Images de page
PDF
ePub

montre, poursuit ce théologien, qu'il a voulu parler des adultes, à qui seuls cette connoissance peut appartenir; et en général ce docteur estime que la volonté de sauver tous les hommes ne peut pas comprendre tous les petits enfans (1). Sa raison est que cette volonté de sauver tous les hommes ne subsiste que dans celle de leur donner à tous des moyens, du moins suffisans, pour parvenir au salut; or est-il que selon lui, beaucoup de petits enfans n'ont aucuns moyens, même suffisans (2), pour parvenir au salut, dont il allègue pour exemple incontestable ceux qui meurent dans le sein de leur mère sans sa faute, le nombre desquels est infini, et ceux qui, trouvés mourans dans un désert aride, ne pourroient être baptisés faute d'eau. Tous ceux-là, dit le docte Vasquez, n'ont aucun moyen pour être sauvés. Car encore, continue-t-il (3), que le baptême soit un moyen suffisant en soi pour sauver tous les enfans d'Adam, afin qu'il soit suffisant pour les enfans dont il s'agit, il faut qu'il puisse leur être appliqué. Or est-il qu'il ne leur peut être appliqué, et il n'y a aucun moyen de le faire. Il n'est donc pas suffisant pour eux, et Dieu par conséquent, selon ses principes, ne peut avoir la volonté de les sauver.

Lorsqu'on lui répond que si le baptême ne peut pas être appliqué à ces enfans, il ne le faut pas imputer à Dieu, mais à l'ordre des causes secondes qu'il n'est pas tenu de renverser, il traite cette réponse d'échappatoire inutile (4), et il y réplique en premier lieu, qu'elle fait pour lui; puisque quand

(1) Disp. xcv. c. VI. — . (2) Ibid. et disp. xcvi. — (4) Ibid. c. n et г.

(3) Ibid. c. III. —

Dieu ne feroit autre chose que de permettre que l'enfantement fút empéché par l'ordre des causes naturelles, c'en seroit assez pour nous faire dire que les remèdes suffisans ont manqué à cet enfant, puisqu'aucune diligence humaine ne les lui a pu appliquer ; et cela, dit-il, seroit vrai quand Dieu n'useroit en cette occasion que d'une simple permission, sans exclure expressément ces enfans du remède nécessaire. Mais secondement, il passe plus avant : et qui osera dire, continue-t-il, que cet ordre des causes naturelles qui a empêché cet enfant de venir heureusement au monde, ou qui en d'autres manières lui a été la vie après sa naissance, n'a pas été prédéfini et ordonné de Dieu spécialement et en particulier, SPECIATIM ET MINUTIM, puisque notre Seigneur a dit des passereaux, qu'un seul de ces petits animaux ne tombe pas sans le Père céleste (1). Mais de peur qu'on n'ait recours à une simple permission, il presse son argument en cette sorte: Qui assurera que ces enfans meurent sans une providence qui l'ordonne ainsi; puisque Dieu étant l'auteur de tous les événemens, par sa volonté et sa providence, à la réserve du péché, on ne peut nier que la mort de cet enfant, en ce temps et en ce lieu (du sein maternel) n'ait été prédéfinie, ni qu'elle ne soit arrivée, non-seulement par la permission de Dieu, qui aura laissé agir les causes secondes, mais encore par sa volonté et par son ordre; et je ne doute nullement que ceux qui attribuent cet ordre de causes à la permission de Dieu, et non à sa volonté et à son ordre, ne se trompent manifestement; ce qu'il (1) Matt. x. 29.

inculque en assurant que ses adversaires doivent accorder que Dieu a voulu expressément refuser ces remèdes à certains enfans, sans qu'ils pussent leur être appliqués par aucune diligence humaine; à quoi il ajoute, que Dieu a voulu premièrement refuser ces remèdes, et disposer les causes naturelles pour cet effet.

Tel est le sentiment de Vasquez, qu'il confirme par les passages de saint Augustin, où il est dit que le baptême n'a pas été donné à ces enfans, parce que Dieu ne l'a pas voulu, DEO NOLENTE (1), ce qui d'abord est incontestable en parlant de la volonté absolue qui a toujours son effet; mais Vasquez l'étend à la volonté générale et antécédente, comme l'appelle l'Ecole; puisque Dieu, selon cet auteur, n'a voulu donner ni à ces enfans, ni à aucun homme vivant les moyens de les délivrer.

Après cela, dit saint Augustin dans l'épître à Sixte (2), on sera trop vain et trop aveugle, si on tarde davantage à se récrier: O PROFONDEUR DES RICHESSES DE LA SAGESSE ET DE LA SCIENce de Dieu (3)! Pourquoi permet -il de tels exemples, sinon pour nous tenir humbles et tremblans sous sa main, et au lieu de raisonner sur ses conseils, nous apprendre à dire avec l'apôtre : Que ses jugemens sont impénétrables et ses voies incompréhensibles (4)?

Il n'en faudra pas moins venir à cette conclusion quand on voudra suivre le sentiment des théologiens qui enseignent, que pour pouvoir dire que Dieu a voulu sauver ces enfans, c'est assez qu'il ait

(1) De don. persev. cap. XII. n. 31. — (2) Ep. cxciv. al. cv. n. 33. - (3) Rom. xi. 33. — (4) Ibid.

[ocr errors]

institué le remède du baptême, sans les en exclure, et au contraire avec une volonté de les admettre à ce sacrement, supposé qu'ils vinssent au monde en état de le recevoir. Je le veux : j'accepte aisément ces douces interprétations, qui tendent à recommander la bonté de Dieu; mais il ne faut pas s'aveugler jusqu'à ne voir pas qu'il reste toujours du côté de Dieu une manifeste préférence pour quelquesuns de ces enfans; puisqu'en préparant aux uns des secours suffisans en soi, mais qu'on n'a aucun moyen de leur appliquer, et en procurant aux autres les remèdes les plus infaillibles, il laisse entre eux une différence qui ne peut pas être plus grande. Mais à quoi pourra-t-on l'attribuer? au mérite des enfans ou de leurs parens. Pour les enfans, on voit d'abord qu'il n'y en a point: d'ailleurs, dit saint Augustin (1), on ne peut pas dire qu'un enfant, qui ne pouvoit rien par lui-même, aura été distingué par le mérite de ses proches; puisque tous les jours on voit porter au baptême un enfant conçu dans un sein impur, exposé par sa propre mère, et recueilli par un passant pieux, pendant que le fruit d'un chaste mariage, le fils d'un père saint, expirera au milieu de ceux qui préparent tout pour le baptiser. Il n'y a ici aucun mérite, ni de l'enfant ni de ses parens; et quand il faudroit imputer le malheur de cet enfant, qui meurt sans baptême, à la négligence de ses parens, ce n'est pas lui qui les a choisis, et le jugement de Dieu n'en sera pas moins caché ni moins redoutable.

(1) Ep. CXCIV. l. 1. ad Bonif. c. VI, VII. l. vi. cont. Jul. cap. V. De don. pers. c. XII.

Au défaut du mérite personnel, ou de celui des parens, aurons-nous recours aux causes secondes qui entraînent ce malheureux enfant dans la damnation? Dieu, dit-on, n'est pas tenu d'en empêcher le cours; il en est donc d'autant plus inévitable, et la perte de l'enfant plus assurée. Souvenons-nous du raisonnement de Vasquez, qui ne permet pas d'enseigner que Dieu laisse seulement agir les causes naturelles, ou qu'il en permette simplement les effets. Cela seroit bon, peut-être, si l'on parloit du péché; mais pour les effets qui suivent du cours naturel des causes secondes, Dieu les veut, Dieu les préordonne, les dirige, les prédéfinit. On n'entre pas par hasard, dit saint Augustin (1), dans le royaume de Dieu sa providence qui ne laisse pas tomber un passereau ni un cheveu de la tête, sans lui marquer le lieu où il doit tomber et le temps précis de sa chute, ne s'oubliera pas elle-même, quand il s'agira d'exercer ses jugemens sur les hommes. Si ce n'est point par hasard que se déterminent de si grandes choses, ce n'est pas non plus par la force aveugle des causes qui s'entre-suivent naturellement. Dieu qui les pouvoit arranger en tant de manières différentes, également belles, également simples, pour en diversifier les effets jusqu'à l'infini, a vu dès le premier branle qu'il leur a donné, tout ce qui devoit en arriver, et il a bien su qu'un autre tour auroit produit toute autre chose. Vous attribuez au hasard l'heureuse rencontre d'un homme qui est survenu pour baptiser cet enfant, et tous les divers accidens qui pro(1) De dono persev. loc. cit.

« PrécédentContinuer »