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longent ou qui précipitent la vie d'une mère et de son fruit; mais Dieu qui les envoie du ciel, ou par lui-même, ou par ses saints anges, ou par tant d'autres moyens connus ou inconnus qu'il peut employer, sait à quoi il les veut faire aboutir, et il en prépare l'effet dans les causes les plus éloignées. Enfin, ce n'est pas l'homme, mais le Saint-Esprit qui a dit (1): Il a été enlevé, de peur que la malice ne lui changeát l'esprit, ou que les illusions du monde ne lui corrompissent le cœur : Dieu s'est háté de le tirer du milieu des iniquités. Ce n'est donc point au hasard, ni précisément au cours des causes secondes qu'il faut attribuer la mort d'un enfant, ou devant ou après le baptême; c'est à un dessein formel de Dieu, qui décide par-là de son sort; et jusqu'à ce qu'on ait remonté à cette source, on ne voit rien dans les choses humaines.

Je ne m'étonne donc pas si saint Augustin ramène toujours aux petits enfans les pélagiens et tout homme qui murmuroit contre la prédestination. C'est là, dit-il (2), que leurs argumens et tous les efforts du raisonnement humain perdent leurs forces : NEMPE TOTAS VIRES ARGUMENTATIONIS HUMANE IN parvulis perdunt. Vous dites que si ce n'est point le mérite qui met la différence entre les hommes, c'est le hasard ou la destinée, ou l'acception des personnes, c'est-à-dire, en Dieu une manifeste iniquité. Contre chacun de ces trois reproches, saint Augustin avoit des principes et des preuves particulières, qui ne souffroient point de réplique, et d'abord pour ce qui regardoit le dernier reproche, (1) Sap. IV. 11.—(2) Ep. CXCIV.

c'est-à-dire, l'acception des personnes, qui étoit le plus apparent, il n'a pas même de lieu en cette occasion, et ce n'en est pas le cas (1). L'acception des personnes a lieu, lorsqu'il s'agit de ce qu'on doit par la justice; mais elle n'a pas lieu, lorsqu'il s'agit de ce qu'on donne par pure grâce (2). C'est JésusChrist même qui l'a décidé dans la parabole des ouvriers (3). Si, en donnant à ceux qui avoient travaillé tout le long de la journée le denier dont il étoit convenu, il en donne autant à ceux qui n'avoient été employés qu'à la dernière heure, il fait grâce à ceux-ci, mais il ne fait point de tort aux autres; et lorsqu'ils se plaignent, il leur ferme la bouche, en leur disant: Mon ami, je ne vous fais point de tort; ne vous ai-je pas donné le prix dont nous étions convenus: si maintenant je veux donner autant à ce dernier, de quoi avez-vous à vous plaindre? ne m'est-il pas permis de faire (de mon bien) ce que je veux? C'est décider en termes formels que dans l'inégalité de ce qu'on donne par une pure libéralité, il n'y a point d'injustice, ni d'acception de personnes. Si deux personnes vous doivent cent écus, soit que vous exigiez de l'une et de l'autre toute la dette, soit que vous la quittiez également à toutes les deux, soit que libéral envers l'une, vous exigiez de l'autre ce qu'elle doit, il n'y a point là d'injustice, ni d'acception de personnes, mais seulement une volontaire dispensation de vos grâces. C'est ainsi que Dieu fait, lorsqu'il dispense les siennes. De même, s'il punit l'un, s'il pardonne

(1) Lib. n. ad Bonif. cap. v. init. XX. 13, 14, 15.

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(2) Aug. ibid.

(3) Matth

à l'autre, c'est le Souverain des souverains qu'il faut remercier lorsqu'il pardonne; mais il ne faut point murmurer lorsqu'il punit. Cela est clair, cela est certain. Il n'est pas moins assuré qu'il n'agit point par hasard en cette occasion, mais par dessein; puisqu'il a celui de faire éclater deux attributs également saints et également adorables, sa miséricorde sur les uns, et sa justice sur les autres. Il n'est pas non plus entraîné au choix qu'il fait des uns plutôt que des autres, par la destinée ou par une aveugle conjonction des astres. Ceux-là lui font suivre une espèce de destinée, qui font dépendre son choix des causes naturelles; mais ceux qui savent qu'il les a tournées dès le commencement pour en faire sortir les effets qu'il a voulu, établissent, non pas le destin, mais une raison souveraine qui fait tout ce qui lui plaît, parce qu'elle sait qu'elle ne peut jamais faire le mal. Si l'on veut, dit saint Augustin (1), appeler cela destin, et donner ce nouveau nom à la volonté d'un Dieu tout-puissant, nous éviterons, à la vérité, selon le précepte de l'apôtre, ces profanes nouveautés dans les paroles; mais au reste nous n'aimons point à disputer des mots. Ces réponses de saint Augustin ne laissent point de réplique. Mais c'est sa coutume de réduire les vains disputeurs à des faits constans, à des choses qui ferment la bouche dès le premier mot, tel qu'est dans cette occasion l'exemple des petits enfans. Disputez tant qu'il vous plaira de la prédestination des adultes dites qu'il la faut établir selon les mérites, ou bien introduire le hasard, la fatalité, l'acception (1) Lib. 11. ad Bonif. c. v.

:

des personnes; que direz-vous des petits enfans, où vous voyez sans aucune diversité des mérites, une si prodigieuse diversité de traitemens; où l'on ne peut reconnoître, dit saint Augustin (1), ni la témérité de la fortune, ni l'inflexibilité de la destinée, ni l'acception des personnes, ni le mérite des uns, ou le démérite des autres ? Où cherchera-t-on la cause de la différence, si ce n'est dans la profondeur des conseils de Dieu? Il faut se taire, et bon gré malgré avouer qu'en de telles choses il n'y a qu'à reconnoître et adorer sa sainte et souveraine volonté.

Je ne m'étonne donc pas si les semi-pélagiens, encore qu'ils reconnussent le péché originel, ne vouloient pas qu'on apportât l'exemple des petits enfans à l'occasion des adultes, comme on l'apprend de saint Augustin (2) et de la lettre d'Hilaire (3), ni s'ils cherchoient de vaines différences entre les uns et les autres. C'est qu'en avouant ce péché, ils n'en vouloient pas voir toutes les suites, dont l'une est le droit qu'il donne à Dieu de damner et les grands et les petits, et de faire miséricorde à qui il lui plaît. L'orgueil humain rejette volontiers un argument qui finit trop tôt la dispute, et fait taire trop évidemment toute langue devant Dieu.

Les pélagiens s'imaginoient justifier Dieu dans la différence qu'il met entre les enfans, en disant qu'il ne s'agissoit pour eux que d'être privés du royaume des cieux, mais non pas d'être envoyés dans l'enfer; et ceux qui ont voulu introduire à cette occasion

(1) Lib. vi. cont. Jul. c. xiv. n. 43.- (3) De don. pers. c. x1, n. 26. — (3). Epist. Hil. ad Aug. n. 8.

une espèce de félicité naturelle dans les enfans morts sans baptême, ont imité ces erreurs des pélagiens; mais l'Eglise catholique ne les souffre pas; puisqu'elle a décidé, comme on a vu, dans les conciles œcuméniques de Lyon II et de Florence, qu'ils sont en enfer comme les adultes criminels, quoique leur peine ne soit pas égale; et quand il seroit permis (ce qu'à Dieu ne plaise) d'en revenir à l'erreur des pélagiens, saint Augustin n'en conclut pas moins (1) que ces hérétiques n'ont qu'à se taire; puisqu'enfin, de quelque côté qu'ils se tournent pour établir la différence entre les enfans baptisés et non baptisés, quand il n'y auroit dans les uns que la possession et dans les autres que la privation d'un si beau royaume, il faudroit toujours reconnoître qu'il n'y a là ni hasard, ni fatalité, ni acception de personnes; mais la pure volonté d'un Dieu souverainement absolu.

Ainsi il sera toujours véritable que la prédestination des enfans répond aux objections qu'on pourroit faire sur la prédestination des adultes; mais il y a bien un autre argument à tirer de l'un à l'autre. Saint Augustin a démontré par ce passage de la Sagesse (2): Il a été enlevé de peur que la malice ne le corrompit, que Dieu prolonge la vie ou l'abrège selon les desseins qu'il a formés de toute éternité sur le salut des hommes; qu'ainsi c'est par un effet d'une prédestination purement gratuite qu'il continue la vie à un enfant, et qu'il tranche les jours de l'autre, faisant par-là que l'un d'eux vient au baptême, dont l'autre se trouve privé; ou que l'un (1) Lib. 11. ad Bonif. c. v. — (2) Sap. IV. 11.

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