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LIVRE NEUVIÈME.

Passages de saint Chrysostôme, de Théodoret, de plusieurs autres concernant la tradition du péché originel.

CHAPITRE PREMIER.

Passage de saint Chrysostome, objecté à saint Augustin par Julien.

APRÈS que saint Augustin nous a menés par les témoignages, tant de l'Orient que de l'Occident, jusqu'au temps de saint Chrysostôme, qui étoit le seul des Pères qu'on lui objectoit, il vient aux sentimens de ce grand homme, et non content d'avoir démontré par la méthode qu'on a vue, qu'il n'est pas possible que sa doctrine ait dégénéré de celle de tous les autres saints, il répond aux objections qu'on tiroit de ses écrits, et en même temps il prouve à son tour, qu'en effet il a reconnu dans tous les hommes, non-seulement la peine, mais encore la coulpe même du péché d'Adam. Suivons la méthode de ce saint, et proposons avant toutes choses le passage de saint Chrysostôme, que Julien objectoit.

Il étoit tiré d'une homélie sur les néophytes, c'est-à-dire, sur les nouveaux baptisés, que nous n'avons plus; et on y lisoit ces paroles selon la traduction que Julien proposoit (1): « Il y en a qui se

(1) Cont. Jul. l. 1. c. vi. n. 21.

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persuadent que la grâce du baptême consiste » toute dans la rémission des péchés; mais nous » venons d'en raconter dix avantages. C'est aussi » pour cette raison que nous baptisons les enfans,

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quoiqu'ils ne soient point souillés par le péché, » pour leur donner ou leur ajouter la sainteté, la » justice, l'adoption, l'héritage, la fraternité de » Jésus-Christ, l'honneur d'être ses membres, et » d'être la demeure du Saint-Esprit ». La force de ce passage consistoit en ce que saint Chrysostôme sembloit vouloir dire qu'on baptisoit les enfans, non point pour les laver du péché qu'ils n'avoient pas, mais pour leur donner les grâces annexées à ce sa

crement.

CHAPITRE II.

Réponse de saint Augustin: passage de l'homélie qu'on lui objectoit, par où il en découvre le vrai sens.

:

SUR ce passage de saint Chrysostôme, saint Augustin fait trois choses: la première, il corrige la traduction de Julien secondement, il fait voir le sens véritable de saint Chrysostôme en troisième lieu, il prouve ce sens par la suite de l'homélie sur les nouveaux baptisés, qui étoit celle qu'on lui objectoit. Nous commencerons par ce dernier endroit de la réponse, parce qu'il fait voir la solidité des deux autres. Voici donc dans cette homélie les paroles de saint Chrysostôme dont saint Augustin nous rapporte le grec, que nous n'avons plus, et qu'il

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traduit ainsi de mot à mot (1) : Jésus-Christ est venu une fois, il a trouvé notre cédule ou obligation paternelle, CHIROGRAPHUM PATERNUM qu'Adam a écrite : celui-ci a établi le commencement de la dette, nous l'avons augmentée par nos péchés postérieurs : ILle

INITIUM INDUXIT DEBITI, NOS FOENUS AUXIMUS POSTERIORIBUS PECCATIS. Le passage est évident : les termes sont clairs. CHIROGRAPHUM est ici la cédule ou l'obligation pour contracter une dette. Saint Chrysostôme enseigne ailleurs (2), que c'est là naturellement ce que ce mot signifie. La cédule ou obligation paternelle, CHIROGRAPHUM PATERNUM, marque une dette ancienne qui se trouve parmi les effets de la succession; FOENUS signifie en ce lieu, selon l'usage ordinaire, ES ALIENUM, dette. L'intelligence des termes étant supposée, la chose ne reçoit plus de difficulté. Saint Chrysostôme ne parleroit pas des péchés postérieurs qui ont augmenté notre dette, s'il n'en avoit supposé un premier qui l'a commencée. Le terme même de dette signifie péché dans l'usage de l'Ecriture, et nous donnons tous les jours ce nom au péché, lorsque nous disons dans l'Oraison dominicale: DIMITTE NOBIS DEBITA NOSTRA, remettez-nous nos péchés, comme nous les remettons à ceux qui nous doivent. En ce sens nous avons deux sortes de dettes: la première est celle que nous avons contractée dans notre premier père; et la seconde, celle que nous augmentons par nos péchés. Nous sommes des deux côtés redevables à la justice divine. Saint Augustin remarque très-bien de cette première dette, qu'elle est nôtre, et qu'elle est aussi

(1) Cont. Jul. l. 1. c. vI. n. 26. — (2) Hom. vi. in Coloss. 11. 14.

paternelle.

paternelle. Saint Chrysostôme, dit-il, l'appelle nótre, CHIROGRAPHUM NOSTRUM, parce qu'elle nous dela succession: NON CONTENTUS FUIT

vient propre par DICERE PATERNUM CHIROGRAPHUM, NISI ADDERET NOS

TRUM. Elle est aussi paternelle, parce qu'elle nous vient de notre Père, dont nous sommes héritiers, et que c'est, pour ainsi parler, le seul effet de cette malheureuse succession; d'où il s'ensuit qu'il y a en nous, outre nos dettes particulières, une dette, c'est-à-dire, comme on a vu, un péché héréditaire.

CHAPITRE III.

Evidence de la réponse de saint Augustin: en quel sens il a dit lui-même que les enfans étoient innocens.

CE fondement supposé, la réponse de saint Augustin ne souffre point de difficulté; puisqu'ayant prouvé par saint Chrysostôme qu'il reconnoissoit dans les baptisés des péchés postérieurs que nous ajoutons à celui qui nous vient d'Adam, il n'y avoit rien de plus naturel que de croire, lorsqu'il disoit que les enfans n'ont point de péchés, qu'il l'entendoit de ces péchés postérieurs ajoutés au premier. péché par leur volonté, qui étoient ceux qu'en effet les enfans ne pouvoient avoir.

C'est pourquoi saint Augustin avoit beaucoup de raison de corriger la version de Julien, qui au lieu qu'on lisoit dans l'original de saint Chrysostôme, que les enfans n'ont point de péchés au nombre pluriel, quamvis peccata non habentes, traduisoit qu'ils

BOSSUET. V.

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n'étoient point souillés du péché, CUM NON SINT COINQUINATI PECCATO (1); ce qui étoit faire parler saint Chrysostôme bien plus généralement et plus indéfiniment qu'il n'avoit fait.

Il n'y avoit donc rien de plus net que la solution de saint Augustin: il dit (saint Chrysostôme) que les enfans n'ont point de péchés, c'est-à-dire propres, et c'est pourquoi, continue-t-il, nous les`apau sens que saint pelons innocens et avec raison, Paul a dit de Jacob et d'Esau, qu'ils n'avoient fait ni bien, ni mal, et non en celui où il a dit qu'on est pécheur dans un seul (2), par le péché d'autrui, et non par le sien propre.

Et pour entendre à fond cette réponse de saint Augustin (3), il faut savoir qu'il y a une innocence dans les petits enfans, que ce Père a été obligé de défendre contre les pélagiens. Pressés par cette interrogation, pourquoi on baptisoit les enfans en la rémission des péchés, s'ils n'en avoient aucun; plutôt que d'avouer le péché originel avec le reste des chrétiens, ils disoient que les enfans n'étoient pas incapables de pécher par leur propre volonté, et que c'étoit de tels péchés qu'on leur remettoit dans le baptême. Contre cette folle opinion, que l'Eglise ni l'humanité ne connoissoient pas, saint Augustin eut à soutenir en plusieurs endroits, l'innocence des enfans (4), et le langage commun du genre humain, qui les appeloit innocens. Il dit même que saint Cyprien a défendu leur innocence (5), du côté des péchés qu'on peut commettre par sa volonté ; et pour

(1) Cont. Jul. loc. citat. n. 22. — pecc. mer. cap. XXXIV et XXXV. —

(2) Rom. v. 19. (4) Ibid. xvII.—

(3) Lib. 1. de (5) Ibid. xxxv.

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