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CHAPITRE IV.

Troisième principe: un ou deux Pères célèbres de l'Eglise d'Orient suffisent pour en faire voir la tradition.

Le troisième pour en venir aux Orientaux, que saint Augustin n'estimoit pas moins que les Latins; c'est que pour en savoir les sentimens, il n'étoit pas nécessaire de citer beaucoup d'auteurs. Il se contente d'abord de saint Grégoire de Nazianze, dont les discours, dit-il (1), célèbres de tous côtés par la grande grace qu'on y ressent, ont été traduits en latin; et un peu après : Croyez-vous, dit-il, que l'autorité des évêques orientaux soit petite dans ce seul docteur? Mais c'est un si grand personnage, qu'il n'auroit point parlé comme il a fait (dans les passages qu'il en avoit produits pour le péché originel) s'il n'eût tiré ce qu'il disoit des principes communs de la foi que tout le monde connoissoit, et qu'on n'auroit pas eu pour lui l'estime et la vénération qu'on lui a rendue, si l'on n'avoit reconnu qu'il n'avoit rien dit qui ne vínt de la règle même de la vérité, que personne ne pouvoit ignorer. Voilà comment, loin de diviser les auteurs ecclésiastiques, saint Augustin faisoit voir, que ne pouvant pas être contraires dans une même Eglise et dans une même foi, un seul docteur, éminent par sa réputation et par sa doctrine, suffisoit pour faire paroître le sentiment de tous les autres.

(1) Cont. Jul. l. 1. c. v. n. 15, 16.

Néanmoins, par abondance de droit, il y joint encore saint Basile, et après il conclut ainsi (1): En voulez-vous davantage? n'êtes-vous pas encore content de voir paroître du côté de l'Orient deux hommes si illustres et d'une sainteté si reconnue ? et il fait sentir clairement que ce seroit être déraisonnable que d'en exiger davantage.

CHAPITRE V.

Quatrième et dernier principe: le sentiment unanime de l'Eglise présente suffit pour ne point douter de l'Eglise ancienne : application de ce principe à la foi du péché originel: réflexion de saint Augustin sur le concile de Diospolis en Palestine.

Il résout, par la même règle et avec la même méthode, l'objection qu'on lui faisoit sur saint Chrysostôme, et il conclut que ce Père ne peut pas avoir pensé autrement que tous les autres docteurs; mais avant que d'en venir à cette application, il faut produire le quatrième principe de la méthode de saint Augustin.

Pour juger donc des sentimens de l'antiquité, le quatrième et dernier principe de ce saint est, que le sentiment unanime de toute l'Eglise présente en est la preuve; en sorte que connoissant ce qu'on croit dans le temps présent, on ne peut pas penser qu'on ait pu croire autrement dans les siècles passés. C'est pourquoi saint Augustin, après avoir fait à Julien la demande qu'on vient de voir sur saint

(1) Cont. Jul. l. 1. c. v. n. 19.

Grégoire de Nazianze et saint Basile: En voulezvous davantage, dit-il (1), ne vous suffisent-ils pas ? il ajoute : Mais dites qu'ils ne suffisent pas; poussez votre témérité jusque-là, nous avons quatorze évéques d'Orient, Euloge, Jean Ammonien, et les autres, dont le concile de Diospolis en Palestine, avoit été composé, qui auroient tous condamné Pélage s'il n'avoit désavoué sa doctrine, qui par conséquent l'avoient condamné et tenoient la foi de tout le reste de l'Eglise, et qui servoient de témoins, non-seulement de la foi de l'Orient, mais encore de celle de tous les siècles passés.

Il étoit bien aisé de tirer cette dernière conséquence, en remarquant avec le même saint Augustin, que si toute la multitude des saints docteurs, répandus par toute la terre, convenoient de ce fondement très-ancien et très-immuable de la foi, on ne pouvoit croire autre chose dans une si grande cause, IN TAM MAGNA causá, où il y va de toute la foi, UBI CHRISTIANÆ RELIGIONIS SUMMA CONSISTIT, sinon qu'ils avoient conservé ce qu'ils avoient trouvé, qu'ils avoient enseigné ce qu'ils avoient appris, qu'ils avoient laissé à leurs enfans ce qu'ils avoient reçu de leurs pères. QUOD INVENERUNT IN ECCLESIA TENUE

RUNT, QUOD didicerunt DOCUERUNT, QUOD A PATRIBUS ACCEPERUnt hoc filiis tradiderunt (2).

Telle est la méthode de saint Augustin: tels sont les principes sur lesquels il l'appuie, recueillis à la vérité de plusieurs endroits du livre contre Julien, mais si suivis, qu'on voit bien qu'ils partent du même esprit.

(1) Cont. Jul. l. 1. c. v. n, 19. — (2) Ibid. c. v11. n. 32, 34.

CHAPITRE VI.

Cette méthode de saint Augustin est précisément la même que Vincent de Lerins étendit ensuite davantage.

C'EST cette même méthode, qui depuis a été plus étendue par le docte Vincent de Lerins. Tout homme judicieux conviendra qu'elle est prise principalement de saint Augustin, contre lequel pourtant on veut dire qu'il l'ait inventé. Quoi qu'il en soit, elle est fondée manifestement sur les principes de ce Père, qu'on vient de voir; et c'est pourquoi, à l'exemple de ce saint docteur, quand il s'agit de prouver que la multitude des Pères est favorable à un dogme, Vincent de Lerins ne croit pas qu'il soit nécessaire de remuer toutes les bibliothèques, pour examiner en particulier tous les ouvrages des Pères. Il le prouve par l'exemple du concile d'Ephèse, où pour établir l'antiquité et l'universalité du dogme qu'on y avoit défini, on se contenta du témoignage de dix auteurs; non, dit Vincent de Lerins (1), qu'on ne pút produire un nombre beaucoup plus grand des anciens Pères; mais cela n'étoit pas nécessaire, parce que personne ne doutoit que ces dix n'eussent eu le même sentiment que tous leurs autres collégues.

Saint Augustin, et les Pères d'Afrique, qui ont condamné Pélage, ont suivi la même méthode que toute l'Eglise embrassa un peu après, pour condamner Nestorius. On se contenta du petit nombre de Pères (1) 11. Comm. p. 367.

que saint Augustin produisoit: on crut entendre tous les autres dans ceux-là: l'unanimité de l'Eglise conduite par un même esprit et une même tradition, ne permit pas d'en douter. S'il y en avoit quelques autres qui semblassent penser différemment, on croyoit, ou qu'ils s'étoient mal expliqués, ou en tout cas qu'il ne falloit pas les écouter. Ainsi sans avoir égard à ces légères difficultés, et sans hésiter, on prononçoit que toute l'Eglise catholique avoit toujours cru la même chose qu'on définissoit alors; et voilà le fruit de la méthode de saint Augustin, ou plutôt de celle de toute l'Eglise, si solidement expliquée par la bouche de ce docte Père.

CHAPITRE VII.

Application de cette méthode à saint Chrysostôme et aux Grecs, non-seulement sur la matière du péché originel, mais encore sur toute celle de la gráce.

APPLIQUONS maintenant cette méthode à saint Chrysostôme et aux Grecs, que l'on prétend différens d'avec les Latins dans la matière de la grâce, et même en ce qui regarde le péché originel. Les règles de saint Augustin, dérivées des principes qu'on a vus, ont été, qu'il n'est pas possible que saint Chrysostôme crût autrement que les autres, dont il venoit de montrer le consentement (1): que la matière dont il s'agissoit, c'est-à-dire, en cette occasion, celle du péché originel (et dans la suite on en dira autant des autres) n'étoit pas de celles (1) L. 1, cont. Jul. c. vi. n. 22.

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