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CHAPITRE XII.

En passant on note l'erreur de quelques-uns qui mettent le formel ou l'essence du péché originel dans la domination de la convoitise.

C'EST une doctrine commune et très-véritable de l'Ecole, que la concupiscence est le matériel du péché de notre origine. Pour le formel, quelques-uns le mettent en ce que ce déréglement radical est un véritable péché, tant qu'il domine, et qu'il y faut la grâce habituelle et sanctifiante pour l'empêcher de dominer; de sorte que la rémission du péché originel consiste dans l'infusion de la grâce, qui établit le règne de la justice au lieu de celui de la convoitise.

Cette doctrine, quoique spécieuse, est insoutenable dans le fond; puisque si le formel du péché originel étoit le règne de la convoitise, toutes les fois qu'on perd la grâce et que ce règne revient, le péché originel reviendroit aussi, ce qui est contre la foi et contre cette règle de saint Paul, que les dons de Dieu sont sans repentance. Je n'en dirai pas davantage sur une chose si claire; et j'ai voulu seulement en avertir quelques catholiques, qui se laissent aller trop aisément dans le sentiment que je viens de rapporter, pour n'en avoir pas assez vu la conséquence.

CHAPITRE XIII.

En quoi consiste l'essence ou le formel du péché originel et quelle est la cause de la propagation.

Il faut donc dire que la malice, et comme parle l'Ecole, le formel de ce péché de notre origine, c'est d'avoir été en Adam, lorsqu'il péchoit; et la rémission de ce péché, c'est d'être transféré en Jésus-Christ, comme juste et comme auteur de toute justice.

Qu'est-ce qu'avoir été en Adam? notre être, notre vie, notre volonté, avoit été dans la sienne; voilà notre crime. Dieu qui l'avoit fait notre principe, avoit tout mis en lui pour lui et pour nous, et nonseulement la vie éternelle, mais encore celle de la grâce; c'est-à-dire, la sainteté et la justice originelle. Par conséquent, en péchant, il a tout perdu, autant pour nous que pour lui-même. Un des dons qu'il a perdus, c'est l'empire sur ses passions et sur ses sens. Ce désordre, cette révolte des sens étant en lui un effet de son péché, être venu de là, c'est lui être uni comme pécheur. Ainsi tout le genre humain devient en lui un seul criminel. Dieu le punit en nous tous, qui faisons, étant ses enfans, comme une partie de son être : par-là il nous impute son péché. C'est tout ce qu'on peut savoir de ces règles impénétrables de la justice divine, et le reste est réservé à la vie future.

CHAPITRE XIV.

Comment la concupiscence est expliquée par saint Chrysostome: deux raisons pourquoi sa doctrine n'est pas aussi liée et aussi suivie que celle de saint Augustin, quoique la même dans le fond.

C'EST la doctrine de tous les siècles sur la liaison de la concupiscence avec le péché originel. Il ne nous reste qu'à remarquer que saint Chrysostôme attache ordinairement la concupiscence à la mortalité, parce que l'homme, devenu mortel, tombe par-là dans cette indigence, d'où naissent nos foiblesses et nos mauvais désirs, ainsi que ce Père, et après lui Théodoret, l'explique sur ce verset du psaume L, Ecce in iniquitatibus, etc.

C'est aussi une des raisons pour laquelle cet éloquent patriarche de Constantinople parle si souvent de la mort en expliquant le péché originel; parce qu'il regarde la mortalité comme la source de nos foiblesses et la pépinière de tous nos vices; en quoi, s'il ne touche peut-être pas la source la plus profonde de nos maux héréditaires, qui est l'orgueil et l'amour-propre, il en expose du moins la cause la

plus sensible.

On peut voir par toutes ces choses, qu'il a reconnu dans le fond le péché originel aussi certainement que tous les autres Pères, et que tout ce qu'il peut y avoir d'embarras dans sa doctrine, c'est qu'elle n'est pas aussi attentive, aussi précautionnée, aussi suivie que celle de saint Augustin, à cause en

partie que les questions sur cette matière ne s'étoient pas encore élevées; en partie aussi, parce que ce docte Père à la vérité ne cède à aucun des autres en bon sens et en éloquence; mais de dire qu'on y trouve autant de principes et de profondeur, ou un corps de doctrine aussi suivi que dans saint Augustin, qui est l'aigle des docteurs, avec le respect et l'admiration qui est due à cette lumière de l'Eglise grecque, la vérité ne le permet pas.

Il nous suffit, en considérant le corps de doctrine de ce Père, d'y avoir trouvé qu'on ne péche point en Adam, ou, ce qui est la même chose, qu'on ne reçoit point en lui la mort du péché, si on regarde la propriété de l'action; mais qu'on a péché en Adam et qu'on a reçu en lui la mort du péché, si on en regarde la tache, la contagion, la malice, ou ce qu'on appelle reatus; puisque c'est là précisément ce qui est effacé par le baptême..

CHAPITRE XV.

Quelques légères difficultés tirées de saint Clément d'Alexandrie, de Tertullien, de saint Grégoire de Nazianze, et de saint Grégoire de Nysse.

PAR les principes posés, non-seulement la tradition du péché originel est établie, mais encore toutes les difficultés sont résolues. Chaque dogme de la religion a sa difficulté et son dénouement. La difficulté dans la matière du péché originel est qu'étant d'une nature particulière, en ce que c'est un péché que l'on contracte sans agir, ou, ce qui

est la même chose, un péché qui vient d'autrui, et non pas de nous, il a dû arriver naturellement que ceux qui n'avoient que ce péché, comme les petits enfans, fussent ôtés en un certain sens du rang des pécheurs; parce qu'à l'égard des péchés que l'on commet par un acte propre de la volonté, ils sont absolument innocens. De là vient donc qu'on a trouvé dans les anciens qu'ils ne sont pas dans le péché. C'est ce qu'a dit saint Clément d'Alexandrie (1) que leur dge est innocent, et que pour cela on ne doit point se hater de leur donner le baptéme. C'est ce qu'on trouve dans Tertullien (2), qu'ils ne sont ni bons ni mauvais, et que par cette raison ils ne seront ni dans la gloire ni dans les supplices. C'est ce que semble dire saint Grégoire de Nazianze (3); et saint Grégoire de Nysse ne parle point du péché originel dans des occasions qui sembloient le demander davantage. Voilà les objections dont on tâche d'embarrasser la tradition du péché originel. S'il y a d'autres expressions incommodes des saints docteurs, elles peuvent se rapporter à cellesci; et il ne reste plus qu'à faire voir qu'elles demeurent si clairement résolues par les choses que l'on vient de dire, qu'il n'y reste plus de difficulté.

(1) Strom. 111. edit. Commel. p. 343.- (2) Tert. de Bapt. cap. xviu. (3) Orat. XL.

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