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M. Simon, après Grotius, accuse ce Père d'avoir affoibli sur le libre arbitre la tradition de toutes les Eglises. C'est ce que nous avons montré, quoique pour d'autres fins, en premier lieu, par la préface de cet auteur, où il accuse saint Augustin, lorsqu'il a écrit contre Pélage au cinquième siècle, d'être l'auteur d'un nouveau systême, au préjudice de l'autorité des quatre siècles précédens; comme si luimême, qui a passé la plus grande partie de sa vie au quatrième siècle, qui a été fait évêque dans ce siècle même, et qui s'y est signalé par tant d'écrits, avoit tout d'un coup oublié la tradition.

Nous avons vu, en second lieu, encore pour une autre fin, que dans le chapitre cinquième de son ouvrage, où les anciens Pères et toutes les Eglises du monde, avant saint Augustin, sont représentées comme étant d'accord à défendre le libre arbitre contre les gnostiques, et les autres hérétiques, M. Simon objecte à ce Père, qu'il préféra ses sentimens (particuliers) à une tradition si constante.

En troisième lieu, nous avons vu qu'il fait de saint Augustin un défenseur des sentimens outrés des protestans, et nommément de Lut er, de Bucer et de Calvin, sur le libre arbitre. C'en est assez pour montrer que malgré les papes et toute l'Eglise, il accuse saint Augustin d'être ennemi du libre arbitre, et qu'il couvre les hérétiques qui le rejettent, de l'autorité d'un si grand nom. Mais il faut voir maintenant les erreurs grossières où l'esprit de contradiction le précipite.

CHAPITRE IV.

M. Simon est jeté dans cet excès par une fausse idée du libre arbitre: si l'on peut dire comme lui que le libre arbitre est maître de lui-même ENTIÈREMENT : passages de saint Ambroise.

Pour cela il faut entendre ce qu'il avance au chapitre xx. Il est certain, dit-il (1), que Pélage, et après lui ses disciples, ont abusé de plusieurs passages qui font les hommes entièrement les maîtres de leurs actions. Remarquez cet entièrement, en quoi consistoit une partie très-essentielle de l'erreur des pélagiens. Ils ajoutoient au pouvoir que l'Ecriture donne aux hommes sur leurs actions cet entièrement qui n'y est pas, et qui y donne un trèsmauvais sens, pour ne rien dire de plus: au contraire elle disoit que le cœur du roi, et par conséquent de tout homme, est entre les mains de Dieu, et qu'il l'incline où il veut (2); ce qui est conforme à cette parole de David : Dieu dirige les pas de l'homme, et il voudra sa voie (3); sans doute lorsque Dieu y dirigera ses pas, comme le démontre saint Augustin (4), et comme il paroît assez par la chose même. Jérémie a dit aussi dans le même esprit (5) : Je sais, Seigneur, que la voie de l'homme n'est pas en son pouvoir, et qu'il ne lui appartient pas de marcher et de diriger ses pas à son gré. Car pour être ENTIEREMENT maître de ses actions, comme le veut M. Si

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mon, il faudroit pouvoir aimer et haïr, se plaire et se dégoûter de ce que l'on veut, ce qui n'est pas, comme saint Augustin le dit souvent, et que l'expérience le fait assez voir; et c'est aussi à cet égard que saint Ambroise disoit que l'homme n'a pas son cœur en sa puissance : NON EST in nostra POTESTATE COR NOSTRUM (1), ce que tout homme de bien et rempli, dit saint Augustin, d'une humble et sincère piété, éprouve très-véritable; car on a des inclinations dont on n'est pas le maître; en sorte, dit saint Ambroise, que l'homme ne se tourne pas comme il veut. Pendant, dit ce saint docteur, qu'il veut aller d'un côté, des pensées l'entraînent de l'autre : il ne peut disposer de ses propres dispositions, ni mettre dans son cœur ce qui lui plaît. Ses sentimens, poursuit-il, le dominent, sans que souvent il s'en puisse dépouiller; c'est aussi par-là qu'on le prend pour le mener où l'on veut par sa propre pente; et si les hommes le savent faire en tant de rencontres, Dieu ne pourra-t-il pas le faire autant qu'il voudra, lui qui connoît tous ses penchans, et sait outre cela toucher l'homme par des endroits encore plus intimes et plus délicats; car il connoît les plus secrets ressorts par où une ame peut être ébranlée : lui seul les sait manier avec une dextérité et une puissance inconcevable; ce qui fait conclure au même saint Ambroise (2), à l'occasion de saint Pierre, que tous ceux que Jésus regarde pleurent leurs péchés, qu'il leur inspire une tendresse à laquelle ils ne résistent pas, et en toute occasion qu'il appelle qui il veut, et qu'il fait religieux qui il lui plaít, quos dignatur

(1) Ap. Aug. de don. persev. c. vill. n. 20.-- · (2) Ambr. in Luc.

VOCAT, ET QUEM VULT RELIGIOSUM FACIT (1); en un mot, qu'il change les hommes comme il veut, du mal au bien, et fait dévots ceux qui étoient opposés à la dévotion, SI VOLUISSET EX INDEVOTIS FECISSET DEVOTOS. Ces petits mots échappés, pour ainsi parler, naturellement à saint Ambroise avant toutes les disputes, font sentir l'esprit de l'Eglise. Saint Augustin n'a donc rien dit de particulier, quand il a si bien démontré cette vérité, et la puissance de la grâce contre les pélagiens, qui ne pouvoient la goûter, et qui vouloient faire l'homme entièrement maître de lui-même; en quoi ils sont encore aujourd'hui flattés par M. Simon (2), qui croit trouver cette expression et ce sentiment dans plusieurs endroits de l'Ecriture.

CHAPITRE V.

Que M. Simon fait un crime à saint Augustin de l'efficace de la grâce : ce que c'est, selon ce critique, que d'étre maître du libre arbitre ENTIÈREMENT, et que son idée est pélagienne.

Il est vrai qu'à son ordinaire, toujours ambigu et enveloppé, il dit que ces hérétiques abusoient de ces passages, et que par-là il paroît avoir dessein de condamner leur erreur; mais ce n'est, selon sa coutume, que pour les justifier aussitôt après par ces paroles Toute l'antiquité, ajoute-t-il (3), qui s'étoit opposée fortement aux gnostiques et aux manichéens, qui ruinoient la liberté de l'homme, sem

(1) S. Aug. de don. pers. c. xix. n. 50.— (2) P. 290.- (3) Ibid.

bloit parler en leur faveur. En quoi parler en leur faveur? En ce qu'ils soutenoient le libre arbitre contre ces hérétiques. Il n'auroit donc pas fallu dire que l'antiquité sembloit parler, mais qu'elle parloit effectivement en leur faveur, n'y ayant jamais eu aucun doute sur le libre arbitre dans l'antiquité, c'est-à-dire, non - seulement dans le temps qui a précédé celui des pélagiens, mais encore dans ce temps-là même. Ainsi, quand notre auteur insinue que l'antiquité favorisoit les pélagiens, ce n'étoit pas par rapport au libre arbitre dans le fond; mais dans l'abus qu'ils en faisoient, c'est-à-dire, dans la confiance téméraire qu'ils avoient dans leur liberté, en se croyant entièrement maîtres de leurs actions; et parce que saint Augustin combattoit cette orgueilleuse puissance, et faisoit voir que sans détruire le libre arbitre, Dieu savoit le faire fléchir où il vouloit, en quoi consistoit un des principaux secrets de la doctrine de la grâce, le même auteur insinue encore que ce Père changea alors l'état de la tradition, et opposa aux pélagiens ses sentimens outrés; ce qu'il exprime, en ajoutant qu'il poussa trop loin ses principes (1).

Mais afin qu'on ne doute pas en quoi il estime qu'il les poussa trop loin, il s'en explique en un autre endroit (2), lorsqu'il blâme saint Augustin d'avoir voulu obliger Pélage à reconnoître une grâce par laquelle Dieu ne nous donne pas seulement le pouvoir d'agir et son secours, mais par laquelle il opère aussi le vouloir et l'action même. Pour lui, il ne permet pas qu'on pousse la chose plus loin que

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