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est enlevé en état de grâce, sans que jamais la malice le puisse corrompre, pendant que l'autre demeure exposé aux tentations où Dieu voit qu'il doit périr. Quelle raison apporterons-nous de cette différence, sinon la pure volonté de Dieu? puisque nous ne pouvons la rapporter ni au mérite de ces enfans, ni à l'ordre des causes naturelles, comme à la source primitive d'un si terrible discernement; puisqu'ainsi que nous avons vu, ce seroit, ou introduire les hommes dans le royaume de Dieu, ou les en exclure par une espèce de fatalité ou de hasard; mais si ce raisonnement ne souffre point de réplique pour les enfans, il n'en souffre pas non plus pour les adultes. Leurs jours ne sont pas moins réglés par la sagesse de Dieu que ceux des enfans. C'est d'eux principalement que parloit le SaintEsprit dans le livre de la Sagesse, lorsqu'il dit, qu'ils ont été enlevés pour prévenir les périls où ils auroient pu succomber. C'est donc par une pure miséricorde que l'un est pris en état de grâce, pendant que l'autre également en cet état, est abandonné aux tentations où il doit périr. De là pourtant il résulte que l'un est sauvé et que l'autre ne l'est pas. Il n'y a point d'autre raison de la différence, que celle de la volonté de Dieu. Ce qu'il a exécuté dans le temps, il l'a prédestiné de toute éternité. Voilà donc déjà dans les adultes, aussi bien que dans les enfans, un effet certain de la prédestination gratuite, en attendant que la suite nous découvre les autres que M. Simon reproche à saint Augustin comme des erreurs, où ce grand homme s'est éloigné du droit chemin des anciens.

Dans

Dans toute cette matière, l'esprit de ce téméraire critique est de dépouiller la doctrine de saint Augustin de tout ce qu'elle a de solide et de consolant, pour n'y laisser, s'il pouvoit, que des difficultés et des sujets de dispute, ou même de désespoir et de murmure. Mais si l'on apporte à la déduction que nous allons commencer, tant de la doctrine de ce Père, que des erreurs de M. Simon sur le dogme de la grâce, l'attention que mérite un discours de cette nature, j'espère qu'on trouvera que tout ce qu'a dit saint Augustin pour établir l'humilité, est aussi plein de consolation, que ce qu'a dit M. Simon pour flatter l'orgueil, est sec et vain.

BOSSUET. V.

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LIVRE DIXIÈME.

Semi-pelagianisme de l'auteur. Erreurs imputées à saint Augustin. Efficace de la grâce. Foi de l'Eglise par ses prières, tant en Orient qu'en Occident.

CHAPITRE PREMIER.

Répétition des endroits où l'on a montré ci-dessus que notre auteur est un manifeste semi-pelagien, à l'exemple de Grotius.

LA première erreur de ce critique sur l'article de la grâce chrétienne est, sous prétexte de suivre l'antiquité, de s'être déclaré semi-pélagien. Lui et les critiques ses semblables ont peine à reconnoître cette secte; et il est vrai qu'elle n'a point fait de schisme dans l'Eglise, à cause que, toujours liée de communion avec le saint Siége, à la fin elle a cédé à ses décisions; mais l'hérésie qu'elle enseignoit n'en est pas moins condamnable, puisqu'en effet elle a été condamnée par les papes et par les conciles, nommément par celui d'Orange, et en dernier lieu par celui de Trente, en quɔi l'Eglise a suivi le jugement de saint Augustin, où nous avons vu que cette créance semi-pélagienne, qu'il avoit suivie avant que de l'avoir bien examinée, étoit une erreur, un sentiment condamnable, DAMNABILEM SENTENTIAM (1). On en peut voir les pas(1) Lib. 11. Retract. Lib. de prædest. SS. c. 111. n. 7.

sages dans les pages précédentes (1), et on y peut voir en même temps que M. Simon se déclare pour les sentimens que saint Augustin rétractoit, comme étant les sentimens des anciens, dans lesquels par conséquent les adversaires de ce Père, c'est-à-dire, ceux qu'on appelle les marseillais ou les provençaux, et les semi-pélagiens avoient raison de persister. Ainsi, selon les idées de M. Simon, leurs sentimens avoient tous les caractères de la vérité, et ceux où saint Augustin est mort et que toute l'Eglise a suivis, tous les caractères d'erreur. Ce Père, dit notre auteur, étoit seul de son avis; il abandonnoit sa propre créance, qui étoit celle de l'antiquité: il alloit en reculant, comme ceux dont il est écrit, que leur progrès est en mal, PROFICIENT IN PEJUS (2) : l'Eglise qui l'écoutoit comme le défenseur de la tradition, reculoit avec lui: ainsi, avec Grotius (3), on tire avantage des rétractations de saint Augustin pour s'affermir dans une doctrine qu'il a condamnée, au lieu de s'en servir pour se corriger, et l'Eglise est reprise pour n'avoir pas approuvé la doctrine que ce Père rétractoit.

Je plains Grotius dans son erreur. Nourri hors du sein de l'Eglise, dans les hérésies de Calvin, parmi les nécessités qui ôtoient à l'homme son libre arbitre, et faisoient Dieu auteur du péché, quand il voit paroître Arminius qui réformoit ces réformes, et détestoit ces excès des prétendus réformateurs, il croit voir une nouvelle lumière, et se dégoûte du calvinisme. Il a raison; mais comme hors de l'Eglise,

(1) Ci-dessus, l. VI. c. VI, VII, XIII, XIV, XV, XVI. — (2) II. Tim. 111. 13. (3) Ci-dessus, liv. VI, VII.

il n'avoit point de règle certaine, il passe à l'extrémité opposée. La haine d'une doctrine qui détruit la liberté, le porte à méconnoître la vraie grâce des chrétiens; saint Augustin, dont on abusoit dans le calvinisme, lui déplaît; en sortant des sentimens de la secte où il vivoit, il est emporté à tout vent de doctrine, et donne, comme dans un écueil, dans les erreurs sociniennes. Il s'en retire avec peine tout brisé, pour ainsi dire, et ne se remet jamais de ce débris. On trouve partout dans ses écrits des restes de ses ignorances plus jurisconsulte que philosophe, et plus humaniste que théologien, il obscurcit la doctrine de l'immortalité de l'ame : ce qu'il y a de plus concluant pour la divinité du Fils de Dieu, il tâche de l'affoiblir, et de l'ôter à l'Eglise il travaille à obscurcir les prophéties qui prédisent le règne du Christ; nous en avons fait la preuve ailleurs (1). Parmi tant d'erreurs, il entrevoit quelque chose de meilleur; mais il ne sait point prendre son parti, et il n'achève jamais de se purifier, faute d'entrer dans l'Eglise. Encore un coup, je déplore son sort. Mais qu'un homme né dans l'Eglise, élevé à la dignité du sacerdoce, instruit dans la soumission qu'on doit aux Pères, ne sache pas se débarrasser des erreurs semi-pélagiennes, et ne défende saint Augustin que dans les endroits où saint Augustin plus éclairé, confesse lui-même son erreur qu'après avoir affoibli, autant qu'il a pu, la tradition du péché originel, il affoiblisse encore celle de la grâce, et soutienne impunément, à la face de tout l'univers, des erreurs frappées d'ana(1) Ci-dessus, liv. 111.

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