet il faut reconnoître cette déshonnêteté dans le corps humain, depuis que nos premiers Pères furent obligés de le couvrir. Voilà ce qu'on appelle triompher et s'élever en sublime théologien, au-dessus des langues, sans perdre les avantages qu'on en peut tirer.

Saint Paul avoit fait voir le désordre de la concupiscence de la chair, en l'appelant яádos éñiĴvμías (2), ce que quelques-uns ont traduit comme la Vulgate

(1) Op. imp. l. iv. n. 36. col. 1152. — (2) I. Thessal. iv. 5.

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PASSIO DESIDERII, la passion du désir ou de la concupiscence, et les autres, peut-être plus profondément, MOKBUS DESIDERII', la maladie de la concupiscence (1). S. Augustin remarque la force du mot grec ráðos, qui sans doute signifie très-bien une maladie, et encore plus expressément, si je ne me trompe, une maladie habituelle; c'est-à-dire, le plus mauvais genre de maladie ; et s'élevant, selon sa coutume, au-dessus de ces disputes de grammaire, il montre, et en cet endroit et ailleurs, non-seulement par la suite du passage de saint Paul, mais encore par tous les principes du christianisme, que de quelque façon qu'on veuille traduire le pathos de saint Paul, on ne peut s'empêcher de reconnoître qu'on le doit prendre en mauvaise part, et que c'est une véritable maladie.

On dira qu'il ne faut pas être fort savant en grec pour dire ces choses. J'en conviens; car qu'on n'aille pas s'imaginer que je veuille louer saint Augustin comme un grand grec, ou le relever par la science des mots qu'il a estimée, mais en son rang; c'està-dire, infiniment au-dessous de la science des choses. J'avoue donc qu'il ne savoit pas parfaitement le grec; si l'on veut, qu'il n'en savoit pas beaucoup; et c'est de là aussi que je conclus que sans peut-être en savoir beaucoup, on peut abattre ceux qui le savent très-bien, mais qui en abusent, sans leur lais

ser aucune ressource.

Julien savoit le grec, et mieux, à ce qu'on prétend (2), que saint Augustin. J'en doute: je ne le crois pas; mais après tout, que nous importe ? puisque ce Père en savoit assez pour dire à Julien, sans

(1) De nupt. et conc. l. 11. c. XXXIII.

-

- (2) P. 285.

se tromper: Je suis fáché que vous abusiez de l'ignorance de ceux qui ne savent pas le grec, et que vous ne respectiez pas le jugement de ceux qui le savent (1). Sans atteindre à la perfection de la science des langues, je ne dis pas un saint Augustin, un si grand génie, mais tout homme judicieux et de bon esprit, peut, en écoutant ceux qui les savent, et en profitant de leurs travaux, et enfin, par tous les secours qu'on a dans les livres, arriver à prendre le goût des langues originales, et entendre les propriétés de leurs mots jusqu'à un degré suffisant, non-seulement pour comprendre, mais encore pour soutenir invinciblement la vérité. C'est ce qu'a fait saint Augustin. Il ne faut que voir comment il s'est servi du travail de saint Jérôme sur l'hébreu, et comment il en a tiré des avantages que saint Jérôme lui-même pourroit n'avoir point tirés; et nous pouvons assurer qu'aucun de ceux qui ont su le grec et l'hébreu, n'ont mieux défendu que saint Angustin, l'ancien et le nouveau Testament, et la doctrine qu'ils contiennent. Nous serions bien malheureux, si pour défendre la vérité et la légitime interprétation de l'Ecriture, surtout dans les matières de foi, nous étions à la merci des hébraïsans ou des grecs, dont on voit ordinairement en toute autre chose le raisonnement si foible; et je m'étonne que M. Simon, qui fait tant l'habile, ait l'esprit si court, qu'il veuille faire dépendre la perfection de la victoire de l'Eglise sur les pélagiens, de la connoissance du grec.

(3) L. v. cont. Jul. c. 11. n. 7. p. 629.

CHAPITRE VI.

Suite des avantages que saint Augustin a tirés du texte grec contre Julien.

MAIS je vois où M. Simon nous veut mener. Il veut dire que saint Augustin n'a pas eu assez de savoir pour approuver les interprétations favorables aux Pélagiens que ce critique entreprend de soutenir. Par exemple, il veut établir que l'explication du passage de saint Paul, IN QUO OMNES PECCAVERUNT, en qui tous les hommes ont péché, n'est pas certaine, et qu'il lui faut préférer, ou lui égaler du moins celle de Pélage, qui soutient qu'in quo veut dire quatenus ou eò quòd; en sorte que l'intention de saint Paul soit de dire, non que tous les hommes. aient péché en Adam, ce qui est le sens catholique; mais que tous les hommes, du moins les adultes, aient péché en l'imitant, qui est le sens de Pélage. Nous aurons bientôt à parler de cette pensée téméraire autant qu'ignorante, qui ne tend qu'à favoriser les pélagiens; mais nous dirons en attendant à M. Simon que, si saint Augustin n'a pas approuvé cette mauvaise interprétation, ce n'est pas faute d'avoir vu que le grec se pouvoit tourner à la manière que le critique voudroit introduire (1). Car il l'a vu et l'a rapportée tout du long dans son livre à Boniface; mais il l'a aussi réfutée si solidement, non par la force du mot, mais par les raisons du fond, qu'il y aura sujet de s'étonner, quand nous serons

(1) Cont. duas Epist. Pelag. l. iv. c. iv. n. 7. p. 472.

au lieu de les proposer, comment M. Simon a osé prendre en tant d'endroits le parti contraire.

Il est bien aisé de pouvoir dire qu'il est difficile d'excuser ici la négligence de saint Augustin, qui n'a point consulté le texte grec (1); ce qui est cause qu'il n'a pas songé d'abord qu'il falloit rapporter in quo, non point au péché, qui est féminin en grec, mais à Adam même. Il est vrai qu'il n'avoit pas d'abord consulté le grec, mais il le consulta bientôt après M. Simon le reconnoît (2), et il paroît qu'il le consulta de lui-même, sans que Julien ou quelqu'autre de ses adversaires l'en ait averti : mais ce qui paroît encore, c'est qu'avant qu'il le consultât, il avoit déjà si bien pris l'esprit de l'apôtre et le fond de son sentiment, par la seule suite du discours, que les pélagiens étoient confondus; en sorte qu'il a soutenu la véritable traduction de cet endroit de saint Paul, avec une parfaite connoissance de la vérité (3). Voilà les négligences de saint Augustin, qui font plaisir à un vain critique, mais dont les esprits solides ne s'émeuvent pas.

Ce saint docteur n'a pas moins fait paroître l'attention qu'il avoit au texte original, en examinant cet autre important passage du même saint Paul : Regnavit mors ab Adam, etc. (4). Car il rétablit, par le texte grec, la négative très-nécessaire qui manquoit à un grand nombre de livres latins; et en même temps il affermit, selon sa coutume, la véri

(1) P. 286..

n. 10. p. 7.

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(2) Loco jam cital. (3) De peccat. mer. lib. 1. c. 1x. (4) De peccat. mer. lib. 1. c. x1. n. 13. p. 8. cont. Jul.

l. vi. c. iv. n. 9. p. 666. l. 11. op. imp. p. 1028 et seq. imp. p. 1033 et 1038.

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